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P ERSPECTIVES HISTORIQUES

2.1 Les dispositions législatives générales

2.1.3 Le régime de gestion de la faune

2.1.3.2 Les espèces nuisibles et la protection des personnes et des biens

2.1.3.2.1 Les nuisibles

Au début du XXéme siècle, lors de l'élaboration des premiers textes organisant la gestion de la faune en Afrique centrale, la société française est encore largement rurale et développe une vision dichotomique et anthropocentrée de la nature et de la faune ; les animaux sont ainsi classés en deux catégories : les espèces utiles à l'homme, dont, bien sûr, les animaux domestiques, et les espèces nuisibles, susceptibles de causer des dommages aux récoltes agricoles, aux espèces domestiques, au gibier ou de porter atteinte à la santé et à la sécurité publique. Cette conception inspire directement la législation de la chasse coloniale, puis postcoloniale.

Le décret de 1916 prévoit, dans son article 1, que le Gouverneur Général doit établir la liste des espèces nuisibles et dangereuses, ce qui est fait dans l'article 5 de l'arrêté du 29 décembre 1916. Le décret établit également (article 2) que la destruction des animaux nuisibles ne nécessite pas la possession d'un permis de chasse. Les animaux nuisibles sont donc les félins, les sauriens, les

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reptiles et les rapaces diurnes, à l'exception de l'aigle serpentaire (ou secrétaire), grand destructeur de serpents.

Cette liste n'est pas remise en question jusqu'en 1944, même pendant la négociation de la convention de Londres.

Le décret de 1944, dans son article 56, fait référence aux « animaux dits nuisibles » et souligne que « chaque espèce a sa place dans l'équilibre de la nature » et, donc, « qu'aucun animal

vertébré n'est déclaré nuisible de façon permanente en A.E.F., à l'exception des serpents venimeux ».

Ceci limite fortement les possibilités de destruction sans permis de chasse. Ce texte et les présupposés scientifiques qui le soutiennent sont largement en avance sur la législation métropolitaine en la matière.

L'arrêté n° 118 du 15 février 1949 revient cependant sur ces dispositions avant-gardistes en intégrant de fait les « carnivores dangereux pour les personnes ou les biens » parmi les animaux susceptibles d'être détruits sans faire acte de chasse, au même titre que les serpents venimeux. Cependant, à partir de 1953 (article 21 de l'arrêté n° 2314), de nouveau, seuls les serpents venimeux sont considérés comme nuisibles. Cette disposition est confirmée dans l'article 9 de la loi n° 60.141, mais l'ordonnance de 1984 évacue totalement le problème des nuisibles.

En vue du contrôle des animaux nuisibles, le décret du 28 août 1935 reprend les dispositions de la législation française, qui remontent à Charlemagne et à la création de la louveterie, en créant des « lieutenants des chasses », chargés en particulier de ces opérations. Le texte d'application (arrêté n° 51.769) organisant cette institution ne sera pris cependant qu'en 1951 et cette fonction disparaît à l’Indépendance.

2.1.3.2.2 La défense des personnes et des biens

Du fait des conditions de vie en Afrique centrale et de la puissance de la vie animale sauvage, la défense des personnes et des biens a toujours été un souci important de l'Administration, ce qui apparaît nettement dans les différents textes législatifs.

L'article 5 de l'arrêté du 31 octobre 1916 autorise les indigènes à détruire, par pièges, par fosses ou avec des armes, toutes les espèces animales en vue de protéger leur personne, leurs cultures ou leur village. Le décret de 1929 (article 32) confirme la légalité de l'abattage pour la légitime défense, de soi-même ou d'autrui. Il impose cependant une déclaration de cet abattage à l'administration, sans délai. Le décret modificatif de 1930 impose de plus, de tenir compte des besoins des Africains, en ce qui concerne leur propre défense ou la sauvegarde de leurs cultures, pour établir la liste des animaux protégés.

Le décret de 1944 (article 61) définit la légitime défense, comme la nécessité actuelle de sa propre défense, de celle d'autrui, de sa propre récolte ou de son propre cheptel. Un abattage dans ce cadre, n'est pas une infraction, mais il doit être déclaré au plus vite aux autorités. Par contre, les actes de provocation préalables à une attaque annulent la légitime défense.

