• Aucun résultat trouvé

P ERSPECTIVES HISTORIQUES

2.1 Les dispositions législatives générales

2.1.2 L’organisation de la chasse

Dans le cadre de l’économie de subsistance, existant en Afrique centrale, au moment de la conquête coloniale, l'appropriation de la faune ne pose question que pour les productions animales présentant une valeur économique. En particulier, dès l'implantation européenne, les produits animaux faisant l'objet d'un commerce international, comme l'ivoire ou la corne de rhinocéros, vont attirer l'attention du législateur ; par contre, la viande de chasse, initialement très abondante, mais sans débouché commercial, n'a pas fait l'objet de dispositions juridiques particulières. Assez rapidement, la collecte de l'ivoire va se stabiliser, du fait des ponctions importantes sur le cheptel et des restrictions imposées par la loi aux chasseurs, tandis que l'aspect alimentaire de la venaison, à la fois pour les populations locales et pour l'approvisionnement des grands chantiers de travaux publics ou des mines, va voir son intérêt socio-économique s'accroître ; dans le même temps, la chasse sportive ne va plus être réservée à quelques personnes résidant sur place, mais va s'ouvrir aux touristes européens ou américains fortunés. Dans ce dernier cas, la venaison n'est qu'un sous-produit de la chasse, sans intérêt majeur, et la ressource économique est constituée par le trophée, en fonction de sa qualité.

2.1.2.1 Droit de chasse et droit de chasser

Le droit cynégétique moderne est structuré, dès l'origine, par les deux concepts de droit de chasse et droit de chasser, que nous avons évoqués plus haut.

En France, le droit de chasser, depuis la Révolution Française, n'est plus un privilège royal ou seigneurial, mais c'est un droit personnel, reconnu à chacun, à condition d'avoir atteint un âge minimum et de disposer de ses droits civiques ou de séjourner en France de façon légale. À partir de

146

1976, ce droit ne peut s'exprimer qu'après le passage d'un examen, sanctionnant une formation théorique et pratique à la gestion de la faune.

En Afrique centrale, sous la colonisation, le droit de chasser sera en fait conditionné par le statut personnel, social et, surtout, racial, des individus. Cette distinction apparaît d'abord pour l'acquisition des armes, ce qui conditionne évidemment les techniques de chasse et les espèces prélevées. Nous verrons plus loin que les armes modernes sont réservées aux Européens ou aux Africains évolués, les indigènes se contentant des fusils de traite ou des armes traditionnelles. Dans ce dernier cas, le gibier récolté est en fait destiné essentiellement à l'approvisionnement des collectivités locales et les règles de chasse, sous réserve, pour chacun, de chasser sur les terres coutumières de son ethnie, sont adaptées à ces conditions techniques. Le droit de chasser d'un indigène est ainsi inscrit géographiquement, dans les limites de son territoire tribal, et socialement, en fonction des droits d'usage reconnus à son ethnie.

Le statut indigène présente cependant, en matière de chasse, certains avantages, d'une part, le droit de chasser, avec les armes et selon les méthodes traditionnelles, sans payer de permis et, d'autre part, le droit d'utiliser à la chasse du petit gibier, une arme de traite, avec uniquement un permis de port d'armes, sans autre permis de chasse. L'exposé des motifs du décret du 1er août 1916 appelle au respect « des habitudes et des droits ancestraux des populations, dont une grande partie

vit du produit de la chasse », même si cet aspect ne sera pas explicité dans le texte. Cette situation

est confortable puisqu’en droit français, d'après la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans son article 5, « Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché ». Ce flou est maintenu dans le décret de 1929, qui précise, en outre, à l'article 38, que des autorisations gratuites de chasse peuvent être accordées par le gouverneur, en cas de nécessité de ravitaillement des populations.

