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législation cynégétique

2.2.1 La chasse de subsistance et les droits d’usage

Du fait de l'histoire, la législation cynégétique coloniale est issue du droit forestier français et pour comprendre clairement la notion de droit d'usage, qui apparaît dès les premiers textes régissant le droit de la chasse en Afrique centrale, il faut se référer aux droits d'usage forestiers. D'après l'Encyclopédie Juridique Dalloz36, « l'usage forestier est un droit réel que le propriétaire d'un domaine

ou une communauté rurale possède sur un fonds boisé et qui lui permet de percevoir, dans la limite de ses besoins, certains produits, après leur délivrance préalable par le propriétaire de la forêt grevée du droit, dite forêt usagère ». L'usage forestier ne doit donc pas être confondu avec une servitude

classique du droit civil, mais c'est une survivance du droit d'Ancien Régime, qui acceptait la superposition sur les mêmes terrains de divers droits immobiliers au bénéfice de personnes différentes. Les droits d'usage reconnus aux populations locales par la législation coloniale sont d'une nature juridique comparable.

2.2.1.1 Les dispositions initiales

Les décrets d'attribution des grandes concessions, pris, dès 1899, en application des décrets sur le domaine public au Congo français (8 février 1899), sur le régime foncier et le régime forestier au Congo français (28 mars 1899) et sur le régime des terres domaniales du Congo français (28 mars 1899) prévoient, dans les obligations d'ordre général imposées aux concessionnaires, que « la société

concessionnaire ne pourra exercer ses droits qu'en dehors des villages occupés par des indigènes et des terrains de cultures, de pâturages ou forestiers qui leur sont réservés… Les périmètres successifs, à occuper ou réserver, s'il s'agit d'indigènes à habitat variable, seront fixés par des arrêtés du Gouverneur de la Colonie, qui déterminera également les terrains sur lesquels les indigènes conserveront les droits de chasse et de pêche » (de Dampierre 1967).

Le premier texte organisant l'exploitation forestière, l’arrêté règlementant l’exploitation du bois des forêts et peuplements arbustifs des colonies de l’AEF, paru au JO du 1er

août 1914, stipule, dans son article 43, que « même dans les forêts ayant fait l’objet de permis ou de concession, les

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autochtones continuent à jouir de leurs droits coutumiers sur la pêche, la chasse, la cueillette, ou l’exploitation des produits naturels pour la culture, la satisfaction de leurs besoins et les industries traditionnelles portant sur le bois de chauffage, le bois de construction, la fabrication des pirogues, d’ustensiles nécessaires à l’habitation et d’instruments de travail ». Les seules restrictions prévues

relèvent des règlements liés à la conservation ou à la régénération des massifs forestiers.

2.2.1.2 La législation cynégétique coloniale

Dans le rapport de présentation au Président de la République des décrets du 1er août et du 23 novembre 1916, le Ministre des Colonies, Gaston Doumergue, expose qu'il est nécessaire de « respecter dans la plus large mesure possible les habitudes et les droits ancestraux des populations

dont une grande partie vit du produit de la chasse,… ». Ces droits ne sont plus évoqués ensuite dans

les décrets précités.

Le décret du 25 août 1929 prévoit que « nul ne peut chasser sans permis » (article 1) sauf pour ravitailler, en cas de nécessité constatée, les populations (article 38) ou pour éliminer des animaux dangereux ou causant des dommages (article 40). L'article 17 établit simplement que « la

situation des indigènes chassant le gibier non protégé à l'aide d'armes de fabrication locale (sagaies, arbalètes, etc.) sera réglée par des arrêtés des lieutenants gouverneurs ». La situation des droits

d'usage des populations ne devait pas, à l'époque, être particulièrement problématique, puisqu’il faudra attendre le 17 décembre 1934 pour que le Gouverneur Général (et non les lieutenants gouverneurs) prenne un arrêté fixant les modalités d'application de ce décret. Dans son article 8, il est précisé que « les indigènes utilisant les armes locales sont autorisés à chasser, sans permis, les

