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L'engagement des travailleurs du mouvement coopératif de Québec

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Academic year: 2021

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L’engagement des travailleurs du mouvement coopératif

de Québec

Mémoire

Jovan Guénette

Maîtrise en sociologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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L’engagement des travailleurs du mouvement coopératif

de Québec

Mémoire

Jovan Guénette

Sous la direction de :

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Résumé

Le mouvement coopératif a subi, au fil des années, une institutionnalisation qui a contribué, pour certains auteurs, à sa banalisation. Ce modèle se retrouverait piégé dans une réponse à des préoccupations auxquelles ni le marché ni l’État n’arrivent à répondre. Cela apporte une dissonance entre la manière que les coopératives sont perçues et leur mission, qui vise en partie un changement social.

Au même moment, le milieu de l’emploi subit une transformation, qui amène une plus grande mobilisation des travailleurs dans l’entreprise. On fait alors plus appel à leur subjectivité. Les entreprises doivent travailler sur leur fonctionnement interne pour s’assurer de l’engagement de ses travailleurs. Du côté des coopératives, les quelques études sur le sujet montrent que les travailleurs sont plus satisfaits de leur travail en raison de la mission sociale de l’entreprise. Ceux-ci seraient donc plus engagés envers leur travail en raison de sa mission qui est tournée vers la communauté plutôt que vers le marché.

En interrogeant douze travailleurs de quatre coopératives de la ville de Québec, cette étude tente de voir de quelle manière, et envers quoi, les travailleurs du mouvement coopératif s’engagent.

Les résultats de cette étude montrent que les travailleurs du mouvement coopératif sont bel et bien engagés envers la structure coopérative. Ils se sentent plus engagés envers leur travail dans une coopérative en raison de l’attachement envers leurs collègues de travail, de la participation qu’ils ont au processus décisionnel, de l’idée de conseiller les clients plutôt que de tenter de leur vendre un produit et de l’absence d’une grande hiérarchie qui fait que les employés se sentent plus près de leurs superviseurs. En plus de l’organisation interne à l’entreprise, c’est aussi l’appartenance de l’entreprise à la communauté locale qui fait que les travailleurs s’y sentent engagés.

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Abstract

The Cooperative movement was institutionalized along the years which contributed, for some authors, to its trivialization. This model would find himself trapped in a response to concerns on which neither the market nor the State are able to answer. This brings discord between the way people perceive the cooperatives and their mission, which aim, in part, a social change.

At the same time, workplaces are undergoing changes, which brings a bigger mobilization of workers into companies. We call on their subjectivity. Organizations have to work on their internal function to make sure of the commitment of their workers. On the cooperatives side, the few studies on this topic show that the workers are more satisfied with their job because of the social agenda of the company. They would be more committed to their work because of its mission, which aims the community, rather than the market.

By interrogating twelve workers from four cooperatives of Quebec City, this study wishes to see in which ways, and over what, the workers of the cooperative movement are committed.

The results of this study show that the workers of the cooperative movement are indeed committed to the cooperative structure. They feel more committed to their work in a cooperative because of the attachment to colleagues, the participation in the decision-making process, the idea of giving advice to customers rather than trying to sell them a product, and the lack of a large hierarchy which makes the employees feel closer to their supervisors. In addition to the internal organization of the company, the belonging of the company to the local community also makes the workers more committed to it.

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Table des matières

Résumé...III Abstract...IV Table des matières...V Liste des acronymes...VII Remerciements...VIII

Introduction...1

Chapitre 1 :Le mouvement coopératif québécois...3

1.1. Qu'est-ce qu'une coopérative?...3

1.2. Historique du mouvement coopératif québécois...5

1.2.1. Le début du 19e siècle : L’économie solidaire...5

1.2.2. Du milieu du 19e siècle à 1930 : L’essor du modèle coopératif……… 7

1.2.3. De 1930 à 1980 : Le nationalisme économique...10

1.2.4. De 1980 à aujourd'hui : La nouvelle économie sociale...15

1.3. L’autonomie des coopératives……….19

1.4. Coopération et changement social...20

Chapitre 2 : L'engagement au travail...23

2.1. Les différents modèles coopératifs...23

2.1.1. Les coopératives de consommation...24

2.1.2. Les coopératives de travail...26

2.1.3. Les coopératives de solidarités...29

2.1.4. Les coopératives de travailleurs actionnaires...30

2.2. Le travail dans les coopératives et les milieux autogérés...30

2.3. Les difficultés quant à l'engagement dans le milieu coopératif...33

2.4. Les études sur l'engagement au travail...37

2.4.1. Le post-fordisme et le contrôle des attitudes...39

2.4.2. Les études sur l'engagement dans le travail...44

2.5. Comment appréhender l'engagement dans le milieu coopératif?...50

Chapitre 3 : Méthodologie...55

3.1. Échantillon...55

3.2. Sollicitation des répondants...58

3.3. Déroulement de l’entrevue...58

3.4. Le corpus des répondants...61

3.4.1. Mountain Equipment Co-op (MEC)...61

3.4.2. La Barberie...62

3.4.3. La librairie Pantoute...63

3.4.4. La Coop Zone...63

3.5. Limites de l'étude...65

Chapitre 4 : Travailler dans une coopérative, de l'embauche à la démission...67

4.1. Obtenir un emploi dans une coopérative...67

4.1.1. Postuler à l'emploi...69

4.1.2. La formation...70

4.2. La fondation d'une coopérative...71

4.3. Les connaissances sur le modèle coopératif...73

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4.3.2. Un modèle qui n'est pas parfait...80

4.3.3. La participation aux instances...84

4.4. Le sentiment d'appartenance à la coopérative...87

4.5. L'avenir après la coopérative...89

Chapitre 5 : L'engagement dans le milieu coopératif...92

5.1. Le changement organisationnel...92

5.1.1. Le comportement proactif/interactif...93

5.1.2. Le comportement réactif...94

5.1.3. Le comportement inactif...94

5.2. Les différentes cibles d'engagement...95

5.2.1. S'engager envers la profession...96

5.2.2. S'engager envers ses collègues de travail...100

5.2.3. S'engager envers ses supérieurs...103

5.2.4. S'engager envers l'entreprise...106

5.2.5. S'engager envers les buts ou les valeurs de l'organisation...110

5.2.6. S'engager envers le modèle coopératif...114

5.2.7. S'engager envers la communauté...119

5.3. Les types d'engagements...123

5.3.1. L'engagement affectif...123

5.3.2. L'engagement en continu...125

5.3.3. L'engagement normatif...127

5.4. Les différentes façons de s'engager dans le modèle coopératif...129

5.5. L'entreprise coopérative : un emploi de passage?...132

5.6. L'économie locale...134

Conclusion...137

Bibliographie...141

Annexe 1 : Formulaire d’entente...146

Annexe 2 : Annonce de recrutement...147

Annexe 3 : Schéma d’entrevue...148

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Liste des acronymes

ACI : Alliance Coopérative Internationale

AG : Assembléegénérale CA : Conseil d’administration

CCQ : Conseil de la Coopération du Québec CES : Chantier sur l’économie sociale

CQCM : Conseil québécois de la coopération et de la mutualité

COCES : Comité d'orientation et de concertation sur l'économie sociale CSC : Conseil supérieur de la coopération

MEC : Mountain Equipment Co-op NMP : Nouveau modèle productif PME : Petites et moyennes entreprises

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Remerciements

Je tient d’abord à remercier Nancy Jeannotte pour ses multiples corrections et tout le soutien qu’elle m’a offert dans ma maîtrise. Sans toi, mon projet n’aurait certainement pas avancé aussi rapidement. Merci mon amour!

Je remercie bien entendu Daniel Mercure pour ses commentaires, qui, chaque fois, m’ont amené à recalibrer mon étude et à l’améliorer. Je n’aurais pu espérer une meilleure direction à mon mémoire.

Je remercie, bien entendu, toutes les personnes qui ont accepté de participer à ma recherche. Merci de m’avoir donné de votre temps. Merci aussi à celles et ceux qui ont partagé mon annonce de recrutement, et qui ont ainsi facilité mon terrain. Sans vous, celui-ci ne se serait probablement jamais terminé.

