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P ERSPECTIVES HISTORIQUES

2.1 Les dispositions législatives générales

2.1.3 Le régime de gestion de la faune

2.1.3.4 Le contrôle direct des prélèvements

La législation cynégétique coloniale, dès l’origine, a développé une approche originale à cette époque, en prescrivant des contrôles au niveau des prélèvements de chaque chasseur. Il s’agit, d’une part, d’un plafonnement du tableau annuel et des tableaux journaliers, avec la mise en place des carnets de chasse et des certificats d'origine, et, d’autre part, d’une protection des femelles et des jeunes et, également, des oiseaux gibier.

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2.1.3.4.1 Les quotas annuels par permis

Dès 1916, le législateur oppose, en matière de prélèvements autorisés, les permis commerciaux et les permis sportifs.

Les permis commerciaux

Le fonctionnement de ces types de permis sera détaillé au § 2.2.2. En matière de quotas d’abattage, notons simplement qu’en 1916, le permis commercial de grande chasse n’est soumis à aucune restriction de prélèvement. Les limitations apparaissent dans le décret de 1929, avant que les permis commerciaux ne disparaissent de la législation à partir de 1935. Par manque de données d'archives fiables, il est actuellement très difficile d'estimer l'impact réel qu'a pu avoir cette activité sur les populations animales soumises à ses prélèvements, qu'il s'agisse des grands animaux comme l'éléphant ou le rhinocéros, des oiseaux à parure, comme les autruches ou les aigrettes, ou des animaux à fourrure, comme les colobes à manteau ou les potamogales (parpassa).

Le permis sportif de petite chasse

Ce permis n'est pas soumis à un système de quota annuel de prélèvements, mais le titulaire ne peut chasser que la petite faune non protégée ; il est cependant soumis aux diverses restrictions journalières qui seront évoquées plus bas.

Les permis sportifs de moyenne et de grande chasse

Les quotas annuels d’abattage par permis apparaissent dans la législation dès 1916. Les attributions vont varier dans le temps selon la nature du permis (moyenne ou grande chasse) et la qualité du titulaire (national, européen résidant ou touriste). Leur évolution suit le double mouvement général de la chasse sportive en Afrique centrale durant le XXème siècle :

une disparition progressive des grands animaux de la liste des espèces chassables, en particulier, successivement le rhinocéros noir, la girafe, l'hippopotame et l'éléphant

et un contrôle accru des prélèvements sur la faune moyenne et commune, à partir de 1955 (Cobs, damalisque et bubale), puis de 1974 (suidés, céphalophes divers, guib harnaché, ourébi).

1955 et 1972 sont en effet deux dates importantes en ce qui concerne les quotas d'abattage et la gestion de la faune. À la première date, les antilopes de savane de taille moyenne (Cobs, bubale, damalisque) sont intégrées dans la faune partiellement protégée ; en 1972, c'est le tour des suidés (phacochère, hylochère, potamochère) et des petites antilopes de forêt (divers céphalophes) et de l’interface savane-forêt (guib harnaché, ourébi). La structuration actuelle des prélèvements par la chasse sportive se met ainsi en place en deux étapes ; il est cependant difficile de savoir si ces évolutions sont initialement motivées par des considérations d'ordre biologique, avec une diminution significative des populations, ou d'ordre purement économique, afin d'augmenter la base taxable.

L’évolution des quotas de certaines espèces

Il est intéressant d'examiner, sur la longue durée, l'évolution des quotas de chasse sportive de certaines espèces animales :

l'éléphant voit son quota évoluer de 6 animaux pour le permis de grande chasse en 1916, à un individu par permis à partir de 1972, sa chasse étant fermée totalement en 1985. Entre 1929 et 1972, le quota varie entre 3 et 4 animaux. En ce qui concerne le permis de moyenne chasse, le quota initial, en 1916, est de 3 animaux ; il reste à une tête entre 1935 et 1974. On peut donc émettre l'hypothèse d'une certaine stabilité du cheptel, entre les années 1930 et

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1970, d'autant que des trophées de très grande taille ont été prélevés jusqu'à la fin de cette période.

La girafe, plus localisée géographiquement dans les savanes ouvertes du Nord et de l'Est de la RCA, suit une évolution comparable, avec des quotas plus faibles, mais qui autoriseront également des prélèvements jusqu'au milieu des années 1970.