animaux n'appartenant pas aux espèces protégées nécessaires à leur ravitaillement. Ils peuvent pour ce faire employer tous moyens de chasse, autres que ceux proscrits par le décret du 25 août 1929. Il leur est notamment interdit de se servir d'appâts ou d'armes empoisonnés ».D’autre part, l’article 10

prévoit la possibilité, pour les Chefs de région, de délivrer aux indigènes des autorisations gratuites et individuelles de chasse pour la défense des personnes et des biens ou pour les nécessités du ravitaillement en protéines. Les prohibitions, prévues à l'article 28 du décret de 1929, concernent essentiellement l'utilisation de techniques pouvant amener la destruction complète d'un troupeau, en particulier, la chasse de l'éléphant au feu, et, également, la chasse en automobile et la chasse de nuit au phare. L'usage des pièges est subordonné à l'autorisation des chefs de circonscription.

Déjà évoqué dans la présentation des textes de 1916, « le droit naturel des indigènes de

chasser pour leur subsistance, dans les limites de leurs cantons ou de leurs zones de nomadisation, des animaux non protégés au moyen d'armes de fabrication locale (sagaies, arcs, etc.), » est admis

clairement par le décret du 13 octobre 1936, (article 13), sauf dans les régions où la détention desdites armes est interdite. En AEF, les indigènes peuvent bénéficier ainsi d’une dérogation permanente, dans un rayon de 5 km autour des villages, sur les méthodes de chasse et de piégeage prohibées. D'autre part, ces dispositions doivent être précisées par des arrêtés des Gouverneurs, pour exclure les méthodes destructrices.

Elles sont reprises dans le décret du 27 mars 1944, (article 11) et conforme à la convention de Londres de 1933. Dans son article 55, ce texte prévoit expressément la possibilité, pour les indigènes, de chasser la faune non protégée, avec des filets, des pièges ou des fosses, selon les régions, lorsque c’est indispensable pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Son arrêté d'application n° 316 du 17 juin 1944, précise, dans l'article 2, que la chasse doit alors être limitée aux besoins alimentaires familiaux des intéressés ; la chasse aux filets et le piégeage de la faune non protégée par les indigènes est justifiée par la défense des cultures et, donc, limitée à un rayon de 5 km autour des villages.

Le décret n° 47-2254 du 18 novembre 1947 (article 18) et son texte d'application, l’arrêté n° 118 du 15 janvier 1949 (article 14), introduisent et définissent la notion de groupement ethnique, structure sociale à laquelle la coutume attribue une aire de nomadisation ou une zone de chasse. Ce

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dernier texte reprend, à l’article 22, les dispositions de l’arrêté n° 1316 de 1944 sur les pièges et les fosses, pour la protection des cultures contre la faune commune et maintient l’interdiction de la chasse pécuniaire et de la chasse usagère au-delà des besoins individuels et familiaux (article 2 de l’arrêté). L’arrêté n° 2314 du 16 juillet 1953 limitera cependant, à l’article 22, les possibilités de piégeage à l’utilisation des pièges traditionnels, en excluant les pièges métalliques et les collets en fil d’acier.

L’arrêté n° 687/CH du 22 août 1956, rédigé dans le but de créer, en AEF, des zones d'intérêt cynégétique (ZIC), va étendre, dans les zones de chasse banale, les droits d'usage déjà reconnus aux communautés. L'article 4 autorise en effet, en plus de la chasse des espèces non protégées, celle des buffles et des diverses antilopes, à l'exception de l'éland de Derby et du grand koudou. Les techniques employées doivent utiliser des armes ou des pièges fabriqués localement uniquement à partir de matériaux d'origine locale : sagaies, lances, arcs, arbalètes, collets, lacets, assommoirs, fosses, filets, etc. L'usage de flèches empoisonnées et de filets n'est permis qu'en grande forêt ; par contre, la chasse au feu demeure totalement interdite. Si les procédés traditionnels sont trop destructeurs, ils peuvent être encadrés ou interdits par des arrêtés locaux. Il est également reconnu la possibilité de commercialiser « la viande de chasse, obtenue par l'exercice régulier des droits d'usage, des

méthodes de chasse traditionnelles autorisées,… exclusivement entre habitants de la « Terre » sur laquelle a eu lieu l’abattage ».