Merci aux différentes coopératives qui ont accepté de participer à l’étude. Même si certaines sections de cette étude peuvent sembler critiques à votre endroit, il n’en reste pas moins que vous êtes de bonnes entreprises qu’il me fait plaisir d’encourager.

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Introduction

Depuis l’avènement du capitalisme, plusieurs projets collectifs, ponctuels ou durables, se sont formés pour pallier des problèmes causés par ce système ou en développer des alternatives (D’Amours, 2000). Parmi ces projets, on retrouve les coopératives, qui ont comme particularité de permettre une participation démocratique à l’entreprise, une égalité entre les participants et une redistribution des profits générés (Favreau, 2010). Dans l’idéologie coopérative, on retrouve des penseurs qui visent à réformer le capitalisme et d’autres à l’abolir (Vaillancourt, 2008). Ces entreprises apparaissent pour certains comme une réponse aux lacunes du système, en offrant des services dans des communautés qui ne seraient pas assez rentables pour le marché. Pour d’autres, il s’agit d’amener un changement social, en réaffirmant l’importance de prendre des décisions en groupe, localement, etc.

Plus récemment, le milieu coopératif a vécu une institutionnalisation qui l’a amené à prendre une place à la marge de la société de consommation (D’Amours, 2000). Loin d’être vu comme un espace de changement social, le milieu coopératif est surtout vu, par les États, comme une solution aux problèmes structurels de l’entreprise (insertion sur le marché du travail des individus marginalisés, offre de services auxquels ni la sphère publique ni la sphère privée ne répond efficacement, etc.). Il peut donc être difficile pour le milieu coopératif d’amener un changement social s’il est enfermé dans cette réponse à des besoins issus du secteur lucratif ou du secteur public (Favreau, 2010). Cette recherche cherche à voir si les valeurs coopératives tendent à dépasser les murs des entreprises, en partant du discours des travailleurs de ce mouvement. En étudiant l’engagement des travailleurs du modèle coopératif, cette étude tente de voir si le mouvement coopératif vise une implication des travailleurs qui se limite à l’entreprise, ou qui a aussi une visée sociale plus large. Plus précisément, cette étude tente de répondre aux questions suivantes : envers quoi les travailleurs du milieu coopératif se sentent-ils engagés et s'impliquent-ils? De quelle manière cet engagement et cette implication ont-ils changé depuis leur embauche dans une coopérative? Est-ce que le fait de travailler dans le milieu coopératif se traduit par d’autres formes d’engagements à l’extérieur de l’entreprise coopérative?

Pour répondre à ces questions, ce mémoire commence par présenter plus largement le mouvement coopératif et son processus d’institutionnalisation au Québec. Cela permettra

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au lecteur de mieux saisir les transformations qu’a subies le mouvement coopératif et la manière dont il a été influencé par les choix économiques pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. C’est le thème du chapitre 1.

Au chapitre 2, je commence par présenter l’état des connaissances scientifiques sur le modèle coopératif, et les problèmes qui peuvent habiter ce type d’entreprise. J’entre ensuite plus largement dans le cas du travail dans le milieu coopératif, puisque les travailleurs de ce mouvement sont la population de cette étude. Or, étant donné le manque de données sur le travail en milieu coopératif, je dois faire un détour sur les études sur le bénévolat et le travail en général pour bien conceptualiser le travail en milieu coopératif, et ce que peut représenter l’engagement dans une coopérative.

Je présente ensuite, au chapitre 3, le choix de la méthode de recherche et mon corpus de répondants. J’ai décidé d’effectuer des entrevues semi-dirigées avec des travailleurs de quatre coopératives ciblées de la ville de Québec. Le choix de ces coopératives, le déroulement des entrevues ainsi que l’outil de collecte sont présentés à ce chapitre. J’expose ensuite le profil des répondants et les limites de mon échantillon.

Au chapitre 4, je présente les données provenant des douze entretiens effectués avec des travailleurs du mouvement coopératif. Je présente ces données selon le parcours du travailleur, soit du moment qu’il a postulé à l’emploi jusqu’à ses projets après son passage dans l’entreprise, en passant par ses connaissances du modèle coopératif et son attachement à l’entreprise.

Par la suite, je reprends les données recueillies pour les mettre en relation avec les théories de l’engagement au travail lors du chapitre 5. Cela me permet de remarquer différentes cibles à l’engagement des travailleurs, et les différents buts de cet engagement. Je divise ensuite l’engagement envers le modèle coopératif en quatre catégories, selon l’intention de quitter des répondants et la cible de l’engagement (interne ou externe à l’entreprise).

En conclusion, je reviens sur les questions de recherche pour y apporter des éléments de réponse et synthétiser ce que ce mémoire nous apprend sur le mouvement coopératif. Je termine ensuite en proposant d’autres pistes d’étude possibles pour développer plus de connaissances sur l’engagement envers le modèle coopératif.

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Chapitre 1 :Le mouvement coopératif québécois

1.1. Qu'est-ce qu'une coopérative?

Dès le 13e siècle, des organisations se forment pour promouvoir une solidarité et des rapports plus humains. Mais, ce n’est qu’au 19e siècle que le développement de ces projets s'accentue, à la suite de la révolution industrielle, pour lutter contre les effets néfastes du capitalisme naissant (Jeantet, 2009). Au cœur de ces organisations, on retrouve une préoccupation pour l'humain plutôt que l'enrichissement. Les coopératives en font partie. Ce sont des entreprises apparues d'abord au 18e siècle en Angleterre. Elles ont été théorisées à maintes reprises et différents projets, de différentes natures, font partie de ce qu'on appelle le mouvement coopératif. Une partie des coopératives a une origine religieuse, avec l'idée de charité chrétienne envers les travailleurs (Jeantet, 2009). Elles ont été théorisées par Le Play. Parmi les différents courants fondateurs de ce mouvement, on retrouve le libéralisme. Dans ces projets, la coopérative sert à créer un capitalisme raisonnable. Elle est axée sur la participation. En opposition, on retrouve une idéologie plus radicale. On y voit la coopérative comme une forme de solidarité. Ces groupes défendent l'idée de République. Les individus s'organisent par eux-mêmes, valorisent leurs talents et leur sens des responsabilités. Il y a ensuite la théorie socialiste et communiste. Au Québec, les premières coopératives sont apparues au début du 20e siècle. Différentes initiatives ont cependant pris place avant la fondation des coopératives telles que nous les connaissons aujourd'hui. Avant d'entrer plus en détail dans l'histoire des coopératives au Québec, prenons d'abord le temps d'expliquer ce qu'est une coopérative. Il s'agit d'une initiative, parmi d'autres, qui a pour but de venir en aide ou d'offrir des services à une population en particulier, qui est lésée par le système dominant, ou tout simplement laissée de côté. Les coopératives font partie de ce qui est appelé l'économie sociale et solidaire1. Cette catégorie, selon Quarter (1992) est un secteur où est placé tout ce qui se situe entre la sphère privée marchande et la sphère publique, dont les coopératives. Ce type d'économie, par sa valeur sociale et de solidarité, s'oppose à l'économie dominante (l'économie de marché) qui est vue comme étant séparée du social et fonctionnant sous le modèle de la concurrence plutôt que de la coopération.

1 J'utilise le terme d'économie sociale et solidaire dans le but de traiter des initiatives locales dans son

ensemble. Au Québec, on parle habituellement d'économie sociale, mais j’élargis ce terme pour lui donner une valeur plus globale, puisque dans certains pays, on parle d'économie solidaire plutôt que d'économie sociale.

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Dans les sociétés préindustrielles, l'idée d'économie sociale n'existait pas, puisque toute l'économie était sociale (D'Amours, 2000). Celle-ci était encastrée dans les relations sociales. L'idée de marché existait, mais son rôle restait secondaire. Il était aux côtés des principes de réciprocité, de redistribution et d'administration domestique. C'est la modernité qui va amener une séparation entre les sphères économique et politique. L'autorégulation du marché amène l'autonomisation de la sphère économique. En ce sens, « L’histoire de l'économie sociale recoupe celle de la modernité et se présente comme une tentative de réencaster l'économique dans le social. » (D'amours, 2000 : 5). Par exemple, les services offerts par l'économie sociale et solidaire sont différents de ceux offerts par l'État. Favreau et Molina (2011) donnent l'exemple des coopératives en santé, qui sont en opposition aux services de santé fournis par l'État. Les coopératives vont s'implanter là où il y a des besoins, alors que les autres vont s'implanter là où il y a assez de demandes.