Le buffle est réellement l'espèce constituant le fonds de la chasse sportive en Afrique centrale. Les quotas d'abattage, pour la grande comme pour la moyenne chasse, restent longtemps très conséquents (27 animaux en 1935,18 en 1944 et encore 4 animaux en 1983, pour le permis de grande chasse résident ; 12 têtes en 1935,16 en 1949 et 2 en 1974 pour celui de moyenne chasse) et cette espèce est toujours un produit d'appel pour la chasse sportive en RCA.

Les deux autres animaux emblématiques, le bongo et l'éland de Derby, feront, dès 1929, l'objet de prélèvements beaucoup plus prudents (1 à 2 individus par permis de chasse grande ou moyenne). Ces deux espèces sont de nos jours un atout majeur de l'économie

cynégétique centrafricaine. On doit cependant s'interroger sur l'origine de la bonne santé actuelle de ces populations ; s'agit-il du résultat d'un contrôle de longue date des

prélèvements ou bien des effets des caractéristiques biologiques et écologiques de ces animaux (petits troupeaux très mobiles et difficiles à chasser et à braconner pour l'éland en savane et animaux non grégaires, dans un milieu hostile, pour le bongo en forêt) ?

Le sort des félins est également intéressant ; le guépard, dont l'aire de répartition en RCA se limite à la zone sahélienne, dans la région de Birao, est partiellement protégé depuis 1944, avec des quotas de prélèvement très faibles (1 seul animal par permis de moyenne ou grande chasse résident) et sa protection devient intégrale en 1960. Le lion, la panthère ou le serval restent très longtemps des animaux nuisibles ; ce n'est qu'à partir de 1960 qu’une protection partielle leur sera accordée, d'abord dans la zone d'intérêt cynégétique. À partir de 1972, les quotas d'abattage sont limités (un animal par permis) et même, certaines années, sont annulés. Cette situation continue de nos jours, en fonction de l'état de la population, fortement liée, semble-t-il, à des risques épizootiques, comme la maladie de Carré, véhiculée par les chiens des éleveurs transhumants et contagieuse pour le lion. Lorsqu'un quota de lion ou de léopard est attribué, la taxe d'abattage atteint maintenant des montants très importants. Les animaux à parure (colobe, potamogale, aigrettes,…) sont maintenus, à un niveau très faible, dans les quotas d'abattage jusqu'aux années 1960. Il semble cependant que les pressions commerciales sur ce type d'animaux aient fortement diminué tout au long du XXéme siècle. De nos jours, les populations d’autruches, intégralement protégées depuis 1960, restent toujours dans une situation précaire. La chasse sportive n'est donc sûrement pas la seule cause de déclin de l'espèce.

Nous analyserons ultérieurement la situation des diverses espèces de crocodiles, passées successivement du statut de nuisibles à celui d'espèces commerciales, à la fin des années 1950, puis à celui d'espèces protégées à partir de 1984.

Actuellement, pour la chasse touristique, les quotas d’abattage, par espèce, sont attribués par l’Administration en fonction de la qualité et de la superficie du territoire dont disposent les sociétés de safari. Le nombre d’animaux qu’il est possible de prélever, pour chaque compagnie, est fixé par arrêté annuel du Ministre et détermine ainsi le nombre de permis disponibles et de clients qu’il est possible de recevoir.

2.1.3.4.2 Les prélèvements journaliers et hebdomadaires

Afin de restreindre les prélèvements excessifs sur certaines espèces grégaires ou lors des rassemblements des troupeaux sur les salines ou aux points d'eau, en saison sèche, dès 1929, le législateur prévoit de limiter à deux le nombre d'animaux d'une espèce d'antilopes donnée qu'il est possible de prélever dans la même journée. Cette disposition va concerner les titulaires des permis de

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chasse scientifique (article 4) et des permis sportifs (articles 6 et 8) et également les permis de ravitaillement (article 7). Par contre, elle ne s'applique pas, ce qui semble logique, à la chasse commerciale. Cette approche va être étendue, à partir de 1944, aux mammifères protégés et aux suidés, pour tous les types de permis.

En 1955, le nombre de mammifères qu'il est possible de prélever dans la même journée, toutes espèces confondues, est limité à quatre têtes, sauf pour les rongeurs, les damans, les singes non protégés et les petits carnivores. Cette double limitation journalière (pas plus de deux mammifères de la même espèce et pas plus de quatre mammifères, toutes espèces confondues) est maintenue dans la loi n° 60.141 (article 49) et dans l'ordonnance n° 84.045 (article 59).

