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d'approvisionnement des villes en venaison sont soumises à des contraintes fortes qu

1.1 Définition et analyse du vocabulaire utilisé

1.1.6 La durabilité et la viabilité

1.1.6.1 Définitions, durabilité forte et durabilité faible

Rappelons tout d'abord les conclusions du § 1.1.4 : les réflexions sur les ressources naturelles conduisent implicitement à les faire entrer dans la sphère de la production, ce qui revient à traîter la nature comme un capital. Dans cette approche économique, le capital comprend alors :

le capital produit, qui correspond aux moyens de production fabriqués par l'homme, aux infrastructures et aux actifs incorporels et financiers,

le capital humain, avec des gens instruits et en bonne santé,

le capital social, soit l'ensemble des réseaux, des normes et des valeurs qui permettent la coopération et bâtissent la confiance, et

le capital naturel, qui regroupe l'ensemble des éléments naturels entrant dans le processus de production ou régulant les grands cycles biologiques (Barthélemy, Nieddu et al. 2004).

Dans une optique de durabilité et dans une vision à long terme, le capital, sous ses différentes formes, doit être assimilé à un patrimoine ; il ne s’envisage plus au niveau d’une personne physique

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ou morale et dans un horizon temporel limité, mais il est constitué d’éléments considérés comme fondateurs de la vie d’un groupe social et indispensables à sa perpétuation.

Cette approche patrimoniale de la durabilité s'inspire de la très vieille notion forestière du rendement soutenu. En France, elle apparaît pour la première fois dans l'ordonnance de Brunoy, prise en 1346, par Philippe VI et qui prescrit : « les maîtres des eaux et forêts enquerront et visiteront toutes

les forez et bois et feront les ventes qui y sont, en regard à ce que lesdites forez puissent perpétuellement soutenir en bon estat » (Boutefeu 2005). Ce principe du rendement soutenu, dans sa

dimension production de bois comme de toutes les aménités forestières, est, depuis près de sept siècles, à la base des aménagements forestiers.

Pendant des siècles, la pauvreté et la pénurie de biens matériels conduisaient à mettre l'accent sur la production de ce type de biens, avec des arbitrages, dans les conflits d'usage, assurés par l'autorité politique ; de nos jours, les évolutions économiques et sociales du monde développé ont multiplié les attentes de la société, en matière de gestion des milieux naturels. Ces demandes diverses sont souvent antagonistes et les processus de régulation autoritaires ne sont plus acceptés. Pour y répondre de façon raisonnable, il faut envisager une déconstruction de la notion de durabilité en répondant à trois types de questions (Lélé and Norgaard 1996) :

La durabilité de quoi ? À quelle échelle ? Et sous quelle forme ? Pendant quelle durée et à quel niveau de précision ?

A travers quel processus et avec quels compromis parmi les différents objectifs sociaux ? Dans l'étude des interactions entre l'homme et son milieu, il faut séparer l'observation de l'état du milieu à un moment donné et l'analyse des processus qui ont conduit à cet état et qui peuvent encore être en cours. Un état est rarement figé et il est le résultat, à l'instant t, d'un processus qui peut être stabilisé ou se poursuivre. Les échelles de temps peuvent être extrêmement variables et se compter en siècles, par exemple, si l'on étudie un écosystème forestier. L'échelle spatiale est également importante et le résultat des processus biologiques pourra être complètement différent, selon qu'on l'analyse à l'échelle d'une parcelle, d'un finage villageois ou à celle d'un paysage (Michon and Bouamrane 2000).

Pour ce qui concerne les ressources naturelles renouvelables, Mangel et ses coauteurs (Mangel, Talbot et al. 1996) définissent sept grands principes de gestion, devant permettre d'assurer leur durabilité :

l’incompatibilité du maintien en bon état des ressources naturelles vivantes avec une croissance sans limite de la demande humaine à leur endroit ;

la nécessité de sécuriser les options actuelles et futures en maintenant le niveau de la biodiversité, dans toutes ses dimensions. En règle générale, l'écosystème ne doit pas être perturbé au-delà des limites naturelles de variation ;

l’impératif de faire précéder tout nouvel usage d'une ressource ou tout changement dans les usages en cours d'une évaluation des effets possibles, sur le plan écologique et sociologique ; la régulation des usages d'une ressource basée sur la connaissance de l'écosystème et des impacts de ces usages en matière écologique et sociale.

la résolution des problèmes de conservation qui nécessite la mobilisation de l'ensemble des connaissances disponibles dans les domaines des sciences sociales et naturelles ;

l’analyse et la prise en compte, pour une conservation effective, des motifs, des intérêts et des valeurs de tous les usagers et non, simplement, une moyenne de leurs positions ;

la mise en place d’une communication interactive, réciproque et continue.

L'ensemble de ces dispositions s'inscrit dans la logique du principe de précaution, avec ses présupposés scientistes. Il est énoncé, dans la Constitution française, dans les termes suivants :

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« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

En matière opérationnelle, Vivien (Vivien 1994) propose trois principes généraux, devant garantir la durabilité des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables :

les taux de consommation des ressources naturelles renouvelables doivent être inférieurs ou égaux à leur taux de régénération,

les taux d'émission de déchets doivent être inférieurs ou égaux aux capacités d'assimilation des écosystèmes dans lesquels ces déchets sont rejetés,

l'exploitation d'une ressource naturelle non renouvelable doit se faire au rythme de sa substitution par une autre ressource naturelle, si possible renouvelable.

Cette notion de substitution, c'est-à-dire la possibilité de remplacer une ressource par une autre, est au cœur de la réflexion sur la durabilité (Vallée 2002; Brunel 2010).

Les tenants de la durabilité « faible » considèrent qu'il existe une très forte capacité de substitution entre les différentes formes de capital, grâce au progrès technique et à l'innovation. Cette forme de durabilité exprime une confiance élevée dans l'humanité et dans ses capacités d'apprentissage et d'adaptation.

La durabilité « forte » considère que le capital naturel a des caractéristiques spécifiques et qu'il est donc peu substituable. Cette analyse, qui privilégie l'écologie plutôt que l'économie, traduit une aversion au risque et justifie le principe de précaution.

L'ensemble des parties s'accorde sur le concept de capital naturel critique, qui correspond à la partie de l'environnement naturel réalisant des fonctions importantes et irremplaçables (Ekins, Folke et al. 2003). Les matières premières sont considérées par les ingénieurs et les économistes comme techniquement substituables les unes aux autres, la limite étant liée aux coûts éventuels de cette substitution (Giraud 2003). En reprenant le Tableau 16, on peut alors considérer que le capital naturel critique correspond à une partie des fonctions d'autorégulation de l'écosystème, indispensables au développement et au maintien de la qualité de la vie sur terre (Levrel 2007). La disparition de ce capital naturel critique engendrerait des déséquilibres écologiques qui conduiraient ensuite à des crises sociales et économiques irréversibles. Le niveau critique d'érosion du capital naturel correspond à un effet de seuil, lorsque la consommation d'une unité supplémentaire de ce capital conduit à un changement plus que proportionnel, voire irréversible, du fonctionnement de l'écosystème. Ce niveau peut difficilement être déterminé par la méthode expérimentale ; les interrogations sur le progrès technique, sa dynamique et son potentiel restent donc entières.