Favreau définit l'économie sociale comme le fait de « s'associer pour entreprendre autrement » (Favreau, 2010 : 65). Cette définition tient compte à la fois de la dimension sociale (associer), économique (entreprendre) et politique (autrement) de l'économie sociale. Cette définition reste d'ailleurs très ouverte et montre l'éventail de projets politiques différents pouvant faire partie de l'économie sociale. Ces différents projets peuvent à la fois être parallèles ou entrer en conflit les uns avec les autres, ce que nous montrerons plus tard. Les différents auteurs ne sont cependant pas d'accord sur ce qui doit être intégré et exclu de l'économie sociale. Par exemple, D'Amours (2000) et Vaillancourt (2008) considèrent que les associations qui offrent gratuitement leurs services en font partie, alors que Favreau (2008, 2010) considère qu'elles ne peuvent en faire partie, puisqu'elles ne sont pas viables économiquement. Il exclut les associations non marchandes, puisqu'elles sont dépendantes de l'État. Puisque ces associations nécessitent une subvention pour survivre, elles ne peuvent être aussi autonomes qu'une association qui n'aurait pas besoin de cette subvention. Ainsi, l'économie sociale est une catégorie complexe. Cette énorme catégorie pose problème dans l'analyse des données, puisqu'elle inclut à la fois de grosses compagnies comme la Caisse Populaire Desjardins et de petits organismes à but non lucratif (OBNL) de moins de cinq employés. Le milieu coopératif, bien qu'une simple partie de l'économie sociale est tout aussi complexe.

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1.2. Historique du mouvement coopératif québécois

Pour bien cerner le développement du milieu coopératif au Québec, un historique des différents projets sera d'abord effectué. Celui-ci est divisé en plusieurs parties. Comme le mouvement coopératif prend racine dans (et en réponse à) l'économie de marché, son développement est connexe aux transformations économiques qu'on retrouve dans la société. Cette section est donc divisée en différentes parties, correspondant chacune à une étape du développement de l'État libéral (Gagné, 1985).

1.2.1. Le début du 19 sièclee : L'économie solidaire

En France, les premières coopératives sont des coopératives de métier, qui se développent après la révolution de 1848, mais sont ensuite dissoutes sous Napoléon III (Sainsaulieu et Tixier, 1983). Elles vont se multiplier pendant la Commune de Paris, mais elles vont mourir avec elle. Elles vont ensuite se reconstituer avec les syndicats, dans des secteurs où le métier est vu comme une valeur et un mode de travail, et où le capital nécessaire n'est pas très important (comme l'imprimerie). Ensuite, elles vont se développer là où le métier peut être maintenu, contre le taylorisme. La production de masse va cependant jouer contre elles. Elles vont alors s'orienter vers l'artisanat et le secteur tertiaire supérieur, parce que « Face à une déqualification, la création d'un collectif sous forme coopérative permet de retrouver une image professionnelle valorisante. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 : 29).

L'économie sociale, en tant que « projet révolutionnaire qui se veut une alternative à la régulation marchande » (D'Amours, 2000 : 5) n'a pas vraiment pris place au Québec. Les coopératives et les autres projets faisant partie de l'économie sociale et solidaire y sont arrivés plus tard. On retrouve tout de même de premières initiatives, qui se font en réponse au capitalisme libéral. Les ouvriers se dotaient d'institutions pour parvenir à combler leurs besoins. Les initiatives du début du 19e siècle étaient pratiquement exclusives aux ouvriers et aux artisans urbains. Il s'agit des services de secours mutuels. Avec ces services, nous entrons déjà dans une logique différente de l'économie sociale, qui est de fournir un « projet adaptatif qui cherche à corriger les effets néfastes de la régulation marchande concurrentielle » (D'Amours, 2000 : 6). Nous sommes déjà sortis de l'idée d'alternative. Ces services naissent en réaction aux effets du capitalisme pour pallier ses manquements et

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limiter ses abus. Par le fait même, ils développent des modalités d'adaptation au système capitaliste (D'Amours, 2000).

Ces services refusent le membership aux marchands, aux professions libérales et aux membres du clergé. Pour une cotisation mensuelle2, ils fournissent de l'aide aux membres et à leur famille en cas de chômage, de maladie, d'accident, d'invalidité ou de vieillesse (Vaillancourt, 2008). Elles ont aussi un vaste volet d'activités culturelles dans le but de renforcer les liens sociaux entre les membres. Par exemple, on se rend aux funérailles d'un membre; on lui rend visite à l'hôpital s'il est malade, etc. (Lévesque, 2007). Pour Benoît Lévesque, ces services font partie de l'économie solidaire. Ils fonctionnaient sous un mode de démocratie participative et délibérative et les activités économiques et sociales y étaient fortement interdépendantes. Ils étaient ancrés dans les collectivités locales et fonctionnaient selon un rapport de proximité. Ces services refusaient de se fédérer, mais gardaient un lien vertical entre eux. Ils n'ont cependant pas perduré, puisque leur modèle de gestion était inadéquat en raison de leur trop petite taille et des différents conflits internes. De plus, puisqu'il n'y avait alors aucune reconnaissance juridique3, les poursuites judiciaires qu'elles ont encourues leur ont coûté très cher et ont entravé leur développement. À partir de 1890, certaines sociétés vont se transformer et ressembler davantage à une compagnie d'assurance, en offrant des services graduels et une cotisation selon le risque encouru. « Beaucoup plus tard, le Conseil supérieur de la coopération hésitera à reconnaître la "nature coopérative" de ces mutuelles considérant que leurs pratiques commerciales se distinguaient peu de celles des compagnies d'assurance. » (Lévesque, 2007: 5) Nous avons ici affaire à des initiatives locales qui avaient pour but de coopérer en tant que membre d'un même groupe, mais qui n'ont pu perdurer en raison d'un manque de reconnaissance de l'État.

Ces services sont surtout apparus à Montréal, qui était alors la porte d'entrée de l'immigration. Les immigrants étaient contraints d'accepter les pires conditions et les pires rémunérations pour survivre. L'énergie du mouvement ouvrier était donc axée sur la survie : « Si les sociétés de secours mutuels favorisent le maintien des liens de solidarité, "elles ne permettent pas d'espérer une reconquête" économique » (Lévesque, 2007 : 6). Pour que ces

2 Selon Lévesque (2007), la cotisation est uniforme pour tous les membres. Cependant, selon Vaillancourt

(2008), celle-ci dépendrait de la capacité de payer de chaque famille. Il est possible que les deux auteurs aient raison et que différents services aient un fonctionnement différent.

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services entraînent un réel changement dans la condition de la classe ouvrière, ils auraient dû, selon Lévesque, s'allier avec d'autres groupes sociaux ou bien avec des élites.

1.2.2. Du milieu du 19 siècle à 1930e : L’essor du modèle coopératif

Cette période est marquée par un changement dans le rôle de l'État. Alors qu'on était autrefois dans l'État libéral, qui prône un état minimal, qui n'a comme rôle que de s'assurer du respect des contrats (Gagné, 1985), on entre dans ce que Gilles Gagné va appeler l'État assuranciel. L'État crée alors des lois pour assurer au minimum la survie de la population (lois sur l'eau potable, l'hygiène publique, les épidémies, le travail des enfants, le financement des écoles, les normes alimentaires, etc.). L'État offre aussi des assurances, où il met une partie de l'argent qui lui est fourni par les taxes. « [L']État va devoir alors accroître progressivement ses compétences et ses responsabilités dans le domaine de la reproduction de la force de travail parce qu'il reviendra au pouvoir politique de faire en sorte que le mode de production du profit soit aussi un mode de reproduction de la société. » (Gagné, 1985 : 38) L'État a ici le rôle d'intervenir dans la vie sociale, mais ne redistribue pas la richesse. On considère le marché comme la meilleure forme de redistribution. Tout en respectant la distribution que fait le marché de la richesse, on prend une partie du salaire excédentaire au prolétariat, pour s'assurer qu'il le gère bien. C'est par le salaire que la population entre finalement dans la consommation. Dans ce nouvel État, des lois vont être faites pour permettre à des initiatives locales de s'institutionnaliser et de survivre. Plusieurs coopératives voient le jour, dont des coopératives agricoles, de pêcheurs, d'alimentation, d'habitation et d'épargnes (Larose, 2001). En 1865, elles obtiennent leur première loi constitutive. Parmi tous ces projets, lors de cette période, deux types de coopératives prennent une part importante du marché au Québec : les coopératives agricoles et les caisses populaires.

