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P ERSPECTIVES HISTORIQUES

2.1 Les dispositions législatives générales

2.1.4 La partition de l’espace

Sans remonter, en Europe, aux forêts royales aménagées pour la chasse, les premières actions visant à protéger l'environnement naturel datent du milieu du XIXème siècle et elles sont, pour une large part, dues à la volonté des chasseurs sportifs, issus des classes sociales aisées de la société occidentale (Chansigaud 2010). En France, par exemple, l'organisation la plus active sur ce plan est la société d'acclimatation, fondée en 1854, par des membres de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie, dans le but principal de gérer et d'aménager la nature en vue d'une meilleure exploitation de ses richesses. Aux États-Unis, une des organisations les plus marquantes est le « Boone and Crocket Club », fondé en 1887 par le futur président Théodore Roosevelt, très grand chasseur sportif

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qui lancera ultérieurement, en compagnie de certains membres très connus de la haute aristocratie britannique, la mode des safaris africains (Chansigaud 2010).

En 1900, les principales nations coloniales implantées en Afrique (France, Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique) signent, à Londres, une première convention pour protéger le gibier africain ; elle ne sera, semble-t-il, jamais mise en application, mais jettera les bases de la convention de Londres de 1933. Les chasseurs sportifs, qu'ils soient issus de la haute société anglaise ou de la grande bourgeoisie américaine ou européenne, se rejoignent pour réclamer la fin de la chasse commerciale, en Afrique, qu'elle soit pratiquée par des chasseurs blancs ou par les populations locales ; ils contribuent ainsi à assimiler de nombreuses pratiques traditionnelles de chasse à du braconnage et à façonner une bonne partie de la législation cynégétique actuelle (Adams 2004).

En Afrique centrale, le premier texte législatif organisant la chasse, le décret du 1er août 1916, est élaboré, d'après le rapport de présentation du Ministre des Colonies, sur la base des vœux émis par la commission permanente de la chasse aux colonies et prévoit, dans son titre premier, la protection des espèces et l'organisation de réserves de chasse, afin d'assurer le repeuplement des espèces susceptibles de disparaître (article 1). La première réserve, à l’origine du parc national du Bamingui-Bangoran, est ainsi créée par arrêté du 31 octobre 1916. Le décret du 25 août 1929 envisage, dans son article 25, la création de parcs nationaux, sur le modèle des grands parcs américains ou d'Afrique du Sud ; ce concept sera précisé, dans la convention de Londres de 1933, ratifiée en 1938, qui sépare clairement les réserves intégrales et les parcs nationaux.

L'interdiction de la chasse, dans certaines zones spécialement dédiées à la protection de la nature (réserve intégrale, parc national, réserve de faune,…), est reprise dans tous les textes organisant la chasse, entre 1916 et l'Indépendance, puis dans la loi n° 60.141 du 9 septembre 1960 réglementant l’exercice de la chasse (article 5) et dans l'ordonnance n° 84.045 du 27 juillet 1984 portant protection de la faune sauvage et réglementant l’exercice de la chasse en République Centrafricaine (article 66).

Nous allons étudier comment se met en place l'organisation spatiale des activités cynégétiques en décrivant plus particulièrement :

l'opposition entre la zone d'intérêt cynégétique (ZIC) et la zone de chasse banale, puis, l'apparition des domaines et des secteurs de chasse.

2.1.4.1 Les zones de chasse banale et la zone d’intérêt cynégétique

Dès la fin de la seconde guerre mondiale, le décret n° 45.1344 du 18 juin 1945 fonde la gestion de la nature sur de nouvelles bases politiques, en privilégiant la protection de la faune et la flore et la mise en valeur de ces richesses par l'organisation du tourisme cynégétique et la création de parcs nationaux et de réserves intégrales ou spéciales (article 1) ; le Gouverneur général est chargé de la réalisation d'un inventaire et d'un plan de mise en valeur des territoires, en distinguant les régions fortement peuplées à vocation agricole, où la législation cynégétique doit être principalement orientée vers la protection des personnes et des biens, et les régions faiblement peuplées et dépourvues de possibilités d'exploitation, où la protection de la nature et de la faune devient prioritaire (article 2).

