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d'approvisionnement des villes en venaison sont soumises à des contraintes fortes qu

1.2 Le cadre conceptuel

1.2.2 Des approches socio-économiques : biens communs et marché

1.2.2.1 La gouvernance des biens communs et la chasse

Comme cela a été développé au § 1.1.4.1, il est important de différencier la ressource (ou le « système de ressources » (Ostrom 2010)), qui doit être considérée comme un stock, et la récolte, qui est un « flux d'unités de ressources », généré par ce stock. Dans le cas d'une ressource naturelle renouvelable, la ressource ne peut se maintenir dans le temps que si le niveau de la récolte n'excède pas le niveau de la régénération.

Par définition, on considère comme biens communs des ressources, naturelles ou d'origine humaine, pour lesquelles il est particulièrement coûteux (voire impossible) d'exclure un utilisateur de la consommation, à travers des méthodes physiques ou institutionnelles et où l'exploitation par un usager réduit la part disponible pour les autres. Ce bien est ainsi caractérisé par la non exclusion et la rivalité (Becker and Ostrom 1995; Ostrom, Burger et al. 1999).

Quel que soit le type de biens (biens publics, biens privés, biens club ou biens communs), l'organisation nécessaire pour l'utilisation du bien doit répondre à différentes questions, pour former un régime de gouvernance (Barrière 2008) : Qui a accès à la ressource ? Comment prélever ou exploiter cette ressource ? Comment sont organisées les contributions au maintien de la ressource ? Qui surveille et comment contrôler les prélèvements ? Comment résoudre les conflits d'appropriation ? Comment adapter les règles de gestion à l'évolution de la ressource et des besoins des utilisateurs ?

Les règles peuvent être définies comme des prescriptions connues par tous et ordonnant des relations répétitives et interdépendantes (Lambert and Sindzingre 1995). Ces prescriptions autorisent un certain nombre d'actions, qui, du fait de la répétition, deviennent des droits ; les droits et les règles ne sont pas équivalents et l'on peut considérer que les droits sont le produit des règles. En matière de ressources naturelles, les droits primordiaux concernent l'accès à la ressource.

1.2.2.1.1 Les différentes approches pour la gestion des biens communs

Les modalités d'accès permettent de distinguer deux grands types de ressources : les ressources à accès ouvert et les ressources à accès surveillé, cette dernière catégorie pouvant être décomposée selon trois régimes, en fonction de l'acteur social qui en contrôle l'accès. Ces éléments sont résumés dans le Tableau 22.

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Tableau 22 : les différentes approches de gestion des biens communs.

Nature de la propriété Durabilité de la gestion Principales critiques Auteur emblématique

Accès libre Néant Directement liée à la

pression anthropique Surexploitation potentielle Hardin

Accès contrôlé

Biens communs Propriété communautaire Oui, sous conditions

Problème du passager

clandestin Ostrom

Exclusion

Etatisation Propriété de l’Etat Oui, sous conditions

Lourdeur de gestion

Pigou Manque de réactivité

Technocratie

111 Les ressources en accès libre.

Cette situation se rencontre lorsque la ressource est très abondante, par rapport au nombre et aux besoins des utilisateurs. Lorsque la demande s'accroît, il s'enclenche un cercle vicieux, décrit par Hardin (Hardin 1968), dans son article fameux «The tragedy of the Commons », paru en 1968, dans la revue Science. L'absence de droits de propriété et, en particulier, de contrôle de l'accès, provoque une surexploitation de la ressource. Ce modèle considère que tous les individus sont égoïstes, anomiques et maximisent leurs profits à court terme, selon la figure de l’Homo oeconomicus de la théorie libérale. Si, dans bien des cas, les humains se placent dans une perspective étriquée et intéressée, ils sont également capables de faire preuve de réciprocité pour résoudre des dilemmes sociaux (Ostrom, Burger et al. 1999). Dans le titre même de son article, Hardin assimile biens communs et situations d'accès libre et, dans bien des cas, sa démonstration a été utilisée pour analyser des situations et pour proposer des politiques de gestion sur des biens communs dont l'utilisation était en fait réglementée par la communauté d'utilisateurs.

La propriété collective et la gestion des biens communs.