Il faudra attendre le 7 novembre 1937 pour que le décret du 13 octobre 1936, réglementant l'exercice de la chasse dans les principaux territoires africains relevant du Ministère des Colonies et le décret du 24 septembre 1937, modifiant le précédent, soient promulgués. Ce délai d'un an laisse supposer des réticences de l'Administration Centrale, à l'encontre des dispositions de ces textes. L'article 12 prévoit que « les indigènes sujets français et les administrés sous mandat français peuvent

obtenir des permis sportifs ordinaires ou des permis spéciaux de moyenne ou de grande chasse, dans les conditions spécifiées aux articles 5,6 et 7 », c'est-à-dire dans les mêmes conditions que les

expatriés. L'Administration conserve cependant la faculté de ne pas délivrer le permis, sans avoir besoin de justifier son refus, quel que soit d’ailleurs le demandeur, européen ou africain. Il faut également, bien sûr, que les armes du postulant soient en règle.

Après 1945, les Africains pourront obtenir des armes perfectionnées de plus en plus facilement et, à l'indépendance, une législation unique, pour l'achat des armes et des munitions, s'appliquera naturellement à tous. Par contre, le droit de chasser issu de la coutume, pour l’autoconsommation, est toujours maintenu, jusqu'à nos jours, et peut donc faire apparaître des inégalités de traitement entre chasseurs nationaux, selon l'origine ethnique et la zone de chasse de chacun.

2.1.2.2 L’appropriation de la faune par l’Etat

Comme ce qui peut être observé en matière foncière, le législateur, face à un monde africain dont le rapport à la nature était totalement différent de la vision moderne des Européens et dont l'économie restait pour une très large part autarcique, a eu d'énormes difficultés pour concilier des concepts souvent opposés. À l'origine, l'État colonial, grâce à une occupation très lâche de l'espace et, donc, à une disponibilité abondante de la terre, a pu se poser comme propriétaire régalien du sol, en vertu du droit de conquête et s’approprier « les terrains vacants et sans maître » (article 1 du décret du 28 mars 1899, relatif au régime foncier du Congo français), soit l’essentiel de l’espace (de Dampierre 1967).

147

Très rapidement, au tournant du siècle, en application du principe « La colonie doit se suffire à elle-même », et coûter le moins possible au budget de l’Etat français, la mise en valeur de l’A.E.F nécessite un appel massif aux capitaux privés ; en contrepartie d’une mise en valeur économique et de l’équipement des terrains qui leur sont confiés, les sociétés concessionnaires sont autorisées, pour une durée de 30 ans, à « s’établir sur les territoires… et à y exercer... tous droits de jouissance et

d’exploitation, sauf en ce qui concerne les mines ».

En matière de productions animales, et en dehors des dysfonctionnements qui apparaissent très rapidement dans le système concessionnaire, cette politique s'est heurtée, d'une part, à la volonté de l'État de se substituer aux chefferies locales pour garder le contrôle du commerce de l'ivoire et les revenus qui lui étaient liés et, d'autre part, à la nécessité de garantir aux populations locales un accès à la ressource essentielle, en matière alimentaire, constituée par la viande de chasse (de Dampierre 1967).

Le gibier en lui-même pose également un problème sérieux, du fait de sa mobilité, pour établir un droit de propriété sur lui. Nous avons vu que la législation métropolitaine séparait clairement le droit de chasse, attribut du droit de propriété foncière, et la propriété du gibier, « res nullius » tant qu'il est en liberté dans la nature et dont l’appropriation est liée à la capture. À l'inverse, en A.E.F., l'État, propriétaire régalien de l'ensemble du sol, s'est également attribué la propriété de la faune sauvage et de ses produits. Ce principe, même lorsqu'il ne sera pas explicité, va rester sous-jacent dans toutes les dispositions législatives et, même, dans la législation cynégétique postcoloniale.

Tous les textes législatifs successifs refléteront l'ambiguïté entre cette position de principe et les réalités socio-économiques, qu'il s'agisse de la situation des compagnies concessionnaires, au début du siècle, de la mise en place des permis de chasse et de la gestion de l'ivoire, de la gestion des populations de sauriens dans les années 50-60 ou des essais de décentralisation de la gestion de la faune, dans les années 1960 ou depuis 1995.