Ce zonage devient effectif en 1956, sur la base de l'arrêté n° 687/CH du 17 février 1956, qui crée les zones d'intérêt cynégétique (ZIC). L'article 1 les définit comme « les régions… où le gibier et

la chasse présentent un intérêt scientifique ou économique majeur et où la faune sauvage est susceptible, sans inconvénient sensible pour les autres secteurs de l'économie, d'être maintenue à un potentiel aussi élevé que possible en vue de son étude scientifique ou de son exploitation rationnelle, soit à des fins touristiques et sportives (chasse sportive, tourisme de vision, photographie et cinématographie des animaux sauvages), soit à des fins de ravitaillement ». En dehors des ZIC et des

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réserves naturelles, de faune ou de chasse déjà existantes ou qui viendraient à être créées, tous les autres terrains sont déclarés « de chasse banale » (article 3).

Ces définitions sont reprises, après l'Indépendance, dans la loi n° 60.141 du 9 septembre 1960 (articles 11 et 12) et maintenues dans l'ordonnance n° 84.045 du 27 juillet 1984 (article 72).

En matière de chasse sportive, à l'intérieur de la ZIC, la chasse est réservée aux titulaires des permis de petite et de grande chasse ou des permis passagers ; seules les personnes habitant à l'intérieur de la ZIC peuvent y chasser avec tous les types de permis (arrêté n° 687/CH, article 5). La délibération n° 81.57 du 22 novembre 1957 va préciser ces conditions (article 4) :

les africains porteurs d'armes de traite et, donc, munis d'un permis de port d'armes et résidant à l'intérieur de la ZIC ne peuvent chasser que la faune non protégée ; s'ils sont munis d'un permis sportif, ils peuvent prélever les animaux partiellement protégés dans les limites des quotas ;

les européens résidant à l'intérieur de la ZIC peuvent chasser la faune non protégée avec le permis sportif de petite chasse et les animaux partiellement protégés avec les permis de moyenne et de grande chasse, dans la limite des quotas ; avec un supplément financier, ils peuvent obtenir des quotas supplémentaires ;

les européens ne résidant pas dans la ZIC peuvent chasser la faune non protégée avec leur permis sportif de petite ou de moyenne chasse, mais ne peuvent prélever les animaux partiellement protégés qu’avec un permis de grande chasse, dans la stricte limite des quotas. La loi n° 60.141 du 9 septembre 1960 (articles 36, 40, 41 et 54) va confirmer que le permis de moyenne chasse ordinaire n'est pas valable dans la ZIC, si le titulaire n'y réside pas ; il ne peut alors y chasser que la faune non protégée, comme s'il disposait uniquement d'un permis de petite chasse. Seules les personnes habitant dans la ZIC peuvent y utiliser les différents types de permis, en respectant les quotas correspondants. Dans la pratique, donc, pour les personnes n'y résidant pas, la chasse dans la ZIC suppose le paiement d'un permis de grande chasse.

L'ordonnance n° 66.68 du 30 août 1966 (articles 1 et 2) confirme la possibilité, pour les nationaux ou les étrangers habitant dans la ZIC, d'utiliser tous les types de permis ; par contre, lorsqu'ils chassent dans la zone d'intérêt cynégétique, les résidents titulaires d'un permis de grande chasse, mais domiciliés en dehors de la ZIC, sont soumis aux mêmes quotas et aux mêmes taxes d'abattage que les chasseurs non-résidents.

Ces dispositions disparaissent de l'ordonnance n° 84.045 du 27 juillet 1984 ; l'accès aux terrains de chasse et l'utilisation des différents types de permis sont uniformisés sur l'ensemble du territoire national.

La création des zones d'intérêt cynégétique se traduit également par des limitations en matière de chasse de subsistance et de chasse commerciale.

La chasse de subsistance est ainsi limitée aux prélèvements sur la faune non protégée (arrêté n° 687/CH, article 4 et loi n° 60.141, article 17). Le commerce du gibier et de la viande de chasse est strictement interdit dans la ZIC, sauf entre habitants d'une même Terre, lorsque le gibier provient des droits d'usage ou de la protection des cultures (arrêté n° 687/CH, article 5 et loi n° 60.141, article 64). Le transport de la venaison et sa sortie de la ZIC sont strictement interdits (loi n° 60.141, article 65) et l'approvisionnement des centres urbains de la ZIC est sévèrement encadré (loi n° 60.141, article 66).

Ces dispositions concernant le transport et le commerce de la venaison dans la zone d'intérêt cynégétique sont confirmées dans le décret n° 84.256 du 27 juillet 1984, portant réglementation du transport et commerce de la viande de chasse en République Centrafricaine (articles 1 à 3). Les patentes de commerce de viande de chasse n'y sont pas valables, la circulation et le transit de la

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venaison, même en provenance de pays étrangers, y sont interdits et les chasseurs habitant la ZIC et en règle peuvent disposer de la viande, mais uniquement à l'intérieur de la ZIC.