Fondamentalement, la gestion des biens communs comprend deux éléments distincts : le contrôle de l'accès à la ressource, d’une part, et sa gestion, d’autre part, en créant des incitations pour les usagers afin qu'ils investissent dans l'entretien de la ressource, plutôt que de la surexploiter (Ostrom, Burger et al. 1999). La propriété commune se réfère à un ensemble de règles définies en lien avec l'appartenance des membres à une communauté, qui s'appuie sur un ancrage territorial. Les propriétés communes non régulées sont protégées seulement par les restrictions portant sur le fait d'être membre ou non de la communauté ; lorsqu'elles sont régulées, l'accès est toujours réservé aux seuls membres de la communauté, mais l'usage de la ressource est soumis à diverses règles de gestion.

Pour être efficace, la communauté doit avoir la possibilité de définir les règles et de les faire respecter, pour éviter les comportements déviants. Il doit donc exister une instance de négociation et de décision assurant ces fonctions, avec suffisamment d'autorité pour que la transgression des normes entraîne un coût significatif (psychologique, social ou financier) pour les personnes en situation irrégulière. La gestion communautaire se base forcément sur un dialogue social portant, à la fois, sur les règles elles-mêmes et sur leur légitimité au niveau local.

Une fois réglée la question du contrôle de l'accès à la ressource, ce mode de gestion se heurte à deux grands types de problèmes : d'une part, la possibilité, pour certains individus, de manipuler l'information, de tricher sur leur état et de développer des stratégies personnelles au sein de la communauté et, d'autre part, les risques d'exclusion et les effets pervers qui peuvent en découler. Une communauté n'est jamais un assemblage d'individus identiques, avec les mêmes besoins et les mêmes aspirations ; elle est composée de personnalités multiples, qui peuvent avoir des stratégies très différentes, avec, éventuellement, la capacité d'instrumentaliser les normes communautaires à leur profit et au détriment de la collectivité et de la ressource naturelle.

L'exclusion d'une partie de la communauté peut entraîner des effets pervers importants ; elle peut accroître significativement les inégalités sociales et détruire le sentiment d'appartenance à la collectivité. Elle peut faire jouer le rôle de bouc émissaire à certaines personnes ou groupes sociaux et, en réaction, entraîner de la part de ces dernières des comportements de pillage, aboutissant à une surexploitation de la ressource et risquant d'annuler les investissements de la communauté en vue d'accroître cette ressource (Lambert and Sindzingre 1995; Ostrom, Burger et al. 1999; Ballet 2007).

La gestion par l'État.

Pour gérer une ressource naturelle, l'État peut intervenir de deux façons : soit en s'appropriant la ressource et en la gérant directement, au mieux des intérêts de la collectivité nationale qu'il est

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censé représenter ; soit en intervenant dans les décisions des acteurs privés par le biais de la subvention ou de la taxation, dans la logique proposée par Pigou (Pigou 1920).

Le modèle de la gestion étatique a été théorisé par Wittfogel, en 1957, d'après le mode de gestion despotique orientale des grands systèmes hydrauliques de la riziculture irriguée (Ruf 2011). L'analyse historique du fonctionnement du système d'irrigation des grandes plaines rizicoles d'Asie du Sud-Est fait apparaître un État central de nature autoritaire, capable d'imposer une coopération au niveau des usagers, pour une ressource, l'eau d'irrigation, qui assure à ces derniers des avantages techniques extrêmement importants. Au-delà du cercle familial, les relations sociales se caractérisent par une soumission totale à la hiérarchie, s'appuyant sur la terreur et entraînant des stratégies solitaires, au niveau de chaque cellule familiale élémentaire.

Ce modèle extrême est difficilement envisageable dans des sociétés démocratiques où il est remplacé par une gestion technocratique, comme celle de l'administration forestière, dans les forêts domaniales françaises, jusqu'à une date récente.

Dans le cadre d'une appropriation privée des ressources naturelles, l'État peut intervenir en orientant les choix techniques et économiques des propriétaires et, en particulier, en permettant d'internaliser dans la gestion des entreprises les externalités positives ou négatives, en jouant sur la possibilité de taxer ou de subventionner les activités.

Quelles que soient les options retenues, la gestion étatique est généralement critiquée pour sa lourdeur et pour son manque d'efficacité, mais, surtout, il lui est très difficile de contrôler les pratiques réelles des différents intervenants et de déterminer, rapidement et efficacement, les effets bénéfiques ou pervers de ses choix politiques.

