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d'approvisionnement des villes en venaison sont soumises à des contraintes fortes qu

1.1 Définition et analyse du vocabulaire utilisé

1.1.2 La filière de production

La croissance urbaine très importante, depuis les Indépendances, en Afrique sub-saharienne, a entraîné un changement d'échelle dans l'approvisionnement en nourriture des villes africaines qui sont fréquemment passées, en deux générations, du stade de simple bourgade à celui de véritable mégapole. Par exemple, Bangui est passé de 80.000 habitants en 1960 (Saulnier 1997) à plus de 800 000 habitants, au dernier recensement, en 2003 (Doungoupou 2005). La façon dont les sociétés africaines ont su s'organiser pour produire, transformer et distribuer les produits alimentaires est importante à comprendre, pour en analyser les forces et les faiblesses et pouvoir, à l'avenir, résoudre au mieux les problèmes alimentaires liés à la croissance démographique qui se poursuit.

1.1.2.1 Définition de la filière de production

Les travaux, réalisés sous l'égide de la FAO pour l'analyse des Systèmes d’Approvisionnement et de Distribution Alimentaires des villes (SADA) (Aragrande 1997; Aragrande and Argenti 1997; Dia 1997; Padilla 1997; Terpend and Kouyaté 1997), à la fin des années 1990, permettent de disposer d'un cadre conceptuel pour comprendre ces filières économiques relevant très largement de l'économie informelle.

Aragrande (Aragrande 1997) a proposé, pour les filières agricoles au sens large, la définition suivante : « La filière regroupe l’ensemble des agents qui contribuent directement à la production, puis

à la transformation et à l’acheminement jusqu’au marché de réalisation d’un même produit agricole (ou d’élevage) ». Par extension de cette définition, nous intégrerons également les consommateurs

parmi les agents économiques dont la connaissance est indispensable à la compréhension du fonctionnement de la filière.

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le producteur est le premier maillon de la chaîne de commercialisation. Il récolte les produits et les livre à un autre agent ;

le collecteur, qui est souvent également un transporteur, rassemble des petits lots de produits primaires, dispersés en plusieurs endroits et les réunit en un seul chargement. Généralement, il assure un tri de la production et la regroupe en catégories commerciales ;

le grossiste concentre les différents chargements de taille intermédiaire, pour constituer de grandes unités uniformes. Il en assure le stockage, le transport et la distribution, en aval, vers les détaillants ;

les détaillants assurent le dégroupage du produit et sa vente, sous la forme correspondant aux besoins et aux capacités financières du consommateur final ;

le consommateur est le dernier maillon du circuit commercial ; il s’agit généralement des familles rurales ou urbaines (Mendoza 1998).

Le circuit, qui sert de base aux analyses économiques, est une représentation schématisée de la circulation des flux de richesses (argent, biens, services,…) entre des pôles de production et de consommation ; elle permet d’évaluer l’ordre de grandeur de ces flux. Selon la nature des biens mobilisés, l’extension spatiale des circuits peut varier de la maisonnée ou du village à l’espace national, puis international (Géneau de Lamarlière and Staszak 2000).

L'analyse filière permet également de comprendre le mécanisme de formation des prix et la répartition de la valeur ajoutée, tout au long de la chaîne de production. Dans notre cas d'étude, la venaison est vendue principalement sous trois formes : gibier vivant, viande fraîche ou viande boucanée. La transformation est donc extrêmement réduite et la chaîne de production, qui est l'ensemble des opérations de fabrication nécessaires à la réalisation d'un produit manufacturé, est très simple et limitée.

1.1.2.2 Le bassin d’approvisionnement

Toute filière de production locale d'un produit alimentaire s'inscrit dans l'espace, avec, au minimum, comme le décrit L. Gazull (Gazull 2009) dans le cadre de l'approvisionnement en énergie bois de Bamako, des sources et un bassin de réception, dans lequel est localisée la ressource, et un exutoire, la ville consommatrice, reliés par un réseau de transport, formant chenal d’écoulement, pour poursuivre la métaphore torrentielle.

Le bassin d’approvisionnement est l’espace géographique défini par la localisation des clients et des fournisseurs qui les ravitaillent. On peut identifier trois dimensions dans ce concept (Le Bail 2005) :

c’est un espace technique de production,

c’est également un espace décisionnel dans lequel circulent les informations dont ont besoin les acteurs pour définir leurs stratégies et pour planifier leurs actions, ce qui va structurer la localisation des prélèvements et des marchés,

c’est enfin un espace de négociation pour la formation des prix.

L'organisation du bassin d'approvisionnement et l'évolution de sa superficie peuvent donner des informations importantes sur la durabilité de la commercialisation de la venaison ; nous y reviendrons dans la cinquième partie.