Les coopératives agricoles

Pour Benoît Lévesque (2007), les services de secours mutuels ont montré la limite de la solidarité, qui n'a pas été suffisante pour affronter les risques créés par le capitalisme. De plus, bien que ces services maintiennent des liens de solidarité, ils ne permettent pas à l'ouvrier une reconquête de ses conditions. Les initiatives locales présentes dans le monde rural ont cependant réussi à s'implanter au cours des transformations sociales : « Les

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initiatives associatives dans les milieux ruraux, notamment dans le monde agricole, porteront plutôt sur la transformation d'une agriculture en difficulté, l'occupation du territoire et le problème de l'exode rural, vers les États-Unis et les villes. » (Lévesque, 2007 : 6) Les premières initiatives vont se faire par les anglophones, qui développeront des mutuelles d'assurance incendie. Il y a eu plusieurs tentatives différentes pour ce genre de service, mais elles n’ont pas porté fruit. C'est dans les campagnes francophones qu'on va voir naître l'économie sociale avec les sociétés d'agriculture et les cercles agricoles. Les sociétés d’agriculture vont permettre l'achat en commun de grains, d'animaux et d'instruments. On en retrouve une par comté, et deux ou trois pour les plus grands comtés. Les cercles agricoles, eux, sont une forme d'éducation populaire. Les deux différents groupes de sociétés ont été en conflit, car ils étaient reliés à une vision différente du développement de l'agriculture. D'abord, il y a « celle d'une agriculture plus traditionnelle soutenue par le clergé et la petite bourgeoisie traditionnelle et celle d'une agriculture plus orientée vers le marché et soutenue par une autre fraction de la petite bourgeoisie » (Lévesque, 2007 : 6). D'un côté on retrouve les libéraux avec les sociétés d'agriculture et de l'autre les conservateurs avec les cercles agricoles, qui veulent rester séparés de l'État. Ces initiatives ont l'avantage, contrairement aux services de secours mutuels, d'avoir un projet de société rassembleur, ce qui va leur permettre d'obtenir, d'un côté, l'aide du clergé, et, de l'autre, l'aide de la nouvelle petite bourgeoisie.

En 1883, on voit naître la première coopérative de fabrication de beurre et de fromage, créée grâce à l'achat par des agriculteurs d'une fabrique privée. Entre 1889 et 1900, 40 autres sont formées, mais Benoît Lévesque prévient qu'il est difficile de dire à quel point ces entreprises sont coopératives, puisque leur loi n'est votée qu'en 19024. Les coopératives agricoles se multiplient par la suite. Entre 1909 et 1920, 311 sont mises sur pied, dont 257 entre 1913 et 1919 (Lévesque, 2007). Celles-ci s'occupent de l'écoulement des produits agricoles; de l'achat des biens nécessaires à la production et de la transformation du lait. Il existe des tensions idéologiques entre les coopératives, car le ministre de l'Agriculture garde un fort contrôle sur ces entreprises, et que la branche liée au clergé « vise le maintien des "traits catholiques et français de la société rurale" » (Lévesque, 2007 : 15). Le ministre oblige une fusion, faisant naître la Coopérative fédérée du Québec, qui, en 1930, perd son caractère démocratique et est alors dirigée par un ancien fonctionnaire dévoué au ministre. L'Union catholique des cultivateurs tente, à cette époque, de fonder des coopératives

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agricoles qui vont échapper au ministre de l'Agriculture et forme le Comptoir coopératif. Ces services auront obtenu une reconnaissance de l'autorité publique très rapidement, ce qui leur aura permis de perdurer et de mieux s'implanter. Ici, le début d'institutionnalisation, qui était manquant pour les services de secours mutuels, permettra l'émergence d'un modèle entrepreneurial viable et différent du modèle dominant.

Les caisses populaires

En 1900, est fondée, par Alphonse Desjardins, une première caisse populaire. Celle-ci est une expérimentation et est créée sans attendre sa reconnaissance juridique. Le territoire visé par cette caisse est le Canada français. On choisit la paroisse comme lieu d'ancrage de la caisse locale, ce qui permet de faciliter le repérage des personnes honnêtes et d'avoir l'appui du curé en tant que leader moral. Les débuts de la caisse se font lentement. En 1913, on n'en compte que 23 au Québec, alors qu'en 1916, il y en a alors 136, et ensuite 187 en 1920 (Lévesque, 2007). Cette expansion est due au soutien des évêques, qui voient la caisse comme l’œuvre sociale et chrétienne par excellence. Un peu partout au Québec, le clergé milite en faveur des caisses : « Sur les 160 caisses, on retrouvait parmi les dirigeants 140 prêtres (114 étant curés) dont 116 comme présidents de la caisse. [Ceux-ci sont en] croisade contre les changements sociaux, économiques et culturels qui accompagnent le développement du capitalisme industriel et l'urbanisation »(Lévesque, 2007 : 13). La caisse était aussi une forme de nationalisme, et amenait l'espoir que le Canadien français rejoindrait la grande industrie. Malgré l'absence d'aide de l'État dans les caisses populaires au départ, l'aide d'une autre autorité sociale, le clergé, aura permis à cette initiative, comme pour les coopératives agricoles, de perdurer et d'offrir un contre-projet de société.

Dans les premières années de sa fondation, le Mouvement Desjardins est cependant situé surtout dans les milieux ruraux francophones et catholiques. Durant les vingt premières années de Desjardins, 47 caisses ont fait faillite, ce qui représente 25 % de toutes les caisses (Lévesque, 2007). Alphonse Desjardins, le fondateur, meurt au début des années 1920, avant qu'il n'ait eu le temps de structurer le réseau des caisses. La relève sera faite par des prêtres qui s'occupaient de l'organisation des caisses depuis un bon moment, avec l'aide de quelques laïques. L'administration du Mouvement Desjardins tente de résister à l'idée d'une union régionale par crainte de perdre son autonomie locale, mais des lois sont votées en 1925 et 1930 pour obliger l'union régionale.

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1.2.3. De 1930 à 1980 : Le nationalisme économique

Avec la crise, on voit se développer un rôle plus important pour l'État. Il devient un État protecteur et a maintenant le rôle de planifier les grandes politiques de développement, tant économique que social. Gagné (1985) parle de l'État keynésien. On voit alors apparaître un État qui va intervenir pour s'assurer de la stabilité du système. Les anciens programmes vont être universalisés; on investit dans les infrastructures, les services publics, et ainsi de suite. La société va alors s'assurer de pallier aux problèmes que le système apporte. On est alors sorti des lois du marché, puisque c'est l'État qui crée les conditions et, par le fait même, un marché interne. Au Canada, c'est alors l'État, avec le Wagner act, qui va s'occuper de la santé, de l'éducation, des infrastructures, de l'emploi, des assurances, etc. plutôt que l'entreprise privée (Larose, 2001). Le tout va s'accélérer à la fin de la guerre :

On reconvertit partiellement l'appareil martial de production vers la consommation privée et les publicités télévisées se substituent aux propagandes guerrières. La production massive appelle la consommation massive et celle-ci exige l'uniformisation des besoins. En retour, cette uniformisation s'appuie sur un standard minimal, un "panier de base" de la consommation que les politiques gouvernementales assurent à tous par une certaine redistribution des revenus. (Simard, 1979 : 23)

On voit alors apparaître deux entités différentes, qui s'occupent toutes deux de l'économie : d'un côté l'État, et de l'autre, le marché. Dans ce nouveau modèle, l'économie sociale va se professionnaliser et se bureaucratiser, comme c'est le cas pour Desjardins. En 1932, l'État va accepter de subventionner Desjardins, mais à condition que les unions régionales se dotent d'une fédération provinciale. On centralise alors le Mouvement Desjardins par l'intervention de l'État. Les syndicats et le milieu de la coopération entrent dans une logique distincte : on ne vise plus une sortie du capitalisme, mais une humanisation de celui-ci par les services de l'État.