Une limitation hebdomadaire apparaît également dans le décret de 1929 (article 7) : il n'est pas autorisé de prélever, dans le cadre du permis de ravitaillement, plus de sept animaux par semaine. Ce total, quel que soit le type de permis (ravitaillement, petite, moyenne ou grande chasse) est porté à 10 têtes dans le décret de 1944 (article 5), mais il est immédiatement réduit à sept animaux (suidés, antilopes) dans l'arrêté d'application de ce texte (article 2). Le décret de 1947 reprend ce quota hebdomadaire maximum de 10 mammifères, protégés ou non, pour tous les permis (articles 7,8 et 9), et cette disposition est maintenue dans les différents textes réglementaires jusqu'à nos jours (article 50 de la loi n° 60.141 et article 60 de l'ordonnance n° 84.045).

2.1.3.4.3 La protection des femelles et des jeunes

L'idée de protéger, dans une population animale sauvage, les femelles et les jeunes animaux est relativement récente. La protection des femelles s'appuie sur une vision « zootechnique » de la gestion de la faune ; comme dans un troupeau domestique, il convient d'avoir un maximum de femelles, produisant un maximum de petits et permettant ainsi, à terme, de prélever un maximum d'animaux. Cette approche est très ancienne pour les éleveurs, dès l'origine du pastoralisme, mais, en matière cynégétique, elle suppose une prise de conscience du caractère fini de la ressource.

La protection des juvéniles est basée sur les lois de croissance, de type logistique, des individus et des populations qui conduisent à récolter les jeunes animaux à la fin de la phase de croissance très active. Cette dernière approche est beaucoup plus récente et elle s'est probablement vulgarisée au cours du XIXème siècle, avec les progrès de la science économique et la recherche de l'optimisation du capital sur pied.

Ce mode de gestion est efficace lorsque les populations animales restent en dessous de la capacité de charge du milieu, ce qui était probablement déjà le cas, pour les très grands animaux (éléphant et rhinocéros) en Afrique centrale, au début du XXème siècle. Par contre, il devient extrêmement dangereux lorsque la densité animale approche de cette capacité de charge, car il peut entraîner des surpopulations néfastes pour le milieu et pour l'homme, comme ce que l'on peut observer, avec les éléphants, dans certains parcs nationaux d'Afrique australe ou, en Europe, avec l'explosion des populations de grand gibier.

La grande chasse sportive s'intéresse en priorité à la récolte du trophée d'un grand mâle dominant, à l'apogée de sa puissance ; le chasseur fait alors la preuve de ses capacités techniques et humaines en s'appropriant symboliquement les qualités de l'animal de chasse ; elle s’intègre donc bien dans cette logique ; par contre, pour le petit gibier, il est souvent difficile de distinguer mâles, femelles et juvéniles et, d’autre part, le nombre intervient directement dans la qualité du tableau de chasse. La chasse commerciale est également dans une logique quantitative proche.

La législation cynégétique coloniale va ainsi se trouver prise entre deux logiques :

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et organiser les prélèvements dans l'optique de la chasse sportive aux trophées, en privilégiant la chasse des grands mâles dominants et difficiles à prélever.

Les espèces commerciales et la protection des juvéniles

A partir de 1904, puis, dans les années 1920, divers arrêtés (janvier 1925, août 1926, juillet 1927) interdisent la vente et l'exportation (donc la chasse commerciale) des pointes d'éléphant d'un poids inférieur d'abord à 2 kg (arrêté du 1° juillet 1904), puis à 4 kg. Le décret de 1929 (article 43) fixe la limite inférieure de commercialisation à 5 kg et le décret de 1936 (article 14) prévoit même la confiscation de ces petites pointes par l'administration.

À partir de 1944, ces dispositions ne sont pas reprises, car la chasse commerciale pour la collecte de l'ivoire est devenue illégale. Elles réapparaissent cependant dans les ordonnances n° 74.045 (article 11) et 84.045 (article 58), qui prévoient que seuls les éléphants portant des pointes de plus de 10 kg sont considérés comme adultes et peuvent être abattus.

En 1958, l'assemblée territoriale de l'Oubangui-Chari (délibération n°157/58), puis le Grand Conseil de l'A.E.F. (délibération n° 82/58-1573) adoptent une logique comparable, en ce qui concerne les peaux de crocodile, en interdisant « l'exportation des peaux d'une largeur inférieure à 25 cm, ainsi

que la détention, le transport, le trafic, l'achat, la vente, le tannage de ces peaux ». Cette disposition

doit permettre aux jeunes crocodiles de terminer leur phase de croissance rapide et, également, d'accéder à la reproduction.

En 1960, les lois n° 60.140 (article 22) et n° 60.141 (article 53) reprennent cette mesure en l'étendant aux varans. Puis, le crocodile va acquérir le statut d'animal totalement protégé (1960) pour les animaux de taille inférieure à la taille légale de prélèvement et, à partir de 1984, l'espèce est intégralement protégée.