Les permis de ravitaillement et les permis complémentaires sont également très encadrés dans cette région, où l'application stricte de la législation est impérative. Par exemple, la loi n° 60.141 limite la délivrance des permis complémentaires de ravitaillement uniquement aux personnes âgées ou aux infirmes et les prélèvements sont limités à la faune non protégée (article 38). Pour les détachements militaires itinérants, le ravitaillement doit faire l'objet d'un arrêté d'attribution et de la tenue d'un état des abattages par le chef de détachement (loi n° 61.281 du 22 décembre 1961, article 3).

Les chasses de destruction, dans la logique de la politique de création des ZIC, sont extrêmement encadrées. Sauf cas d'urgence absolue (accident de personnes), l'autorisation de battue administrative ou de chasse de destruction doit être obligatoirement demandée au Gouverneur, au besoin par télégraphe (arrêté n° 687/CH, article 5).

Les limites des zones d'intérêt cynégétique, en République Centrafricaine, ont été fixées par l’arrêté n° 687/CH du 22 août 1956 (article 2) et précisées dans la loi n° 60.104 du 20 mai 1960 (article 1). Elles ont été confirmées par l’ordonnance n° 84.045 du 27 juillet 1984 (article 72) et elles sont schématisées dans la Carte n° 2.

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2.1.4.2 Les domaines de chasse et les secteurs de chasse

À l'origine, l'arrêté n° 687/CH du 22 août 1956 (article 6) prévoit que la création des zones d'intérêt cynégétique serait une mesure provisoire de protection de la faune ; les régions à vocation principale liée à la faune devaient être partagées entre les secteurs de protection de la nature et de la faune (réserve intégrale, parc national, réserve zoologique), prévus par la convention de Londres, et les réserves de faune à but défini, prévues dans le décret n°47.2254 du 18 novembre 1947 (article 22) comprenant :

les « réserves de faune » sensu stricto, si la chasse est totalement interdite, les « domaines de chasse », réservés à la pratique de la chasse sportive et

les « secteurs de ravitaillement », lorsque la faune est gérée pour le ravitaillement de certains groupements de population.

La loi n° 60.140 du 19 août 1960 va reprendre, dans ses articles 16 et 17, ce concept de « domaine de chasse » ; sans porter atteint aux droits d'usage des populations, certains secteurs, peuvent être successivement ouverts et fermés à la chasse, pour l'ensemble de la faune ou pour certaines espèces seulement et l'exercice du droit de chasse peut être limité à certaines catégories de permis. Ces domaines de chasse peuvent être affermés à des guides ou à des entreprises de tourisme cynégétique.

Les deux domaines de chasse les plus réputés, dans les années 1960, en République Centrafricaine, seront :

le domaine de chasse de la SAFO, dans la région de Ouanda Djallé, dirigé par Jean d’Orgeix (d'Orgeix 1972) et

celui de la Koumbala, de Jean Laboureur qui, après diverses vicissitudes, sera intégré dans le parc national Manovo-Saint-Floris-Gounda, à la fin des années 1970 (Fleury 1990).

La notion de domaine de chasse n'est pas reprise dans l'ordonnance n° 84.045 du 27 juillet 1984, qui institue, dans son article 68, une circonscription cynégétique dénommée « secteur de chasse ». Par arrêté ministériel, ces secteurs de chasse peuvent être temporairement (article 69) :

fermés totalement ou partiellement à la chasse pour permettre le repeuplement,

concédés au secteur privé pour l'organisation d'activités cynégétiques ou touristiques ou réservés aux chasseurs nationaux et résidents.

Les secteurs de chasse sont assis sur des limites topographiques et géographiques précises (route, rivière, sommet de montagne, coordonnées géographiques), par arrêté ministériel (article 70). Dans les faits, les secteurs de chasse ont été définis à partir des travaux du projet d'appui à la gestion de la faune en RCA, financé, entre 1975 et 1980, par la FAO (projet FAO/CAF/72/010) et dirigé par le docteur C. A. Spinage. Une représentation schématique en est donnée dans la Carte n° 2.

La concession temporaire des secteurs de chasse à une personne physique ou morale privée doit faire l'objet d'un contrat écrit, assorti d'un cahier des charges (article 71).

Actuellement, le tourisme cynégétique en RCA est bien organisé sur la base de ces secteurs de chasse et de leur concession aux sociétés de safari. Cette assiette spatiale est également utilisée pour le calcul des quotas de chasse.