D'abord, la crise amène un essor du milieu coopératif grâce au programme de restauration sociale lancé par les jésuites de l'École sociale populaire (Vaillancourt, 2008). Le milieu coopératif sert ici de frein à l'intervention de l'État et il est une manière de dénoncer les abus du capitalisme, tout en s'opposant au communisme et au socialisme. La doctrine sociale de l'Église valorise le modèle coopératif, pourvu que les initiatives respectent les balises corporatiste, nationaliste et catholique (Vaillancourt, 2008).

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De 1933 à 1944, 724 caisses sont fondées, et 8 % de la population québécoise est alors membre. Pour ce qui est des coopératives agricoles, on passe de 215 en 1938 à 600 en 1951, regroupant alors la moitié des agriculteurs du Québec (Lévesque, 2007). Vont refaire surface : des coopératives de pêche en 1938, d'électricité (43 entre 1945 et 1952), de consommation, d'habitation, et des coopératives étudiantes. Les coopératives sont alors promues par l'Église, les syndicats catholiques, les médias, les nationalistes et même par la Chambre de commerce. L'éducation coopérative devient une préoccupation. On distribue des dépliants; des cours d'université sur la coopération se donnent à Québec et Montréal. En 1939, le père Georges-Henri Lévesque fonde le Conseil supérieur de la coopération (CSC)5. Ce conseil sert à « assurer la coordination et le rayonnement, préciser et diffuser la doctrine coopérative, présenter un front uni par rapport aux pouvoirs publics et même penser son développement » (Lévesque, 2007 : 18). Ce conseil se bat aussi contre les fausses coopératives (Simard et Allard, 2013). Le père Lévesque, avec le CSC, amène une première tentative de théorisation canadienne-française de la pensée coopératiste. Il y prône une tendance laïque, et milite en faveur de coopératives non-confessionnelles. Cela amène des divisions dans le milieu coopératif, et en 1942, la Fédération des caisses populaires s'en retire.

Ce que Simard et Allard (2013) appellent la révolution coopérative a mené à la révolution tranquille : « En effet, la révolution coopérative se définit aussi comme la montée en puissance, au cours des années trente, d'un modèle économique se proposant comme une solution de remplacement crédible à un libéralisme défaillant et comme un rempart contre le communisme. » (Simard et Allard, 2013 : 4) Le krach de 1929 relance la coopération au Québec, alors qu'on cherche des remèdes à la crise. Pour le père Lévesque, le modèle coopératif sert à se démarquer du capitalisme et du communisme. Dans la revue Ensemble!, qu'il fonde, il ne va pas contre le système, mais contre la place du Canada français dans le système : « Il y avait en effet, parmi les rédacteurs de la revue Ensemble!, une ambition clairement exprimée : celle de l'affranchissement économique du Canada français par la coopération. » (Simard et Allard, 2013 : 24) Il est contre le capitalisme, car il ne vise que le profit. Mais il ne peut accepter le socialisme à cause de Marx et des luttes des classes. La coopération est du socialisme, mais sans la condamnation du profit. Il ne peut se dire socialiste catholique, car cela ne marche pas avec l'Église. Lévesque exige des coopératives

5 Le CSC deviendra plus tard le Conseil de la Coopération du Québec (CCQ), puis le Conseil québécois de la

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non confessionnelles, ce qui entraîne de la colère : « À partir, pourrions-nous dire, de la création du Conseil supérieur de la coopération en 1939, la droite nationaliste catholique et corporatiste canadienne-française n'en finit plus d'être sur la défensive en réclamant le maintien du statut confessionnel, non seulement des coopératives de production, mais, plus globalement encore, de l'ensemble des institutions francophones. » (Simard et Allard, 2013 : 49) Les caisses populaires vont refuser de participer au CSC avant 1957. Ce n'est qu'en 1961 avec le pape Jean XXIII que la non-confessionnalisation est vue comme appropriée et opportune.

Il y a alors, à cette époque, une tension entre une centralisation des coopératives et le fait de garder leur autonomie. Les deux sont reliés à deux conceptions différentes de la coopération. La première est la coopération en tant que finalité, et l'autre comme moyen, dans le but d'une émancipation collective et d'un ordre social-chrétien. Cette dernière vision provient de l'école de Montréal et des HEC, qui voient la coopération comme un moyen pour le Canadien français de lutter contre le pouvoir anglo-saxon, la culture américaine et le libéralisme politique et religieux.

Les syndicats ouvriers vont fournir les services que les caisses populaires ne fournissent toujours pas. On va alors voir apparaître une première caisse d'économie chez les pompiers (1945), les policiers (1946) et l'usine Canadair (1952). « Ces fondations révèlent le refus des Caisses populaires Desjardins de sortir du cadre paroissial et de répondre à des demandes qui s'éloignent du modèle du crédit productif pour les petits producteurs. » (Lévesque, 2007 : 21) En 1949, une première caisse d'établissement rural va être fondée dans le but de répondre aux besoins auxquels les caisses populaires refusent de répondre, comme l'octroi de prêts d'une valeur importante à long terme.

À partir de 1950, plusieurs projets coopératifs vont fermer. Les coopératives de pêcheurs vont survivre grâce au soutien de l'État, mais le nombre de coopératives de consommation et d'habitation va diminuer. Dans le milieu étudiant, les coopératives vont fermer, ainsi que des coopératives forestières. « [C]ette baisse de régime s'accompagne d'une perte d'intérêt pour la coopération de la part des intellectuels et des universitaires. » (Lévesque, 2007 : 25) Avec le début de la Révolution tranquille arrive l'État providence, qui s'était déjà développé ailleurs bien avant, mais qui arrive à son apogée au Québec avec la fin du gouvernement de

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Duplessis, et, par le fait même, du cléricalisme. Cette Révolution tranquille est amenée par les premiers technocrates du Québec : « Contre le matérialisme des grandes affaires et l'abrutissement de l'ouvrier aux mains du capitaliste, contre la concurrence qui écrase les petits, qui déprécie les Canadiens-français, qui favorise les Anglais, les technocrates détiennent la solution : on va étatiser le développement du capitalisme, sans menacer le capital lui-même. » (Simard, 1979 : 32) On est alors dans un plein développement et l'État social va devenir l'acteur principal en santé, en éducation, dans les services sociaux et dans le développement économique. Le nationalisme moderne, contrairement au nationalisme traditionnel, se fait autant dans le monde urbain et rural (Vaillancourt, 2008). Le mouvement syndical va jouer son rôle en défendant les salariés. On réclame de nouveaux services et l'extension des services à tout le territoire. Des citoyens et les syndicats revendiquent plus de participation et une démocratisation des services. On tente de s'organiser selon le mode de l'autogestion dans les différents services. L'État s'axe un peu plus sur le local, avec les CLSC, et différentes agences sont créées pour la population, qu'on pense aux Cliniques juridiques populaires, à l'Office de protection du consommateur, aux droits du logement, etc. (Larose, 2001) L'élite traditionnelle et le monde rural sont rejetés dans l'opposition.

L'État force la participation pour ne pas que le peuple se révolte. On consulte sur tout. Cette technocratisation du pouvoir a cependant un effet pervers. Le peuple se désintéresse du pouvoir et de la démocratie, car il n'a plus les «compétences» pour la pratiquer :

Personne, même les défenseurs de la participation institutionnalisée, n'ose aujourd'hui affirmer que les objectifs avoués de ces mécanismes – représentativité, débat démocratique, égalité des chances pour les groupes participants – ont été atteints. Au mieux, on prétend que les structures ne sont pas au point, que les gens n'y sont pas habitués, tandis que d'autres, les Chambres de commerce par exemple, suggèrent simplement de mettre fin aux essais en diagnostiquant l'échec, et la mort de l'efficacité. (Simard, 1979 : 40)

Le développement régional ne fonctionne pas puisque « les citoyens se butent aux normes et autres impératifs venus d'en haut, aux influences occultes de la vieille politique de patronage, au bloc des "technocrates-experts-qui-possèdent-l'information" » (Simard, 1979 : 40). L'État prend en main la régionalisation en créant des Conseils Régional de Développement (CRD) dans le but de rationaliser le développement. Ce début de planification technocratique commence, selon Jean-Jacques Simard, en 1962 et se poursuit

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sur toute la décennie. Cependant, la population reste attachée aux normes et aux valeurs traditionnelles. Dans la nouvelle vision technocratique dominante, le technicien est vu comme rationnel, alors que la population, elle, est émotive. Il faut donc liquider cette émotivité par la consultation.