L'arrêté n° 1316 du 17 juin 1944 autorise, à l'article 18, le piégeage et la chasse aux filets de la faune non protégée, dans un rayon de 5 km autour des villages, afin d'assurer la protection des cultures. Il précise, à l'article 19, que les autorisations de destruction évoquées ci-dessus ne concernent que les fauves non protégés (ce qui, à l'époque, intègre les félins) et qu'il convient, préalablement, de faire intervenir les lieutenants des Chasses et les chasseurs sportifs. Compte tenu de la valeur des peaux, il supprime également les primes versées pour la destruction des nuisibles. Ces dispositions concernant le piégeage de la faune non protégée seront reprises dans les textes de 1947, de 1949, de 1953. L'arrêté n° 687/CH du 22 août 1956, à l'article 11, réduit à 1 km le rayon de piégeage autorisé autour des villages ou des plantations d'une surface minimum d'un hectare d'un

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seul tenant. D'autre part, l'usage des pièges et des collets métalliques reste prohibé, même pour la défense des cultures. Après l'Indépendance, la loi n° 60.77 autorise l'usage des pièges métalliques par les résidents pour détruire les mammifères petits et moyens, des prédateurs des basses-cours. Pour être importés, ces pièges doivent être conformes aux normes des Eaux et Forêts. La loi n° 60.141, à l'article 8, confirme la définition de la légitime défense et en exclut la provocation des animaux dangereux. L'article 10 exclut cependant la possibilité d'indemniser les dommages causés par la faune sauvage.

L'ordonnance n° 84.045 va rompre totalement avec cette logique presque séculaire. Dans son chapitre V, consacré à la défense des personnes et des biens, elle prévoit que « les services chargés

de la faune favoriseront la connaissance et l'utilisation des procédés permettant d'empêcher les prédateurs d'endommager les cultures ou de tuer le bétail » (article 94) et reconnaît simplement aux

propriétaires ou aux usagers « le droit de repousser de leurs terres les animaux qui feraient courir à

leur bétail et cultures un danger immédiat » (article 95). En cas de danger pour les personnes ou les

biens, l'administration doit solliciter les services de la faune qui décident de l'opportunité éventuelle d'une battue administrative (article 96).

Pour comprendre la portée de ces dispositions, il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'en France, le retour remarquable du grand gibier est lié directement à l'abandon du droit d'affût et de destruction par les agriculteurs, en contrepartie de l'indemnisation des dégâts de gibier. D'autre part, le retour actuel des grands prédateurs (loup, lynx), même s'il reste largement conflictuel, est également facilité par la possibilité d'indemniser les dommages sur les troupeaux. Dans le contexte centrafricain, qui n'autorise pas la possibilité d'une indemnisation effective des dégâts, cette abolition de fait du droit de destruction des nuisibles, pour un illusoire « droit de repousser » paraît franchement surréaliste.

Lorsque les mesures individuelles de protection des personnes et des biens sont insuffisantes, la législation cynégétique prévoit l'organisation de battues administratives, sous la direction et le contrôle de l'autorité légale. L'arrêté du 31 octobre 1916 prévoit ainsi, à son article 5, pris en application de l'article 1 du décret du 1er août 1916, que les chefs de District pourront autoriser les indigènes à organiser des battues pour la protection des personnes, des cultures et des villages. Ces dispositions seront reprises, sans changement majeur, jusque dans la loi n° 60.140 sur la protection de la nature.

L'ordonnance n° 84.045, de juillet 1984, comme nous l'avons vu plus haut, est extrêmement brève en ce qui concerne la protection des personnes et des biens et n'envisage la battue administrative ou la destruction qu’en dernière extrémité. Son autorisation relève des services de la faune, sollicités par les responsables de l'ordre public (article 96). Après l'exécution par le service des Chasses, ce dernier doit rendre compte au Ministre (article 97).

Les nuisances liées à la faune sauvage sont un réel problème pour les villageois, qu’il s’agisse de la grande faune, des éléphants ou des buffles, ou des petits ravageurs des cultures comme les singes ou les rongeurs. En ce qui concerne leur contrôle, la législation montre une remarquable continuité dans les approches proposées, du début du XXèmesiècle jusqu’en 1984. La vision des nuisibles est issue du monde rural européen et semble bien s’adapter à l’image de la faune des villageois africains. Les dernières modifications s’inscrivent dans une logique différente, proche de l’écologie profonde et des mouvements des droits des animaux, et il serait très intéressant et instructif de connaître le cursus des assistants techniques de la FAO qui ont appuyé, à cette époque, les réformes de la législation de la chasse dans toute l’Afrique centrale.