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P ERSPECTIVES HISTORIQUES

2.1 Les dispositions législatives générales

2.1.3 Le régime de gestion de la faune

2.1.3.3 Les périodes et les modes de chasse

Dès le début du siècle, le législateur s’est soucié d’encadrer les pratiques des chasseurs sportifs, dans le temps et dans les techniques ; en ce qui concerne la chasse commerciale, il s’est

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contenté, dans un premier temps, de limiter les techniques qui lui semblaient les plus destructrices et susceptibles de mettre en péril la ressource. Pour ce faire, il s’est appuyé sur l’expérience acquise en matière cynégétique en milieu métropolitain en organisant les périodes de chasse et en interdisant certaines pratiques.

2.1.3.3.1 Les périodes de chasse

L'analyse de la temporalité de la chasse peut être effectuée selon deux pas de temps : au niveau journalier, sauf en ce qui concerne éventuellement le gibier d'eau, la tradition de la chasse sportive considère la chasse de nuit comme du braconnage ;

au niveau saisonnier, depuis le XIXe siècle, la chasse est fermée durant la saison de

reproduction du gibier, principalement donc au printemps et en été, en Europe, pour protéger les femelles en gestation et la survie des jeunes non émancipés.

Nous allons voir comment ces dispositifs ont été adaptés aux conditions biologiques et socio- économiques de l'Afrique centrale.

La chasse de nuit à la lampe

Les premières dispositions concernant la chasse de nuit n'apparaissent que dans le décret du 25 août 1929, l'article 28 interdisant la chasse au phare. Cette interdiction est étendue, dans le décret d'avril 1935 (article 28 modifié) à la chasse au phare et à la lanterne. Le décret du 13 octobre 1936, dans son article 16, maintient cette interdiction, mais autorise les chefs de District et de Région à accorder des dérogations, sous leur responsabilité et leur contrôle ou celui des lieutenants des Chasses, en vue de la destruction des fauves et des animaux nuisibles. En A.E.F., des dérogations permanentes peuvent même être accordées aux villageois dans un rayon maximum de 5 km autour des habitats indigènes.

La convention de Londres (article 10, alinéa 2) interdit l'usage des lumières éblouissantes et des flambeaux pour la chasse ; en conséquence, l'ensemble des textes réglementaires et législatifs, à partir du décret de 1944, prohibe l'usage des lanternes de chasse et des phares et également l'importation, la vente, le don ou le prêt (arrêté n° 2314 du 16 juillet 1953, article 16).

Ces dispositions sont logiques dans le cadre de la chasse sportive, mais elles sont beaucoup plus discutables dans le cas d’une activité économique de récolte, comme la chasse commerciale. Nous aurons d’ailleurs l'occasion de montrer que cette disposition est totalement incontrôlable sur le terrain puisque les chasseurs villageois ont adapté les torches du commerce à cette pratique. Cette technique est toujours largement pratiquée, surtout en forêt, pour la collecte des céphalophes et elle semble, au moins dans ce milieu, très sélective dans les prélèvements.

Cette mesure contribue cependant à maintenir le chasseur commercial villageois dans l’illégalité.

L’ouverture et la fermeture de la chasse

En matière biologique, comme cela est indiqué plus haut, la logique d'une fermeture saisonnière de la chasse est liée, en milieu tempéré, à la saisonnalité de la reproduction. En Afrique centrale, où cette saisonnalité est rien moins qu’évidente, sagement, le législateur n'a pas repris cette proposition, de 1916 jusqu’en 1984.

Dans les décrets de 1916, l'article 1 prévoit simplement que les Gouverneurs peuvent décréter des périodes de fermeture de la chasse, sans référence particulière à un rythme annuel. L'arrêté d'application (article 3) suspend simplement la chasse à l'éléphant durant deux mois, du 1er

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juin au 31 juillet, ce qui n'a rien à voir avec la durée de gestation et d'élevage des jeunes de cette espèce et sans en préciser le motif, et la chasse aux oiseaux à parure (aigrette et marabout) du 1er décembre au 1er mai, ce qui, dans ce cas, correspond bien à la période de nidification.

Dans les textes ultérieurs, le principe d'une ouverture permanente de la chasse est posé, avec la possibilité, pour le Gouverneur ou, selon les cas, pour le Gouverneur Général, de fermer périodiquement ou exceptionnellement la chasse de toutes ou certaines espèces animales, selon les zones, dans un but de protection ponctuelle et de reconstitution de certaines populations animales. Selon les textes, la durée maximum de cette suspension de la chasse peut aller de trois à cinq ans.

Après l'Indépendance, la loi n° 60.141 maintient le principe de l'ouverture permanente de la chasse (article 6), avec la possibilité de la fermer par décret, pour certaines espèces, certaines périodes et certaines zones (article 7). En 1962, la loi n° 62.342, portant organisation de la chasse en zone de chasse banale, dispose, dans son article 2, que les Conseils Généraux de Préfecture peuvent proposer au gouvernement une fermeture temporaire de la chasse pour toutes ou certaines espèces, dans leur département respectif.