Dans ce nouveau modèle, on voit naître deux dynamiques coopératives :

Le premier projet, que soutiennent surtout les fédérations et les coopératives des générations précédentes, est encore celui du nationalisme économique supporté par le gouvernement peu importe le parti au pouvoir. Le second projet mis de l'avant par les initiatives de la société civile dans le domaine des conditions de vie et de la création d'emploi, questionne le nationalisme économique au nom d'un projet alternatif de société qui est lui-même pluriel comme le sont les nouveaux mouvements sociaux (jeunes, femmes, étudiants, contre-culturels, autogestionnaires). (Lévesque, 2007 : 35)

Différents auteurs (D'Amours, 2000; Harrisson et Gervais, 2007; Martin-Roy, 2009) vont parler de l'ancienne et de la nouvelle économie sociale. La première est le mouvement coopératif qui s'insère dans la Révolution tranquille et qui servait auparavant d'instruments de promotion du Canadien français. Ce mouvement voit la coopération comme « une formule juridique qui épouse les objectifs du système dans lequel elle évolue » (Lévesque, 1991 : 20). Par exemple, le Mouvement Desjardins va faire partie, en 1962, de la Société Générale de financement, servant à financer des entreprises. Dix ans plus tard, Desjardins va se donner ses propres outils pour investir dans les entreprises par elle-même. En 1963, l'État révise la loi sur les caisses d'épargne, permettant ainsi à Desjardins d'acquérir des obligations d'autres coopératives; et en 1969, la nouvelle loi va permettre aux caisses d'acquérir des actions ordinaires d'entreprises financières (Lévesque, 2007) et d'ainsi acquérir la Banque d'économie du Québec. C'est en 1979 que Desjardins devient finalement la première institution financière au Québec.

Pour ce qui est de la nouvelle économie sociale, elle relève des mouvements sociaux. On y critique l'organisation sociale, qui est devenue trop tayloriste et bureaucratisée (Larose, 2001).

Dans la vallée de la Matapédia, les gens qui participaient aux travaux du B.A.E.Q ont proposé la création de fermes communautaires. À Cabano, les citoyens ont entrepris de construire une usine où ils détiendraient un certain pouvoir de décision, pas d'exiger des consultations permanentes avec quelque ministère pendant qu'on décidait de leur sort. Les Opérations-Dignité ne visent

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pas la participation du peuple aux œuvres gouvernementales, mais la vie et la survie des villages envisagées dans un contexte de plus grande autonomie face au gouvernement et face aux compagnies. (Simard, 1979 : 152)

Cette nouvelle génération de coopératives conteste les coopératives majeures qui sont engagées dans le nationalisme économique. Par exemple, le Mouvement Desjardins, qui ne prête qu'environ 0,5 % de ses actifs aux coopératives, est critiqué. On critique aussi les autres coopératives qui achètent des entreprises capitalistes sans même les transformer en coopérative. On y retrouve les magasins Cooprix et les comptoirs alimentaires, comme lieu de résistance aux géants de l'alimentation; les coopératives de travail, comme critique du travail taylorisé, etc. (D'Amours, 2000) : « On se retrouve ainsi en présence de groupes qui, avec les moyens du bord, se décident à prendre leur propre univers à bras-le-corps et, pour reprendre les termes heureux de Léon Dion "cherchent à modeler eux-mêmes et dès maintenant le cours des choses en ce qui les concerne". » (Simard, 1979 : 152). Simard parle ici d'une utopie d'autodétermination : « Des facteurs de production, c'est la terre qu'on veut collectivement s'approprier avant le capital. La solution, c'est le contrôle communautaire des ressources de l'environnement immédiat et leur exploitation parcimonieuse pour le bénéfice des membres de la communauté d'abord. » (Simard, 1979 : 160) Les communautés, à partir de cette période, commencent à se développer dans une perspective locale. Ces communautés contestent l'approche dominante du développement régional et sa formule top-down. Elles remettent en question les programmes nationaux mur-à-mur, standardisés sur tout le territoire, avec aucune considération vis-à-vis les différences régionales (Favreau, 2008).

1.2.4. De 1980 à aujourd'hui : La nouvelle économie sociale

On voit apparaître un changement dans le rôle de l'État dans les années 1980. Le modèle intégré de développement, qui fonctionnait depuis 1929 s'écroule. L'État national va ouvrir ses marchés; on déréglemente le privé; on privatise les services publics, tout cela dans le but de réduire le rôle de l'État. Gagné (1985) va parler, à partir de cette période, de l'État commercial ouvert. En même temps qu'on coupe dans les services publics, on investit et on offre des tarifs préférentiels pour attirer les capitaux dans le pays. Chaque pays est alors en concurrence avec le reste du monde. Pour augmenter son rendement, il faut mettre les autres pays en chômage. Le keynésianisme fonctionne toujours, mais on l'applique de manière différente. On aide ce qui fonctionne bien, et on laisse tomber le reste. Dans cette

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transformation du système, le taux de chômage augmente, et on voit apparaître différentes initiatives locales pour contrer l'appauvrissement de la population (jardins communautaires, banques alimentaires, cuisines collectives, etc.). L'intérêt pour le local s’accroît.

Certaines décisions de l'État permettent alors de montrer le réel intérêt qu'il a pour le milieu coopératif. Dans les années 1980, l’État va subventionner les coopératives laitières, par crainte qu'elles ne soient reprises par des étrangers si une entreprise capitaliste s'en empare. En 1980, la coopérative Les Pêcheurs Unis fait faillite, car, contrairement à ce que faisait l'État par le passé, elle n'a pas financé la coopérative pour la sauver. En 1982, les Magasins Coop vont faire faillite, car l'État a préféré investir dans Provigo, une entreprise privée québécoise, qui avait un montage financier plus intéressant. Ces différentes actions de l'État laissent voir que « la coopération était privilégiée non pour elle-même mais comme instrument de contrôle économique des entreprises par des Québécois » (Lévesque, 2007 : 32). Les différentes faillites de coopératives vont aussi amener des questionnements au sujet de la solidarité des différentes fédérations présentes dans le Conseil des coopératives du Québec (CCQ) : « L'intercoopération ne s'est révélée d'aucun secours pour les coopératives en difficulté alors que certaines fédérations en ont profité pour augmenter leur part de marché. » (Lévesque, 2007 : 33) Le CCQ, dans les années 1980, a un Conseil d'Administration (CA) composé à 75 % de membres provenant des secteurs de l'assurance et de l'épargne, alors que 90 % des coopératives non financières n'y sont pas représentées. Sur 1055 coopératives répertoriées au Québec à cette époque (en retirant les coopératives d'épargne et de crédit), 730 ne sont pas regroupés en fédération. Certains secteurs coopératifs, comme l'agroalimentaire, sont aussi en forte concurrence, ce qui amène à douter qu'on puisse parler d'une économie coopérative dominante.

Dans les années 1990, l'économie sociale, après que le terme a cessé d'être utilisé pendant pratiquement tout le 20e siècle, revient à la suite de la Marche des femmes en 1995. Cette marche a d'abord amené les États généraux sur la coopération par le CCQ, et ensuite le chantier sur l'économie sociale (CES).

De 1995 jusqu'à 1998, moment de la loi du gouvernement, quatre définitions de l'économie sociale, définies par différents groupes, ont vu le jour6. D'abord, une première définition, pour la Marche des femmes, a été rédigée par le Comité de la Fédération des femmes du

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Québec (FFQ). On a ici comme objectif de reconnaître le travail des femmes dans le développement du lien social, de créer des emplois permanents et à long terme pour les femmes, de créer une alternative à l'exclusion des femmes du marché, et de répondre aux besoins des personnes et des collectivités. À la suite de la marche, le gouvernement crée le Comité d'orientation et de concertation sur l'économie sociale (COCES), qui crée une nouvelle définition avec le Mouvement des femmes et des représentants de trois ministères. L'économie sociale a ici comme objectif de fournir à la fois des biens et services de qualité, et des emplois de qualité. En continuité avec ce comité, le CES est mis en place, avec une nouvelle définition, rédigée conjointement par des représentants de mouvements sociaux et du secteur privé. Les objectifs de l'économie sociale sont alors une rentabilité sociale (par un développement démocratique et la promotion de valeurs sociales), un éventail plus large de services et la création d'emplois. Finalement, à la suite du Chantier, le Gouvernement du Québec fait rédiger une nouvelle définition, par des fonctionnaires, sans aucun représentant de la société civile. L'unique objectif de l'économie sociale devient alors le développement de l'emploi.