2.2.1.3 La réglementation cynégétique centrafricaine postcoloniale

La loi n° 60.141 du 9 septembre 1960 est le texte fondateur de la législation cynégétique postcoloniale, en République Centrafricaine.

Le droit de chasse suppose que le chasseur dispose d'un droit d'usage découlant de la coutume ou détienne un permis de chasse (article 4). Les droits d'usage sont définis au titre II. Il est possible de chasser, sans permis, individuellement ou collectivement, pour sa propre subsistance, dans les limites des aires de nomadisation ou des zones de chasse, fixées par la coutume pour chaque groupement ethnique. Seules sont autorisées les armes ou les pièges de fabrication locale tandis que les armes à feu, même les armes de traite, ne peuvent être utilisées dans ce cadre (article 14). Les usagers doivent être originaires du groupement ethnique et exercer leur activité principale dans les villages de ce groupement (article 15). La définition des armes et pièges de fabrication locale reprend les termes de l'arrêté n° 687/CH du 22 août 1956 (article 16).

En zone de chasse banale, toutes les espèces peuvent être prélevées, à l'exception des espèces intégralement protégées, de l'éléphant, de l'éland de Derby et du bongo ; par contre, dans la zone d'intérêt cynégétique, seule la chasse des espèces non protégées est possible (article 17). L'usage des flèches empoisonnées (en forêt dense), des filets et des fosses n'est autorisé qu'en zone banale (article 18) et la chasse au feu est totalement interdite (article 19).

La Convention africaine pour la conservation de la nature et des ressources naturelles du 15 septembre 1968, dite Convention d’Alger, reconnaît, dans son article 11, les droits coutumiers et laisse aux États contractants la responsabilité de mettre leur législation sur ce thème en harmonie avec la Convention.

La législation actuelle, fixée par l’ordonnance n° 84.045 du 27 juillet 1984, confirme que « nul

ne peut se livrer à un acte de chasse s’il n’est titulaire d’un droit coutumier de chasse ou détenteur d’un permis de chasse valide » (article 34). La chasse coutumière est réservée aux membres des

communautés villageoises auxquelles la coutume reconnaît le droit de chasser sans permis (article 35). Les prélèvements sont limités aux besoins de subsistance du ou des chasseurs et des autres membres de leur communauté villageoise ; ils ne peuvent être réalisés que sur le territoire de la commune rurale à laquelle ils appartiennent (article 36). Seules les espèces non protégées peuvent être prélevées (article 37) et les seules armes ou engins autorisés doivent être de fabrication locale, à l'exclusion des armes et pièges à feu, des armes ou appâts empoisonnés, des engins utilisant des

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câbles métalliques ou en matière synthétique et des fosses. La chasse au feu et la chasse de nuit sont interdites (article 38). Le Ministre chargé de la faune et le Ministre de l'Intérieur pourront éventuellement, par arrêté, déterminer les communautés villageoises titulaires du droit de chasse coutumier (article 39).

En matière de droits d'usage, il est ainsi possible de distinguer trois périodes successives : les premiers textes sont stricts en matière de méthodes et d'engins de chasse, en excluant, en particulier, toutes les armes à feu et limitent les droits d'usage sur la faune à la consommation directe des villageois, dans un contexte, il est vrai, où la demande urbaine est faible et peu accessible aux collectivités villageoises ; les prélèvements sur les espèces protégées sont interdits, mais la liste de ces espèces protégées est très limitée ;

la période pré- et post-indépendance, des années 1950 à 1984, se caractérise par une limitation plus souple des méthodes et engins de chasse, en particulier, dans les jachères périvillageoises (zone des 5 km), mais, également, par la prise en compte des réalités socio- économiques, avec la possibilité de commercialiser localement le gibier capturé et une définition assez large des espèces chassables ;

à partir de 1984, la législation restreint sérieusement les droits d'usage, qu'il s'agisse des techniques et engins de chasse, des espèces qu'il est possible de prélever ou de l’autorisation de commercialiser les captures.