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législation cynégétique

1916 Permis commercial

2.2.2.5 Conclusion : l’évolution de la filière venaison

Depuis le début de la colonisation jusqu'en 1936, l'utilisation de la faune pour la fourniture de protéines animales, leur collecte et leur commercialisation n'avaient pas posé de problème sérieux au législateur. Nous avons vu dans les § précédents comment les chasseurs européens et africains pouvaient ravitailler les concentrations de population (villes, exploitations forestières, mines, chantiers de travaux publics) en vendant de la venaison boucanée. D'autre part, le droit naturel des populations africaines à se nourrir sur la faune sauvage n'était pas remis en question, dans les décrets de 1916 et de 1929.

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Durant les années 1930, on assiste, au niveau international, à une première prise de conscience des nécessités de la protection de la nature et des risques de disparition encourus par la faune sauvage. La convention de Londres, du 8 novembre 1933, prévoit, en Afrique, la mise en place d'un réseau de parcs nationaux et des mesures de protection de certaines espèces animales, variables selon le niveau des menaces qu'elles subissent. Dans le même temps, en Afrique de l'Est anglophone, toute une économie de la faune, basée sur le tourisme cynégétique, est en train de se mettre en place, à partir des premiers films d'aventure tournés dans cette région ou des écrits de chasseurs célèbres comme Th. Roosevelt, le président des États-Unis, qui réalise un grand safari de plusieurs mois, à la fin de son second mandat. Le schéma est parfaitement décrit par Kessel, dans son ouvrage La piste fauve (Kessel 1954). Dès cette époque, pour le grand public comme pour les élites internationales, la chasse ne peut être qu’une activité sportive, excluant toute considération économique.

Le décret de 1936 supprime donc, comme nous l'avons vu, les permis commerciaux. Il admet le droit naturel des indigènes à chasser pour leur subsistance, dans les limites de leur canton, avec les armes traditionnelles de fabrication locale, mais ce droit est défini et limité par des arrêtés du gouverneur, pour éviter des massacres inconsidérés (article 13). L'article 29 prévoit seulement que « des dérogations temporaires …. pourront être édictées …, en cas de nécessité constatée, pour

pourvoir à l'alimentation de groupements momentanément dépourvus de ressources vivrières suffisantes ». Les prélèvements, cependant, ne pourront porter sur la faune partiellement ou

totalement protégée.

Le décret de 1944, dans l'article 62, prohibe les échanges marchands de venaison, sur les marchés, dans le commerce ou au profit de l'Administration civile ou militaire, même lorsque ces échanges sont organisés par des indigènes et à leur profit. L'article 63 confirme l'interdiction, pour un porteur de permis sportif spécial permettant de chasser la grande faune partiellement protégée, de commercialiser le produit de ses chasses, qu'il s'agisse d'un Européen ou d'un Africain. Ces dispositions interdisant la chasse lucrative sont confirmées dans l'arrêté d'application n° 1316 de juin 1944 (article 2), dans le décret de 1947 (article 29), dans l'arrêté n° 118 de janvier 1949 (article 2) et dans le décret de 1952 (article 29).

Cependant, à partir de 1953, un nouvel arrêté d'application n° 2314 fixe, aux articles 23 et 23 bis, les nouvelles dispositions pour le ravitaillement des populations en venaison. Nous avons déjà présenté, plus haut, les mesures à destination des entreprises et des établissements publics ; en ce qui concerne les centres urbains, les chasseurs africains peuvent obtenir des autorisations de vente du gibier provenant de leur chasse, qu'il s'agisse de la faune commune ou de la faune partiellement protégée. Ils devront tenir, au jour le jour, un carnet d'abattage et de vente, qui sera visé, au moment des ventes, par le Chef de district.