Ainsi, le travail de définition de l'économie sociale par les différents acteurs a amené quelque chose de bien différent de ce qui était au départ revendiqué par la Marche des femmes de 1995. D'abord, le COCES va rejoindre la définition des femmes, et va même jusqu'à considérer les organismes communautaires comme faisant partie de l'économie sociale. C'est la définition du gouvernement du Québec de 1997 qui change complètement la donne. Le gouvernement reprend la même définition « mais précise assez rapidement que la politique de soutien au développement local et régional n'a pas pour mission de soutenir l'ensemble des composantes de l'économie sociale, mais seulement celles qui appartiennent aux marchés solvables » (D'Amours, 2000 : 15). Cette définition va exclure une partie du communautaire qui repose principalement sur le financement public. Pour ce qui est de ce qui entre dans la catégorie économie sociale, le financement va surtout aller aux groupes œuvrant dans la réinsertion à l'emploi, la lutte à la pauvreté, le travail précaire, et ainsi de suite. Si on ne permet pas un emploi durable à une population qui n'en a pas, alors on n'obtient que des prêts ou des garanties de prêts.

L'économie sociale a donc été orientée vers les secteurs émergents. Une partie du communautaire refusera cependant d'en faire partie, car ces organismes veulent être subventionnés et préfèrent être considérés comme groupe communautaire autonome. On

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met aussi à jour la loi sur les coopératives en créant les coopératives de solidarité7. Trois composantes se retrouvent dans l'économie sociale telle que définie par le CES : les coopératives et les mutuelles, les associations à activité économique, les fonds de travailleurs et autres entreprises syndicales.

Depuis 1996, l'économie sociale est reconnue tant par le gouvernement québécois que par les médias et le milieu académique. Cependant, l'approche du gouvernement a des limites : on ne considère l'économie sociale comme sociale que si elle apporte des solutions aux problèmes sociaux. Cela est critiqué par le milieu de l'économie sociale, car elle oublie que les problèmes sociaux sont créés par le marché qui n'est pas en mesure de gérer les externalités qu'il provoque. Cette définition amène une distinction entre la sphère économique et sociale; distinction que l'économie sociale tente de défaire. Par contre, avec la définition que s'est donnée le gouvernement du Québec, pour avoir accès au financement, l'économie sociale est tenue d'être rentable à court terme, et d'utiliser une main-d’œuvre qui est souvent exclue du marché du travail depuis longtemps (D'Amours, 2000). Cela pose alors un très gros problème pour les différentes initiatives : la recherche de financement. Pour obtenir du financement de l'État, il faut créer de l'emploi et être rentable très rapidement, ce qui n'est pas aussi facile pour l'économie sociale que pour l'entreprise privée. Ainsi, le processus d'institutionnalisation a servi à insérer l'économie sociale et solidaire dans un large projet social d'aide aux sans-emplois. Avec diverses mesures, l'économie sociale québécoise sert alors de porte d'entrée pour une population marginalisée dans le monde du travail. Ainsi, malgré la définition inclusive et fédératrice que le CES s'est donnée, les avancés se font surtout sur la base de chaque organisation. Les différents projets ne se reconnaissent pas « dans le "mouvement" dit de l'économie sociale porté par le Chantier et ne sont pas ou n'en sont plus parties prenantes » (Favreau, 2010 : 102).

En 2013, le Québec met à jour la loi cadre sur l’économie sociale. Celle-ci a, comme la précédente, une tonalité marchande et insiste sur la viabilité économique (Defourny et Nyssens, 2017). D’ailleurs, parmi les six objectifs du Plan d’action gouvernemental en économie sociale 2015-2020, on retrouve les deux objectifs suivants : valoriser la réponse des entreprises d’économie sociale aux défis du vieillissement démographique et encourager l’insertion socioprofessionnelle au sein des entreprises d’économie sociale.

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1.3. L'autonomie des coopératives

On comprend donc que l'État a besoin d'institutionnaliser l'économie sociale dans une perspective de création d'emploi, et que l'économie sociale a besoin de cette institutionnalisation pour obtenir une forme de reconnaissance, et le financement nécessaire à la réussite de sa mission. Cependant, cette institutionnalisation, basée uniquement sur la variable de l'employabilité, apporte différents problèmes à l'intérieur de l'économie sociale, notamment dans les coopératives. Au Québec, l'économie sociale a tout de même la chance d'avoir un financement mixte, provenant autant des pouvoirs publics que de l'économie sociale. Les fonds proviennent à la fois de subventions gouvernementales que du Mouvement Desjardins (Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983). Cependant, on ne finance que ce qui n'est pas risqué; c'est-à-dire des entreprises dont l'efficacité et la rentabilité ont déjà été confirmées. Il en est de même pour les fonds provenant du Mouvement Desjardins (Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983). Ainsi, les prêts vont surtout se retrouver entre les mains des coopératives agricoles, de consommation, de pêches et d'habitation, alors que les petites coopératives vont avoir de la difficulté à obtenir un prêt de la caisse. Elles vont d'ailleurs souvent avoir une plus grande facilité avec une banque.

Cependant, comme le présentent Greffe, Dupuis et Pflieger (1983), le danger d'accepter le financement de tiers partis par les entreprises d'économie sociale est de perdre une partie de son autonomie. Le pouvoir public, lorsqu'il finance, va obliger un certain rendement ou viser certains programmes spécifiques, empêchant l'organisation d'innover :

En recherchant l'autonomie, la coopérative ou l'association refuse d'emblée les règles du marché financier qui, dans ces conditions, ne peut que les rejeter. Plus que de réseaux financiers traditionnels inadaptés, mieux vaut parler d'une inadaptation de l'économie sociale aux réseaux de financement, et reconnaître que l'économie sociale est victime d'une contradiction de fond entre autonomie et dépendance. (Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983 : 58)

Cela mène à une banalisation de l'économie sociale (Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983; Favreau, 2010) qui n'est alors perçue que comme un sous-ensemble dans le marché (D'Amour, 2000).

La définition ressortie du CES vise d'abord les entreprises, et non pas les associations. On y parle d'une économie sociale qui est sujette aux sanctions plus ou moins immédiates du marché, et non pas d'une économie sociale qui serait plus dépendante de l'aide de l'État.

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Dans le processus d'évaluation défini par le CES, l'économie prime sur le social dans les objectifs qu'il s'est donnés : « Le Chantier de l'économie sociale ne remet pas en question la dominance des rapports marchands, qu'il désire au mieux domestiquer et civiliser; on est loin d'une volonté de changement social et, dans le meilleur des cas, il s'agit de régulation, non d'alternative. » (Tremblay, 2002 : 20) Dans cette logique, les initiatives locales doivent faire face à différentes embûches. Pour fonctionner, elles doivent obtenir l'appui des communautés locales et des grands réseaux sectoriels. Comme bailleurs de fonds, elles doivent se tourner à la fois vers le public et le privé. Cependant, « Plusieurs organisations n'arrivent pas à faire reconnaître l'ensemble des dimensions de leur action, si bien que certains de leurs projets n'obtiennent pas le financement approprié » (Klein et Champagne, 2011 : 175). Cela rend l'innovation très difficile, puisque les bailleurs de fonds refusent de financer ce qui n'entre pas dans le cadre d'un programme particulier. « Ainsi, pour innover, il est nécessaire de sortir des sentiers battus, mais hors des sentiers, le financement demeure, tantôt aléatoire, tantôt conditionnel à des indicateurs de réussite qui ne tiennent compte ni de l'envergure des défis ni du temps nécessaire pour les relever. » (Klein et Champagne, 2011 : 175) Dans les milieux ruraux, l'importance d'intégrer des gens exclus du milieu du travail est encore plus grande en raison du haut taux de chômage. Les élites locales ont cependant un rôle primordial dans la réussite des projets. Un conflit dans la communauté peut facilement amener une fermeture de l'organisation.