2.1.2.2.1 La situation des compagnies concessionnaires

À leur création, les sociétés concessionnaires ne disposaient pas d’un monopole commercial, interdit, dans le bassin du Congo, par le traité de Berlin de 1885, mais d'un monopole d'exploitation des produits du sol, issus de leur concession, l’exploitation s’entendant en matière agricole, forestière et industrielle. Ceci concernait, au premier chef, le caoutchouc de lianes, mais aussi l'huile de palme et les palmistes et, également, l'ivoire qui jouera un rôle important dans le rendement financier des compagnies.

Dans la pratique, les compagnies concessionnaires s’appuieront sur le fait que les échanges avec les villageois sont basés sur le troc (produits du sol contre marchandises) et non sur l’échange monétaire, pour interdire l’implantation de factoreries libres sur leur concession et pour éliminer ainsi la concurrence des commerçants indépendants, en particulier sur les produits principaux (de Dampierre 1967; Coquery-Vidrovitch 1972).

Ce monopole d'exploitation (et, en fait, de commercialisation) restera effectif pour les produits végétaux, par définition, immobiles. Par contre, pour les produits animaux, principalement l'ivoire et la corne de rhinocéros, prélevés sur des animaux mobiles et dont il est très difficile de déterminer l'origine précise, le monopole sera très rapidement, dès le début du siècle, remis en question par les commerçants libres, désireux eux aussi de profiter de cette manne (de Dampierre 1967).

Le cahier des charges type des sociétés concessionnaires prévoyait d'autre part que les zones de chasse, de pêche et d'activités vivrières des communautés africaines devaient être délimitées par l'Administration et exclues des périmètres concédés (de Dampierre 1967).

148

2.1.2.2.2 Chasse et propriété du gibier

Le premier texte réglementant la chasse en Afrique Équatoriale Française, le décret du 1er août 1916, prévoit, dans son article 2, que « nul ne peut se livrer à l'exercice de la chasse en

Afrique Équatoriale, à l'exception de la chasse aux animaux nuisibles ou dangereux, sans être muni d'un des permis spécifiés ci-après ». Ce permis de chasse est distinct du permis de chasse

métropolitain, établi par la loi de 1848, ce dernier n'étant en fait qu'un permis de port d'armes, permettant de taxer les fusils de chasse.

En effet, en complément de la législation sur la chasse, l’arrêté du 18 janvier 1916, pris en application du texte de base de la législation sur les armes en AEF (décret du 7 septembre 1915), précise, dans son article premier, que « nul ne peut être détenteur d'une arme perfectionnée, sans

avoir obtenu un permis de port d'armes, délivré par le Lieutenant Gouverneur….. » et, dans son

article 6, que « nul indigène ne peut être détenteur d'armes et de munitions de traite s'il n'a obtenu un

permis de port d'armes, délivré par le chef de la circonscription administrative… ». Pour chasser en

A.E.F. avec une arme à feu, il faut donc être titulaire, d’une part, d’un permis de port d’armes et, d’autre part, d’un permis de chasse. Nous verrons plus loin que le montant de ces permis est très loin d'être anecdotique.

A l’inverse de la situation française, le permis de chasse correspond donc, dans les faits, à l’achat d'une autorisation de prélèvement d'un bien privé de l'État.

Si le permis de chasse donne accès aux territoires dont l'État reste le propriétaire, par contre, l'article 3 du décret du 1er août 1916 exclut la faculté de chasser, sans le consentement du propriétaire, du concessionnaire ou de leurs ayants droit, sur les terrains complantés, sur les propriétés et les terres concédées régies par les décrets de 1899. Ces dispositions seront confirmées, en ce qui concerne les propriétés, par l'article 29 du décret du 25 août 1929 réglementant la chasse en AEF, qui dispose que « les différents permis énumérés ci-dessus ne peuvent donner le droit de

chasse sur les propriétés privées ou concessions agricoles bornées d'une façon apparente ». D'autre

part, comme dans le droit métropolitain, « la présente réglementation n'est pas applicable aux

propriétés privées effectivement closes où le droit de chasse reste ouvert en tout temps aux propriétaires ».