Par contre, l'ordonnance n° 84.0045, du 27 juillet 1984, innove également dans ce domaine en prévoyant des dates d'ouverture et fermeture de la chasse, fixées annuellement par arrêté ministériel portant règlement annuel de la chasse. Depuis près de 30 ans, cette disposition n'a jamais été appliquée, ce qui montre bien la prudence du ministère technique et tout l'intérêt de cette mesure…

2.1.3.3.2 Les modes de chasse et le piégeage

Dès 1916, l'administration s'est préoccupée d'organiser les différents modes de capture des animaux qui devaient répondre à deux exigences divergentes :

dans le cadre de la chasse commerciale des Européens ou de la chasse de subsistance des africains, les méthodes doivent être les plus efficaces et les plus rentables possible, sans porter atteinte à la capacité productrice du cheptel ;

dans le cadre de la chasse sportive, il convient de privilégier, au contraire, la difficulté de la prise et la sélectivité des méthodes, afin de concentrer les prélèvements sur les mâles, porteurs de trophées remarquables, tout en préservant les femelles reproductrices.

Un certain nombre de dispositions en ce sens sont présentes dans la législation depuis son origine. Nous allons maintenant les détailler, dans leur contexte et, lorsque c'est possible, en fonction de leur efficacité.

La chasse au feu

Dès 1916, la chasse au feu, en particulier la chasse à l'éléphant, est interdite, car on considère qu'il s'agit d'un moyen de chasse susceptible de détruire tout un troupeau. Cette interdiction rejoint également les prescriptions de la législation forestière qui, dès le début du siècle, s’opposait aux feux de brousse, vécus comme les ennemis de la forêt et des sols. Les techniques utilisées pour la chasse au feu sont détaillées dans l’annexe n° 8 et nous aurons l’occasion de montrer, dans la suite de l’exposé (§ 5.1.3.2) toute leur importance dans l'appropriation collective des terroirs de savane et, également, dans la dynamique de la végétation naturelle, à l'échelle du continent.

En tout état de cause, malgré son interdiction permanente, dans tous les textes réglementaires et législatifs, depuis bientôt un siècle, la chasse au feu reste une pratique largement partagée, même si, malheureusement, les animaux prélevés sont passés de l'éléphant à l'aulacode. Les fosses

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Cette technique de piégeage s'adresse particulièrement aux très grands animaux, éléphant ou rhinocéros. Sur un passage d'animal, les villageois creusent une fosse profonde, aux parois bien verticales, et plantent au fond des piques verticales sur lesquelles l'animal chassé viendra s'empaler, puis, pour masquer ce piège, ils recouvrent le trou avec une toiture faite avec des perches, des herbes, des feuilles et de la terre. Une haie artificielle est éventuellement installée pour former une sorte d'entonnoir de chaque côté de la fosse, ce qui pousse ainsi l'animal qui est, soit provoqué, soit effrayé, à s'engager sur cette plate-forme instable. Son passage provoque l'effondrement du toit, sa chute et son emprisonnement. L'animal est ensuite achevé à la lance par les chasseurs.

Cette technique, interdite par tous les textes depuis l’origine, est depuis longtemps anecdotique, car, avec la diminution de la densité des grands animaux, sa rentabilité est tout à fait aléatoire.

Le poison

Le décret de 1929 est le premier texte réglementaire faisant référence au poison. Il interdit en effet, dans son article 28, l'utilisation des appâts empoisonnés. Cette disposition sera reprise dans tous les textes locaux, y compris dans la loi n° 60.141 (article 48). Par contre, l’utilisation des armes empoisonnées bénéficie d’une tolérance, en décalage avec la convention de Londres qui interdit (article 10, alinéa 2) l'usage des poisons et des armes empoisonnées. Utilisés sur les armes de jet, les différents poisons de flèches renforcent l’efficacité du projectile (couteau de jet, flèche, carreau d'arbalète) mais ne risquent pas de provoquer des destructions massives et indifférenciées du gibier.

L'utilisation des flèches empoisonnées est interdite à partir de 1953 (article 16 de l'arrêté n° 2314), dans les régions d'élevage et, en 1956 (article 16 de l'arrêté n° 2928 bis), elle n'est plus tolérée que dans les régions de grande forêt. En 1960, le législateur a maintenu la possibilité de leur usage uniquement en forêt dense, dans la zone de chasse banale (loi n° 60.141, article 18), jusqu'à la mise en application de l'ordonnance n° 84.045 qui interdit leur utilisation, dans le cadre de la chasse coutumière (article 38) comme dans celui de la chasse sportive (article 61)

Les pièges métalliques

La position du législateur en matière de piégeage a toujours été délicate. On peut considérer que, reprenant la position classique du droit métropolitain, il a totalement exclu cette activité du champ de la chasse sportive. Par contre, en ce qui concerne le piégeage lié à la chasse commerciale ou à la chasse de ravitaillement, la doctrine est beaucoup plus variable, passant par des phases de sévérité qui doivent ensuite être nuancées dans les textes ultérieurs.