1.4. Coopération et changement social

Malgré toutes ces limites, pour certains auteurs, comme Louis Favreau, c'est le milieu coopératif qui est le plus à même d'apporter un changement social. « C'est par la participation économique, c'est-à-dire en "créant de la richesse" ou en "générant du capital", mais en le liant à la réponse à des besoins (contrairement à l'entreprise capitaliste, qui crée de la richesse en la liant de façon indissociable à la recherche du maximum de profit). » (Favreau, 2010 : 18) Il y aurait, depuis la crise de 2008, un retour vers le milieu coopératif en raison d'une perte de confiance dans le système économique. Ce serait, pour Jean-François Draperi, le mouvement coopératif qui « semble le mieux placé pour garantir le rattachement de l'économie au territoire » (Favreau et Molina, 2011 : 15). Les projets coopératifs des mouvements sociaux seraient en mesure d'apporter des alternatives aux entreprises capitalistes. Cependant, bien que le mouvement coopératif ait du poids sur le

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plan économique, il n'en a pas sur le plan politique (Favreau et Molina, 2011). Pour devenir une alternative, il doit prendre une place plus grande dans le débat public et éviter de se banaliser en ne devenant qu'une forme d'entreprise parmi tant d'autres. Par contre, le souci qu’ont les coopératives de s'assurer de leur viabilité économique les empêche de prendre le temps de revendiquer de front comme d'autres groupes (Favreau, 2010). Pour éviter de se banaliser, ces entreprises doivent montrer que la démocratie ne s'arrête pas à leur porte (Favreau, 2008). Les coopératives permettraient malgré tout une relocalisation à la suite d’une délocalisation causée par la mondialisation.

Le milieu coopératif serait ainsi, selon Favreau, un élément essentiel de la sortie du capitalisme. Favreau a cependant une idée claire de ce qu'est le capitalisme : « Soyons clair sur une chose : le capitalisme, ce n'est pas tout le secteur privé. C'est un mode d'exploitation du travail et des ressources réalisés par de grandes sociétés détenues par des actionnaires institutionnels disposant de grands moyens. » (Favreau, 2010 : 49) Les petites et moyennes entreprises (PME) ne feraient donc pas partie du capitalisme, puisqu'elles ne dictent pas les règles du jeu comme les firmes multinationales, qui ont un lobby puissant sur le pouvoir. Le milieu coopératif et les PME seraient en marge du capitalisme, puisqu'ils appartiennent « à des systèmes marchands localisés » (Favreau, 2010 : 49). Par sortie du capitalisme, il entend une sortie du fondamentalisme du marché. Il faut oublier la croissance infinie et penser au développement. Pour ce faire, il est nécessaire de coopérer plutôt que de se concurrencer, d'être plus démocratique, de sortir de la privatisation des biens sociaux; et surtout de sortir de la crise écologique, économique et sociale. En restant neutres, le mouvement coopératif, et toute l'économie sociale se sont neutralisés et ne se défendent plus contre le modèle capitaliste.

Ainsi, le milieu coopératif offre un secteur économique non capitaliste avec un potentiel alternatif. Ces alternatives, selon Favreau, se font cependant en dehors de l'institutionnalisation et avec les mouvements sociaux. Les mouvements sociaux donnent des militants au milieu coopératif, et le milieu coopératif va, en échange, permettre la construction d'alternatives. Mais il précise qu'« [a]ucun de ces réseaux ne se reconnaît dans le "mouvement" dit de l'économie sociale portée par le Chantier et ne sont pas ou n'en sont plus parties prenantes » (Favreau, 2010 : 102). Ainsi, pour arriver à un changement social, il faudrait une restructuration complète, qui toucherait même les multinationales. En attendant cette restructuration, « [l]a conscience d'une communauté des petites gens sert

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avant tout, actuellement, à s'élever contre les solidarités corporatives, géographiques ou administratives qui sont si chères aux élites libérales et technocratiques » (Simard, 1979 : 173).

Avec le temps, les citoyens ont fini par apprendre le langage technocratique et l'utilisent pour s'opposer au gouvernement et à l'industrie. Mais en contrepartie, l'institutionnalisation et l'expansion de certains projets d'économie sociale ont apporté un débalancement : « On comprend la vulnérabilité des comités de citoyens à abandonner certains de leurs objectifs les plus radicaux, puisqu'il est facile aux gouvernements, ou même aux entreprises, de satisfaire bien des attentes immédiates. » (Simard, 1979 : 177) En grandissant, certaines coopératives ont modifié leur structure et sont devenues de grosses business, qui peuvent, sur plusieurs points, ne plus sembler bien différentes de l'entreprise privée (Vaillancourt, 2008; Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983). Par le fait même, de plus petits projets ont de la difficulté à perdurer et doivent faire des choix, notamment celui de réduire les conditions de travail des travailleurs (Quarter, 1992).

C'est pourquoi il m’apparaît intéressant de s'attarder au mouvement coopératif du point de vue des personnes y occupant un emploi, d'autant plus que de nouveaux projets coopératifs émergent année après année. Les coopératives représenteraient 12% des emplois dans le groupe du pays des G20, et plus de 250 millions d’emplois dans le monde (Richez-Battesti et Defourny dans Defourny et Nyssens, 2017). Depuis les années 2000, il y aurait en moyenne la création d'environ 160 coopératives par année au Québec, dont un peu moins de la moitié correspondent au nouveau modèle : les coopératives de solidarité (Arteau et Brassard, 2008). Ces coopératives seraient surtout fondées dans des secteurs en émergence, ce qui est compréhensible considérant la tendance qu'a prise l'économie sociale. Ainsi, avec toute l'institutionnalisation que le secteur coopératif a subie, existe-t-il toujours une partie idéologique à l'intérieur de celui-ci? Et ce sentiment est-il différent selon le type de coopérative et la place que le travailleur y occupe? La recherche a pour but de découvrir si les coopératives sont toujours une forme alternative d’organisation ou bien si, ancrées dans la logique de la création d'emploi, elles ne sont devenues qu'un outil institutionnel parmi d'autres pour réduire le taux de chômage. Le prochain chapitre entrera plus en détail dans la littérature sur le travail dans le milieu coopératif et les théories sur le monde du travail.

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Chapitre 2 : L'engagement au travail

2.1. Les différents modèles coopératifs

Puisque cette recherche touche différents modèles de coopératives, avant d'entrer plus à fond dans le sujet d'enquête, il est important de d'abord différencier les différents types. Plusieurs modèles existent au Québec, mais ils ne sont pas tous utiles à l'étude. Voici d'abord une brève présentation des différents types exclus de l'étude, et pourquoi ils le sont. Il existe d'abord les coopératives d'habitation. Les membres sont ici les locataires d'un logement, qui est la propriété de la coopérative. Le principe de cette coopérative est de gérer le logement à l'interne et d'amener une vie commune. Ce modèle se retrouve cependant exclu de l'étude, puisque, comme il s'agit d'une coopérative gérant la vie commune d'un logement, la coopérative n'a pas de travailleur permanent. Elle ne fait appel à des travailleurs qu'en cas de besoin pour des réparations, si personne parmi les membres n'est apte ou n'a pas les connaissances nécessaires pour les effectuer. Les personnes se trouvant à travailler pour elle sont donc à contrat, ou bien des membres qui donnent de leur temps et ne sont pas rémunérés.

Ensuite, nous avons les coopératives financières, qui sont fédérées sous le Mouvement Desjardins. Les coopératives financières sont un modèle distinct, mais, dans leur fonctionnement, elles ne sont pas bien différentes des coopératives de consommation. Ainsi, au lieu d'intégrer une caisse Desjardins à l'enquête, chose qui a été mainte fois étudiée et qui est très documentée, j'ai préféré exclure ce modèle. Bien entendu, les caisses Desjardins possèdent des travailleurs, mais en raison de ses différentes filiales, et de sa très forte syndicalisation contrairement aux autres coopératives, il serait difficile de la traiter dans ce mémoire sans en faire un cas à part.

J’exclus ensuite les regroupements fonctionnant sous un modèle coopératif, puisque leur mission ne touche pas des usagers individuels comme le font les autres coopératives, mais qu'ils fédèrent des collectivités. Il serait difficile de les placer sur le même pied d'égalité qu'une coopérative locale. D'ailleurs, leur nombre de travailleurs peut être très minime, voire inexistant.

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