La chasse sportive et la protection des femelles

Après les premiers efforts, dès 1916, pour organiser la chasse sportive, le décret de 1929 prévoit, à l'article 21, d'épargner les femelles suitées, quel que soit le gibier. Cette recommandation est reprise dans le décret de 1936 (article 14), puis dans celui de 1944 (article 33). Il s'agit alors de poser le principe de la chasse sportive, privilégiant la récolte des grands mâles.

En 1947, le décret 47.2254 passe du stade de la recommandation à celui de l'interdiction de la chasse des femelles (article 23) ; en particulier, il classe les femelles des espèces partiellement protégées dans la catégorie des animaux intégralement protégés, avec les sanctions judiciaires pouvant être appliquées en cas d'infraction. Cette mesure, pour certaines espèces, est particulièrement difficile à appliquer, lorsque les signes de différenciation sexuelle entre mâles et femelles sont peu apparents, comme chez certaines antilopes. L'arrêté d'application de 1949 (articles 2 et 20) est d'ailleurs plus nuancé, puisqu'il considère que cette interdiction doit être appliquée « dans toute la mesure du possible ».

Le décret de 1952 rapporte ce classement en protection intégrale des femelles des espèces partiellement protégées et son arrêté d'application (article 20), en 1953, reprend le principe de la chasse des mâles adultes et comptabilise, dans le quota d'abattage disponible, une femelle abattue pour deux unités. Cette solution intéressante, car elle responsabilise le chasseur, ne sera cependant pas reprise dans la législation après 1960, qui va se limiter à une attitude répressive, en interdisant et en pénalisant l'abattage des femelles.

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2.1.3.4.4 Les oiseaux gibier

Durant la première moitié du XXéme siècle, la gestion de l'avifaune a été essentiellement consacrée au contrôle des prélèvements sur les populations d'oiseaux à parure, qu'il s'agisse de l'autruche, des aigrettes ou des marabouts. La plupart de ces animaux ont d'ailleurs été classés, à partir de 1916 et, surtout, de 1929, dans la catégorie des animaux partiellement ou intégralement protégés.

En 1944, le législateur s'est préoccupé de la petite faune aviaire, qui est un des fonds de chasse pour les porteurs de permis de petite chasse. Il a ainsi défini, à l'article 27, la liste des oiseaux considérés comme gibier et pouvant donc être chassés sans restrictions particulières. Il s'agit, d'une part, d'un certain nombre d'espèces migratrices, souvent des limicoles, rassemblées en Europe sous le vocable de « sauvagine » et, d'autre part, d'espèces sédentaires dont les mœurs se rapprochent du gibier à plume européen (outardes, cailles, francolins, tourterelles,…).

2.1.3.4.5 Le carnet de chasse et les certificats d’origine

Pour permettre le suivi des prélèvements des grands animaux de la faune partiellement protégée, le décret de 1916 prévoit, à l'article 13, qu'un carnet d'abattage, permettant de tenir le compte des animaux tués, doit être annexé aux permis sportifs de grande et de moyenne chasse. Ce document doit indiquer les dates et les lieux où les animaux ont été abattus. Il doit être retourné au service de gestion de la faune, à la fin de la validité du permis ; il lui permet de suivre l'évolution du cheptel et de vérifier le paiement des taxes d'abattage, lorsqu'elles sont instituées.

En 1929, afin de contrôler la circulation et l'exportation de l'ivoire et des cornes de rhinocéros, le décret prévoit, aux articles 42 et 43, la délivrance au titulaire du permis de chasse d'un certificat d'origine, garantissant que ces dépouilles ont été obtenues légalement. Ce certificat est établi par le chef de District et fait référence au numéro du permis de chasse correspondant ; de plus, les trophées sont estampillés pour permettre leur identification. À partir de 1936 (article 24), le certificat d'origine devient obligatoire sur les dépouilles et les trophées de toutes les espèces partiellement protégées.

Ces deux innovations de procédure sont maintenues jusqu'à nos jours ; le principe du certificat d'origine a en particulier été repris, à l'échelle mondiale, dans la convention de Washington (CITES) qui permet la circulation internationale des trophées des espèces partiellement protégées. Curieux retour des choses, le carnet de prélèvement de la législation coloniale est également en train de connaître un nouveau développement en France, avec la mise en place progressive du CPU35 (carnet de prélèvement universel), qui devrait permettre de suivre l’évolution des prélèvements cynégétiques.