Ce texte est modifié, en 1956, par l'arrêté n° 687/CH qui prévoit, en zone de chasse banale, la suppression de l'autorisation administrative et du carnet d'abattage et de vente. Le commerce de la viande de chasse, obtenue régulièrement dans le cadre des droits d'usage, des méthodes traditionnelles autorisées ou d'un permis de chasse, est réservé aux Africains, avec une liberté totale de prélèvement et de vente pour les espèces non protégées. Pour les espèces protégées, le commerce ne peut avoir lieu qu’entre habitants d'une même « terre », si les prélèvements relèvent des droits d'usage ; s'ils ont lieu suite à l'acquisition d'un permis de chasse, le gibier ne peut circuler et être vendu qu’en présence du chasseur ou de son représentant et il doit être accompagné du permis de chasse justifiant l'abattage et donnant l'identité du chasseur. La vente doit avoir lieu uniquement sur les marchés officiels, auprès des entreprises privées déclarées ou des administrations. Le carnet de chasse est alors visé par l'autorité administrative locale, pour une vente sur le marché, ou bien par le responsable de l'entreprise. La vente de la viande d'éléphant, hors de la « terre » d'abattage, doit être inscrite, s'il y a lieu, sur le permis spécial d'éléphant, avec mention du lieu de destination prévu.

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On voit ainsi se mettre en place une véritable situation schizophrénique puisque, après avoir posé le principe unique de la sportivité de la chasse, le législateur est obligé de prévoir immédiatement des dérogations permettant les échanges monétarisés entre les habitants d'une même subdivision et pouvant s'étendre à l'ensemble de l’AEF. La dérogation devient ainsi la pratique générale.

Dans les zones d'intérêt cynégétique, créées par cet arrêté, les dispositions sur le commerce de la venaison sont beaucoup plus restrictives ; elles ont été détaillées au § 2.1.4.1 .

Après l'Indépendance, « en zone de chasse banale, l'échange, la cession, l'achat, la vente, la

circulation du gibier et de la viande de chasse sont libres pour tous les résidents originaires de la République Centrafricaine » (article 63, loi n°60/141). La situation dans la zone d'intérêt cynégétique

reprend les dispositions restrictives évoquées ci-dessus. Dans la première décennie après l'Indépendance, les contrôles sur la filière venaison sont donc légalement très limités.

En 1974, l'ordonnance n°74/72 va imposer aux commerçants de viande de chasse de demander une autorisation administrative, délivrée par le Ministère du commerce, après avis du Ministère chargé de la faune, et de payer une patente. La circulation de la venaison doit être accompagnée d'un carnet à souches, délivré par le service des Chasses et rempli par le vendeur et l'acheteur, devant permettre la traçabilité des produits. Alors que la demande urbaine est en forte croissance et que, suite aux aléas politico-économiques liés à l'arrivée au pouvoir du président Bokassa, l'économie de la RCA commence à sombrer dans l'informalité, ces dispositions ne seront donc jamais réellement appliquées.

La dernière réforme législative, en 1984, replace la filière dans une situation incohérente. Alors que les chasseurs ont la libre disposition de la viande des animaux tués (article 74) et qu'ils peuvent la vendre dans le commerce pendant la période d'ouverture de la chasse et 30 jours après la fermeture (article 76), l'essentiel des méthodes de chasse réellement pratiquées (piégeage, utilisation des armes artisanales, chasse à la lampe), représentant la plus grande partie du gibier commercialisé, sont interdites par le Code de la faune. Ces dispositions plongent donc les chasseurs villageois dans l'illégalité, alors que, sous réserve des autorisations administratives et du paiement d'une patente, le commerce reste autorisé en zone de chasse banale.

Bien que la venaison représente une source de protéines indispensable pour l'approvisionnement des villes et un élément de revenu très important pour les ménages ruraux, l'accès à des armes perfectionnées, seules autorisées, se complique du fait des formalités administratives et de la perte de pouvoir d'achat liée à la situation économique générale du pays. Ainsi, la législation officielle se durcit et méconnaît totalement les pratiques de chasse des populations rurales.