1.1.2.3 L’extractivisme

L’extractivisme, néologisme adapté du brésilien, désigne les activités de collecte en vue d’une commercialisation des produits forestiers non ligneux (PFNL) d'origine animale, végétale ou minérale (Lescure and de Castro 1992; Pinton and Emperaire 1992). Il est réalisé principalement dans un but commercial et se distingue ainsi de la cueillette qui s'effectue uniquement en vue de

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l'autoconsommation, même si, dans les deux cas, les produits concernés sont d'origine spontanée, en dehors de la logique de mise en culture agricole.

L'extractivisme a surtout été étudié en Amazonie, particulièrement au Brésil, où il a représenté une activité économique importante ; il y a été présenté comme une alternative à la déforestation, par la production de revenus pour les communautés locales, avec la création des réserves extractivistes. Historiquement, cette forme de mise en valeur s'est appuyée sur des rapports sociaux très inégaux entre les collecteurs, les propriétaires et les commerçants, qui rappellent les rapports existant, dans la forêt centrafricaine, entre les Pygmées et les villageois Bantou.

L'extractivisme peut être un modèle intéressant pour analyser la production de viande de brousse et sa filière. On peut également réfléchir sur la trajectoire classique des productions extractivistes : lorsqu'un certain seuil de demande est atteint et que les cours augmentent, soit le modèle initial évolue vers une intensification de la production et une domestication des espèces de type agricole, comme les agro-forêts indonésiennes (Michon and Bouamrane 2000) , soit le produit naturel est remplacé par un produit de synthèse (caoutchouc).

Godoy et Bawa (Godoy and Bawa 1993) présentent six hypothèses principales, concernant l’évolution des PFNL et des milieux naturels dont ils sont issus :

la spécialisation de la cueillette s’accroît avec le niveau de vie ; lorsque il augmente, les villageois consomment moins de produits animaux et végétaux de cueillette en quantité et en diversité et ils utilisent davantage de produits cultivés ou de substituts industriels ;

la part de la cueillette dans le revenu des ménages est fonction inverse du niveau de vie ; les ménages les plus aisés sont moins dépendants des PFNL et le développement agricole induit un accroissement de la disponibilité de ces productions et une diminution des prix des PFNL ; le coût d’opportunité annuel de la forêt oscillerait autour d’une valeur mondiale de 50 $ (1993)

par hectare ; le développement pourrait avoir deux effets antagonistes sur cette valeur : une diminution selon l’hypothèse de spécialisation ci-dessus ou une croissance par ouverture de nouveaux débouchés rémunérateurs ;

la durabilité pourrait être affectée par la croissance économique : l’accès aux techniques modernes pour l’extraction, le traitement et le transport peut augmenter la pression sur la ressource, mais il peut également être contrebalancé par la disponibilité de substituts industriels ou cultivés, à bas coût et réduisant la demande de l’ensemble de la population ; les coûts d’extraction des PFNL augmentent avec la richesse spécifique de l’écosystème et la dispersion de la ressource qui en découle ; le potentiel de production serait donc supérieur dans les forêts homogènes où certains produits demandés sont particulièrement abondants ; l’accroissement de la commercialisation entraînerait une pénurie du PFNL, une incitation à la domestication et, à l’extrême, une incitation à la déforestation pour cultiver ce produit devenu une spéculation agricole, selon le schéma bien connu du caoutchouc amazonien.

Ces analyses sont conduites principalement pour les productions végétales, mais peuvent également s’appliquer à la vie animale, qu’il s’agisse d’ivoire, de pelleteries ou de viande de brousse. Elles seront pertinentes dans l’étude de la chasse commerciale, la venaison pouvant alors être considérée comme un produit forestier non ligneux parmi d’autres.

1.1.2.4 Filière formelle et économie informelle

Le concept d'économie informelle a été forgé par les institutions internationales, en particulier le Bureau International du travail (B.I.T.), dans les années 1970, pour rendre compte des évolutions constatées des économies en développement. A cette époque, sept critères sont proposés pour le définir (Romainville 1997) :

50 utilisation des ressources locales,

propriété familiale de l’entreprise, échelle d’activité réduite,

usage de techniques qui privilégient le recours à la main d’œuvre, qualification acquise hors du système officiel de formation, marchés concurrentiels et sans réglementation ».

De nombreuses définitions différentes, de plus en plus complexes, ont pu être présentées et, en 1993, la 15e conférence internationale des statisticiens du travail a adopté la définition officielle suivante :

« Les unités de production du secteur informel opèrent typiquement avec un faible niveau

d’organisation, peu de division entre travail et capital et sur une petite échelle. Les relations de travail…sont fondées essentiellement sur de l’emploi occasionnel, des relations interpersonnelles sans contractualisation des relations réciproques et garanties formelles » (Courade 2006).