Le décret de 1929, à l'article 28, établit que le piégeage est soumis à l'autorisation du chef de District. Ce dernier, lorsque des animaux partiellement protégés sont visés, doit rendre compte au Gouverneur de sa décision et de ses effets. Les techniques de piégeage ne sont pas précisées dans ce texte. Le décret de 1936, qui, notons-le, a une portée sur l'ensemble des colonies françaises en Afrique et non uniquement sur l’A.E.F., interdit, à l'article 16, l'usage des pièges. Toutefois, dans l'alinéa suivant, il pose le principe de dérogations pour la protection des personnes et des biens et prévoit même, pour l’A.E.F., des dérogations permanentes pour les villageois dans un rayon de 5 km autour des villages.

Les restrictions d'usage des pièges métalliques apparaissent, pour la première fois, à l'article 16 de l'arrêté n° 2314 du 16 juillet 1953 ; leur importation, leur vente ou leur prêt sont interdits, dans les mêmes conditions que l'usage des lampes de chasse. A l'article 22, dans le cadre de la protection des personnes et des biens, le piégeage, avec les procédés traditionnels, est autorisé, en ce qui concerne la faune non protégée, mais les pièges métalliques et les collets en câble ou fil d'acier sont explicitement interdits. La loi chasse n° 60. 141 tolère cependant, en zone de chasse banale et pour la défense des personnes et des biens, l'usage des pièges métalliques des modèles agréés par l'administration (article 48) ; cette liberté disparaît dans l'ordonnance de 1984.

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Cette double approche, tolérance des techniques traditionnelles dans le cadre de la chasse de subsistance et interdiction des méthodes modernes de piégeage, en particulier des pièges métalliques et des collets en câble d'acier, se retrouve dans tous les textes jusqu'à nos jours. S'il est difficile de connaître l’efficacité de cette interdiction à l'origine, il est évident, de nos jours, que ces dispositions ne sont plus appliquées sur le terrain.

La chasse aux filets

La chasse aux filets est pratiquée en savane comme en forêt ; la technique est décrite en annexe n° 8.

Comme pour le piégeage, les premières restrictions apparaissent dans le décret de 1936 (article 16), avec les mêmes dérogations sur l'ensemble de l’A.E.F. Ces dérogations sont confirmées dans l'arrêté n° 1316 du 17 juin 1944, à l'article 18. Le décret n° 47.2254 de novembre 1947 maintient cette interdiction générale (article 25), mais l'arrêté d’application n° 2314 de juillet 1953 (article 22) autorise les villageois à utiliser la chasse aux filets, pour la protection des cultures, dans un rayon de 5 km autour des villages. Cette distance est réduite à 1 km en 1956 (article 11 de l'arrêté n° 687/CH).

Dans le cadre des droits d'usage, la loi n° 60.141 permet l'utilisation des filets uniquement dans la zone de chasse banale (article 18). Cependant, la convention d'Alger, dans son article 7, préconise une interdiction, « dans la mesure du possible », de ce type de technique. L'ordonnance n° 84.045 ne fait pas état de cette pratique dans les restrictions techniques sur la chasse coutumière (article 38) ; on peut donc considérer qu'elle l'autorise par défaut. Par contre, elle est interdite pour la pratique de la chasse sportive (article 61)

La chasse avec un véhicule motorisé

Le réseau routier accessible aux automobiles ne se met en place, en Oubangui-Chari, qu'à partir du milieu des années 1920, sous l'impulsion du Gouverneur Lamblin. La situation est identique dans l’ensemble de l’A.E.F. Logiquement donc, l'interdiction de la chasse en automobile n'apparaît que dans le décret de 1929 (article 28). Le décret de 1935 modifie cet article en incluant dans l'interdiction l'usage des aéronefs. Cette évolution est conforme à la convention de Londres de 1933 (article 10).

En 1944, le décret sur la chasse prévoit l'interdiction de « l'approche de tout gibier à moins de

500 m à l'aide d'un véhicule à moteur quelconque, y compris les bateaux à vapeur et les aéronefs, dans le but d'effrayer,….. ou de capturer le gibier ; la poursuite ou le tir de ce même gibier dans les mêmes conditions, à l'exception des crocodiles, à l'aide d'un bateau » (article 6).

Cette interdiction générale de l'usage des véhicules à moteur pour l'approche, la poursuite et le tir du gibier est reprise dans tous les textes législatifs et réglementaires jusqu'à nos jours. En effet, ce type de pratiques est incompatible avec la notion de chasse sportive et son approche éthique de la traque et du pistage des grands animaux. Elles ne sont d’ailleurs concevables que les zones de savane ouverte du Nord du pays et, dans le cadre de la chasse commerciale, pratiquée par les chasseurs villageois, elles ne sont pas d’actualité.