Le décret de 1929, confirme, dans son article 1, que « nul ne peut chasser sans permis », sauf, sur autorisation administrative, pour assurer, en cas de nécessité constatée, le ravitaillement des populations (article 38) ou en cas de dommages aux cultures ou de danger sur les personnes (article 40). Dans ce cas, la viande est laissée aux populations, mais l'ivoire ou les cornes de rhinocéros sont remis aux Domaines. Une prime, égale au maximum au quart de la valeur de ces dépouilles, peut être attribuée aux chasseurs villageois.

L'article 41 établit l'interdiction de s'approprier l'ivoire d'éléphant ou les cornes de rhinocéros trouvés dans la nature ; ils doivent également être remis aux Domaines, avec versement d'une récompense égale au quart de la valeur des trophées. Les chasseurs européens doivent se faire délivrer un certificat d'origine, établissant la preuve qu'ils étaient titulaires du permis de chasse correspondant à leurs trophées (article 42) et, donc, qu'ils avaient bien versé à l'État la taxe correspondante.

Le décret du 13 octobre 1936, modifié par le décret du 24 septembre 1937, reprend, dans son article 1, l'obligation de détention d'un permis de chasse, sauf pour assurer, en cas de nécessité, le ravitaillement des communautés dépourvues de ressources vivrières suffisantes ou pour abattre des animaux nuisibles ou dangereux, sur autorisation administrative (chapitre VII). L'article 9 modifie les redevances dues par les chasseurs : il faut en effet, d'une part, verser un droit fixe au moment de la délivrance du permis, d'autre part, payer une taxe d'abattage pour chacun des animaux prélevés.

149

Le vocabulaire employé est explicite, qu'il s'agisse d'une redevance, du paiement d'un droit fixe ou du règlement d'une taxe d'abattage. Le droit de chasse est bien une propriété de l'État et son utilisation nécessite le versement d'une redevance ; la faune appartient légalement à l'État et son appropriation par une personne privée suppose le versement d'une taxe. Cette position théorique s'est maintenue dans les législations jusqu'à nos jours. D'après la loi n° 60.141 du 9 septembre 1960, « le

gibier est propriété nationale. Il fait partie intégrante du domaine privé de l’Etat » (article 1). Ce texte

prévoit également que « Nul ne peut se livrer à un acte de chasse s’il n’est titulaire d’un droit de

chasse » (article 3) et définit ce droit de chasse dans l'article 4, dans les termes suivants : « Est titulaire d’un droit de chasse toute personne ayant un droit d’usage découlant de la coutume ou qui est détentrice d’un permis ad-hoc ». L'article 5 dispose que « le droit de chasse peut s'exercer sur toute l'étendue de la République Centrafricaine » en dehors des réserves et des parcs nationaux, des zones

urbaines et « des propriétés d'autrui closes ou d'accès interdit, signalées de façon apparente par les

propriétaires ou les usagers ordinaires ».

Ces dispositions seront reprises, dans des termes assez comparables, dans l’ordonnance n° 84.045 du 27 juillet 1984, mais le législateur déclare (article 1) que « la faune, en République

Centrafricaine, est partie intégrante du patrimoine national ». Il parle alors d'« autorisation de chasser » (titre II, chapitre I et section II) et non plus « de chasse ».

Les chasseurs titulaires d'un permis sportif, qu'ils soient centrafricains ou résidants, considèrent que ce permis leur donne accès à tous les terrains de chasse non concédés dans la zone de chasse banale, les contacts qu'ils ont avec les autorités villageoises relevant de la courtoisie et non d'une obligation légale. De leur côté, les guides de chasse et les organisations de safari, amodiataires des zones de chasse dans les zones forestières relativement peuplées, estiment que l'État, en prélevant les taxes d'amodiation, leur confie l'exclusivité de la gestion de la zone, au moins en ce qui concerne le grand gibier, en application de l'article 67. Sur le plan juridique, nous restons donc bien dans le cadre d’une appropriation de la ressource par l’Etat.