Plus simplement peut-être, deux éléments se retrouvent dans toutes les définitions proposées: la non-régulation de l'activité informelle par l'État et

une échelle quasi-domestique des activités de production (Lautier 1994; Boyabé 1999; Dupuy 2001)

Qu'elles appartiennent à l’économie non officielle, dissimulée, parallèle, grise, souterraine,… (Lautier 1994), ces activités sont « généralement illégales dans leur fonctionnement, mais licites dans leur contenu » (Trani 2006). L'économie informelle ne doit pas être confondue avec l'économie mafieuse ou le grand banditisme. D’autre part, l’économie informelle est généralement soumise à des régularisations de diverses natures, en dehors de la légalité officielle ; Hugon (Hugon 2003) propose ainsi de distinguer, selon les critères de légalité et de régulation, divers types d’économie informelle :

Régulée Non régulée

Légale Économie officielle Économie irrégulée

Non légale Économie a-légale

tolérée Économie illégitime, criminelle

en rappelant que ce qui est légal n’est pas toujours légitime, mais que ce qui est illégitime est souvent illégal. Les règles sociales sont organisées autour de deux pôles : l’un répressif, autour d’un système de sanctions excluant toute personne transgressant les lois de la communauté et l’autre imposant des impératifs de réciprocité et de solidarité (Boyabé 1999).

L’économie informelle se situe donc hors des règles officielles, mais elle reste soumise à des régulations qui peuvent être fortes et constituer de véritables barrières à l’entrée dans l’activité ; ces freins à l’installation peuvent être de nature sociale, dictés par le système de castes (les forgerons ou les tisserands en Afrique de l’Ouest), religieuse (dans de nombreux pays d’Afrique centrale animiste et chrétienne, les bouchers sont musulmans, du fait de leurs relations privilégiées avec les éleveurs Peul islamisés) ou par les difficultés à s’intégrer dans les réseaux opérationnels ; ils peuvent également être financiers, dans le cadre d’une économie de survie, dans laquelle il est très difficile de dégager le minimum de trésorerie nécessaire pour débuter toute activité nouvelle (Lautier 1994).

Le mécanisme de formation des prix est également original et s'éloigne en partie des mécanismes du Marché. Pour chaque transaction, le prix est issu d'une négociation entre deux agents, ce qui correspond au « marchandage » et prend en compte, au-delà de la loi de l'offre de la demande, toute une série d'éléments de la sphère sociale. Cependant, l’environnement reste très

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largement concurrentiel et l’offre comme la demande sont généralement atomisées, ce qui constitue une base de la concurrence pure et parfaite.

Le Tableau 11 résume les différences entre économies formelle et informelle sur la base du mode d’organisation de l’activité, de la finalité de l’échange et de la propriété des moyens de production.

Tableau 11 : Clés de comparaison des systèmes d'échange formel et informel

Système d’échange Informel Classique

Règles d’organisation Par la confiance dans le cadre de

relations non anonymes

Par la concurrence dans le cadre de relations anonymes ou contractualisées

Finalité de l’échange Sociale ou économique Profit

Propriété des moyens de production

Capital souvent peu important, voire inexistant et pouvant relever d’une

appropriation « circulaire »

Appropriation personnalisée individuelle ou collective des moyens de production D’après (Rey 1994)

Sur le plan pratique, le secteur informel se caractérise également par une faiblesse des coûts fixes des unités productives, ce qui permet un morcellement des échanges dans le temps, bien adapté aux capacités de paiement des populations, et dans l’espace, avec une multiplication des points de vente (Rey 1994). On assiste à une multiplication des intermédiaires, renforçant ainsi le pouvoir de ciment social de l’ « argent chaud ».

S. Latouche (Latouche 1998) pousse le raisonnement plus loin et veut voir dans le secteur informel, en particulier africain, l’ébauche d’une nouvelle société, rejetant l’approche classique et libérale de l’ « homo oeconomicus » purement cartésien et calculateur, et s’éloignant de la mondialisation libérale pour « réenchâsser » l’économique dans le social.

Sans entrer dans ces débats théoriques, force est de constater que la chasse commerciale fait généralement appel à des techniques prohibées et/ou se déroule pendant des périodes interdites ; elle est alors illégale tandis que la commercialisation de la venaison bénéficie au mieux, actuellement, d'un flou juridique, sans réelle reconnaissance de la part de l’Etat. L'ensemble de la filière venaison relève donc de l'économie informelle et il conviendra d'adapter les concepts et la méthodologie de travail à cette réalité.