La privatisation des ressources naturelles.

Cette solution est une de celles prônées par Hardin, pour sortir de la tragédie de l'accès libre. Dans une vision économique très libérale, elle a également été proposée par Coase (Coase 1960) pour résoudre, en matière environnementale, les problèmes d'externalité négative. Selon ce dernier, lorsque les droits de propriété sont clairement établis sur les différentes ressources, le Marché et l'échange permettent d'assurer une affectation optimale des ressources.

La privatisation n'est cependant pas une garantie de gestion durable d'une ressource naturelle renouvelable, car, en fonction de la préférence éventuelle du propriétaire pour le présent, qui se traduit par un taux d'actualisation élevé, l'exploitation minière, jusqu'à épuisement de la ressource, peut être la meilleure option purement économique. D'autre part, la propriété privée est souvent accusée, à juste titre, de créer de l'inégalité et de produire de l'exclusion (Ballet 2007).

La différence principale entre la propriété communautaire et la propriété individuelle est la facilité avec laquelle le propriétaire individuel peut acheter ou vendre une partie de la ressource (au sens du « système de ressources ») (Ostrom, Burger et al. 1999). En effet, la propriété communautaire fait davantage référence à des droits d'agir plutôt qu'à un droit de propriété sur le fonds lui-même. On se situe dans ce cas dans la logique du droit foncier d'Ancien Régime, présenté en annexe n° 2, avec les propriétés utiles simultanées, en opposition à la propriété exclusive du Code civil (Barrière 2008). Il faut d'ailleurs noter qu’à côté de droits fonciers communautaires, les sociétés traditionnelles reconnaissent des droits privés sur les objets domestiques ou sur les récoltes (Lambert and Sindzingre 1995).

1.2.2.1.2 La gestion des biens en ressource commune

Il faut garder à l'esprit que, de façon très générale, l'homme interagit avec des environnements incertains et complexes ; les processus de gestion les plus courants relèvent de

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l'apprentissage par essais et erreurs. L'apparition de systèmes de gestion communautaire et leur inscription dans la durée supposent certaines conditions sur la ressource elle-même, sur les utilisateurs et sur les modalités de gestion. Elles ont été clairement identifiées par E. Ostrom et ses collègues travaillant sur la théorie de l'action collective et tendent à faciliter ces processus d'apprentissage (Becker and Ostrom 1995; Ostrom, Burger et al. 1999; Adams, Brockington et al. 2003; Dietz, Ostrom et al. 2003; Anderies, Janssen et al. 2004; Ostrom 2010; Nahrath, Gerber et al. 2011; Ruf 2011).

D'après ces auteurs, pour pouvoir être gérable par une communauté, la ressource doit : présenter des capacités réelles de mise en valeur et de production de richesses ; d'une part, il ne faut pas que le système de la ressource soit trop dégradé et rende ainsi économiquement et socialement inutile tout effort de gestion, d'autre part, si le système est largement sous- exploité, les prélèvements n'ont pas d'effet sur la ressource et la gestion n'a pas d'intérêt ; être relativement prévisible. En effet, si les récoltes sont parfaitement aléatoires, il est peu réaliste d'entreprendre des efforts de gestion ; au contraire, quand le flux de ressources est prévisible, il est également plus facile de calculer comment différents régimes de gestion peuvent affecter les coûts et les bénéfices à long terme ;

pouvoir être suivie par un nombre suffisant d'indicateurs fiables et disponibles à un coût aussi bas que possible ; ces indicateurs doivent être présentés sous une forme compréhensible par tous et l'information doit être adaptée aux besoins des décideurs en termes de date

d'acquisition, de contenu et de présentation pour être utilisable. Elle doit également présenter et tenir compte des niveaux d'incertitudes ;

être comprise dans un périmètre spatial compatible avec les technologies de transport et de communication à la disposition des utilisateurs, pour leur permettre d'appréhender

effectivement les caractéristiques internes et les limites du système de ressources.

