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Le travail dans les coopératives et les milieux autogérés

Chapitre 2 : L'engagement au travail

2.2. Le travail dans les coopératives et les milieux autogérés

Le but de cette recherche est de regarder si le milieu coopératif arrive à élargir la coopération à des niveaux extérieurs à sa structure interne. On peut en effet se demander si le milieu coopératif amène une prise de décision locale au-delà de la sphère coopérative. Plusieurs études (Simard, 1979; Sainsaulieu et Tixier, 1983; Favreau, 2008) montrent que les coopératives sont en mesure de tendre vers une réelle démocratisation, mais que cette dernière ne parvient pas à s'élargir au-delà de la coopérative : « Le problème qui reste néanmoins posé est celui de leur généralisation. Une chose est de bâtir un petit monde différent dans un espace à part, une autre est d'en tirer les conclusions à l'échelle des grandes organisations ou de la démultiplication d'expériences particulières. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983: 14) Ainsi, le milieu coopératif n'arriverait qu'à créer différents vases clos de démocratisation et de coopération, dans une société globale axée sur la compétition et l'accumulation (Sainsaulieu, 1997; Favreau, 2008).

8 Quarter ne parle bien entendu pas tout à fait de ce modèle, qui n'existait pas lorsqu'il a écrit son texte.

J'utilise ici une critique qu'il appose aux coopératives de consommation : « Is it possible to create a democratic organization which ignores the workers as a distinct membership group? » (Quarter, 1992 : 32)

Pour Sainsaulieu, les modèles d'entreprises démocratiques ont trois principes : « l'abolition du capitalisme privé; l'installation de structures de démocratie directe pour gérer le travail par assemblées générales et commissions multiples; et enfin la recherche d'une plus grande justice dans la distribution des salaires, des responsabilités et du pouvoir de chaque travailleur sur la conception de sa tâche » (Sainsaulieu, 1997 : 97). Cependant, ces principes font face à différentes impasses, dont la difficulté de la prise de décision en groupe, les problèmes liés aux habitudes hiérarchiques et la difficulté à surmonter les différences. De plus, les objectifs sociaux de l'entreprise démocratique peuvent être difficiles à conjuguer dans les impératifs de production économique imposés par l'économie de marché (Sainsaulieu, 1997). Pour toutes ces raisons, il va de soi que l'élargissement des valeurs de coopération et de démocratisation est difficile (Simard, 1979; Sainsaulieu et Tixier, 1983; Favreau, 2008; Vaillancourt, 2008) et qu'il existe différents blocages à ces valeurs différentes des valeurs dominantes : « Il ne suffit pas en effet d'inventer des institutions généreuses égalitaires et participatives, pour que leur mise en œuvre échappe à l'épreuve du feu des fonctionnements quotidiens. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 : 11-12) Webb l'énonce très bien : « so long has the Cooperative movement forms a "State within a State", and the Cooperative system is surrounded by an individualist and competitive society, it is impossible to assert dogmatically that democratic control would be an effective alternative to individual profit-making in lowering the price and improving the quality of commodities. » (Webb, 1891 : 209) Pour Webb, tant que la coopérative recherche le profit, tant bien même que le manager est élu, il ne peut s'agir d'une structure démocratique, puisque la recherche de profit ne peut être faite pour le bien de tous. La structure coopérative continue donc la compétition malsaine entre les entreprises. La seule chose que les coopératives auraient réussie, c'est à diminuer le profit du manager, mais sans réussir à réellement augmenter le salaire du travailleur manuel.

Pour arriver à créer quelque chose de nouveau, le respect des règlements généraux n'est pas suffisant : « Alors que les statuts ne prévoient que des assemblées annuelles, des réunions des organes de décision tous les deux mois, le projet autogestionnaire et les incertitudes vécues par l'organisation impliquent un système de réunions beaucoup plus fréquentes. Cette nécessité pour la survie entraîne la naissance d'une structure formelle inventée – réunions diverses, conseils de gestion – qui n'est aucunement reliée aux structures légales de l'association. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 : 104) Ainsi, le fonctionnement collectif en

vient à être caractérisé par une quasi-absence de règles écrites. La régulation se fait alors de manière relativement autonome, par les attentes quant aux rôles de chacun, qui ne figurent pas dans les documents officiels.

De ce fait, même si un collectif de travail est fondé, celui-ci n'échappe pas à la bureaucratie, aux différents rituels, etc. Il est difficile de changer les comportements sociaux, et les mouvements sociaux ne deviennent que très rarement institutionnels. Même si le modèle d'autogestion semble fonctionner, il dure généralement peu longtemps et finit par tomber : « S'il y a tant de difficultés à faire durer ces expériences alors que partout elles renaissent des cendres des précédentes, c'est que le fonctionnement collectif met en cause des ressorts profonds de la structure et de la dynamique sociale des sociétés contemporaines. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 :18) Les projets peuvent s'appuyer sur des structures démocratiques pour s'organiser, mais ce modèle a des limites. Des relations de pouvoir existent tout de même, qui peuvent venir détruire les projets démocratiques : « Le niveau culturel nécessaire à la compréhension du fonctionnement, le jeu autour de l'accès à l'information pertinente et la capacité d'une vue d'ensemble sur l'organisation nécessaire à une prise de décision font que, même si physiquement il y a accès possible aux lieux du pouvoir, en réalité le pouvoir reste inchangé. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983:67)

Même lorsque l'entreprise arrive à une culture du fonctionnement en collectif, celle-ci se développe en îlot (Sainsaulieu, 1997), que ce soit dans une grande ou une petite entreprise. La culture créée dans l'organisation, ou dans le groupe faisant partie de l'organisation, ne continue pas à l'extérieur. Il y a résistance culturelle de l'extérieur : « Ces types de régulations culturelles des ensembles organisés ont, en effet, pour trait commun de ne fonctionner que sur la domination d'acteurs forts au détriment des autres groupes marginaux, en retrait, novateurs, émergents, apprentis, étrangers, constituant en définitive la majorité des gens au travail. » (Sainsaulieu, 1997 : 246) Pour devenir des communautés plus larges, les solidarités collectives doivent s'appuyer sur des valeurs et des normes qui sont lentement élaborées dans les groupes.

Prenant en compte ces critiques, l'idée de cette recherche n'est pas de savoir si le milieu coopératif arrive à changer les mentalités, mais de regarder s'il tente, en partie, d'élargir la coopération à des niveaux extérieurs à sa structure interne. Il est d'ailleurs intéressant de regarder si l'implication apparaît comme une contrainte pour les travailleurs du milieu

coopératif puisque, comme le dit si bien Gower, « the key issue in the business world is not ownership but control. Large modern corporations, whether owned in a capitalistic mode or a cooperative mode, are controlled by management. » (cité dans Quarter et Melnyk, 1989 : 180)