De leur côté, les utilisateurs de la ressource doivent présenter certaines caractéristiques ; ils doivent :

dépendre de la ressource pour une partie significative de leurs moyens de subsistance, ce qui peut les inciter fortement à s'impliquer dans sa gestion ; ils doivent être relativement

homogènes au niveau de la structure de leurs actifs, de leurs préférences et de leur capacité d'accès à l'information ;

partager une vision collective du fonctionnement de la ressource, tel qu'il a été décrit au paragraphe ci-dessus, et s'accorder sur les effets potentiels de leur gestion sur la ressource et sur l'ensemble des utilisateurs eux-mêmes ; en effet, très souvent, les conflits portant sur les ressources communes sont liés aux représentations divergentes des différents acteurs et aux différences entre ces acteurs dans la connaissance et la compréhension du système ; ne pas présenter une préférence pour le présent trop forte, qui se traduirait par un taux d'actualisation élevé et qui limiterait fortement les investissements à long terme pour améliorer le fonctionnement et la productivité de la ressource. De plus, les changements dans la

ressource, dans les technologies disponibles et dans les conditions de vie des usagers doivent rester modérés et ne pas être trop rapides ;

être engagés dans des relations sociales de confiance et de réciprocité, qui peuvent être considérées comme un capital social initial ;

disposer, par rapport aux autorités extérieures, d'une capacité autonome pour définir les règles d'accès et d'usage à la ressource ;

avoir déjà des compétences minimales en matière d'organisation et de gestion, grâce à leur participation dans d'autres formes de vie associative et/ou grâce à l'observation d’expériences organisationnelles comparables, dans une proximité géographique et sociologique.

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En matière institutionnelle, il est possible d'identifier huit grands principes, conditionnant la perpétuation des biens communs :

la définition claire du groupe d'utilisateurs et des limites de la ressource ;

la proportionnalité entre les coûts et les bénéfices issus de la gestion de la ressource ; les règles de répartition des bénéfices issus de la ressource doivent également permettre de répartir équitablement les charges d'entretien, qu'il s'agisse de travail, d'investissements monétaires ou des restrictions d'usage ;

des procédures permettant de faire des choix collectifs. Un maximum d'individus concernés par les règles opérationnelles doivent pouvoir participer à leur élaboration et à leur

modification ; d'autre part, il faut avoir conscience que la technologie peut permettre d'éclairer la décision en augmentant la connaissance de la ressource et en assurant son suivi, mais, en aucun cas, ce ne peut être un substitut à la prise de décision collective ;

la supervision et la surveillance qui doivent être réalisées par les usagers eux-mêmes ou par des agents agissant sous leur contrôle direct ;

les sanctions contre les contrevenants qui doivent être différenciées et graduelles ; elles doivent être progressives en fonction de l'importance et du contexte de la faute ;

des mécanismes de résolution des conflits, qui doivent être faciles d'accès, dans les conditions locales, et peu coûteuses, à la fois en temps et en moyens ;

une reconnaissance par l'État et ses représentants du droit de la communauté à s'organiser par elle-même ;

plusieurs niveaux emboîtés de gouvernance pour les ressources qui sont intégrées dans des systèmes plus vastes ; l'appropriation et le suivi de la ressource, les mécanismes de

résolution des conflits et les activités de gestion doivent être organisés selon des strates emboîtées les unes dans les autres.

1.2.2.1.3 Conclusions

Comme le note E. Ostrom et ses co-auteurs (Ostrom, Burger et al. 1999) , les ressources qui sont naturellement difficiles à mesurer ou qui nécessitent des mesures faisant intervenir des technologies sophistiquées sont difficiles à gérer, quelle que soit l'échelle de la ressource ou le mode de gestion pratiqué.

La faune sauvage, en particulier la faune africaine forestière, est difficile à observer et les méthodes d'estimation des populations manquent de précision et sont difficiles à mettre en œuvre en dehors du cadre de la recherche scientifique. De plus, par essence, la faune sauvage est une ressource mobile, ce qui lui a valu son statut juridique de « res nullius » ; il est également très difficile, pour gérer le cheptel sauvage, de différencier le capital productif du revenu (ou de la croissance) annuel.

La gestion participative, nous le verrons ultérieurement, peut permettre aux communautés d'utiliser durablement la ressource cynégétique, mais ce n'est pas une solution miracle. Elle doit être organisée pour résoudre les conflits d'accès et d'usage de la ressource, par la mise en œuvre de règles et de sanctions décidées collectivement, mais elle doit également s'articuler avec des modes de gestion privée ou publique de certaines espèces animales présentant des caractéristiques biologiques ou économiques particulières.

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