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Le changement organisationnel

Chapitre 5 : L'engagement dans le milieu coopératif

5.1. Le changement organisationnel

Les entreprises à l'étude étaient toutes, d'une certaine façon, en transformation. MEC était sur le point de déménager du quartier Saint-Roch au quartier Lebourgneuf; la Barberie était en restructuration de sa mission depuis le départ du dernier membre fondateur; les employés de Pantoute étaient toujours en création de leur coopérative; et la coop Zone était en train de se redéfinir en raison du virage numérique dans le marché du livre et des notes de cours. Les travailleurs ont différentes façons de réagir à ces changements organisationnels. On peut ainsi tenter d'appliquer le modèle d'Ackoff (1981) sur les interactions et les changements entrepreneuriaux. Cet auteur discerne quatre types de planificateurs dans les organisations, axés, selon le cas, sur le passé, le présent ou le futur.

Passé Présent Future

Réactif + - -

Inactif - + -

Proactif - - +

Interactif ± ± ±

Le comportement réactif est nostalgique du passé. Il n'aime pas ce qui se fait en ce moment et où l'organisation se dirige. Les individus adoptant ce comportement veulent retourner à

ce qu'il y avait avant. L'inactif est satisfait des choses comme elles le sont présentement. Il ne veut pas retourner à un stade précédent et il n'aime pas ce que les choses sont en train de devenir. Les individus adoptant ce comportement vont tenter de prévenir le changement. Leur but est la survie et la stabilité. Même si la situation actuelle n'est pas nécessairement parfaite, elle est vue comme assez bonne ou aussi bonne qu'il est raisonnable de l'être. En cas de crise, ils ne feront rien et vont blâmer ceux qui ont fait quelque chose. Ils vont préférer se débarrasser de ce qui est néfaste plutôt que de tenter de l'améliorer. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ils sont très actifs, puisque le fait d'empêcher les choses de se produire demande beaucoup de travail. Pour ce qui est du comportement proactif, les individus dans ce comportement ne veulent pas retourner à un ancien modèle ou laisser les choses comme elles le sont. Ils voient le futur comme étant mieux que le passé ou le présent, et veulent accélérer le changement et exploiter ce qu'il amène. Pour ce qui est du comportement interactif, les individus de ce type, contrairement aux autres, ne croient pas que le futur est hors de contrôle. Il dépend de ce qu'on fait maintenant et de ce qu'on a fait avant. Ils veulent un futur désirable et inventent des façons de l'amener. Ces comportements sont tous des formes d'engagement envers les changements organisationnels dans l'entreprise. Bien que le fonctionnement en AG découle davantage d'un comportement interactif, ce n'est pas l'unique comportement face au changement organisationnel qu'on retrouve dans le milieu coopératif.

5.1.1. Le comportement proactif/interactif

La plupart des comportements quant aux changements organisationnels dans les entreprises ciblées semblent provenir de comportements proactif ou interactif. Ces deux comportements sont cependant difficiles à différencier. Benoît, par exemple, accordait beaucoup d'importance à l'environnement et au développement durable lors de l'entrevue. Il est cependant difficile de dire si ce changement vers le développement durable pour lequel il s’engage provient d'un comportement interactif, puisqu'il travaille à créer un avenir meilleur, plus écologique, ou s'il s'agit plutôt d'un comportement proactif, puisque le développement durable est à la mode actuellement, et qu'il l'est d'autant plus dans la sphère de l'économie sociale. Les entrevues effectuées ne permettent pas de trancher si les répondants ont davantage un comportement proactif ou interactif. Il est difficile de dire s'ils surfent sur une vague ou tentent de la contrôler. Pour cette raison, amener une description

plus poussée de ces deux comportements demeure ardu. Cependant, les entrevues ont permis de voir que ces deux comportements ne sont pas les seuls qu'on peut retrouver dans le milieu coopératif. Malgré l'espace de discussion plus grand que le mouvement coopératif offre, la forme de gestion de ces entreprises peut amener certains comportements réactifs, puisqu'une minorité peut ne pas être d'accord avec les changements organisationnels de l'entreprise. De plus, certaines personnes, plutôt que de viser un changement organisationnel, visent d'abord et avant tout le maintien de l'entreprise comme elle est présentement. C'est ce qui sera analysé plus en détail.

5.1.2. Le comportement réactif

Des comportements réactifs ont été aperçus dans deux coopératives : le MEC et la Coop Zone. Chez MEC, un répondant a critiqué certains changements qui se sont effectués dans la coopérative au cours des dernières années. Il s'agit de la polémique entourant le changement de logo et l'élargissement du MEC de magasin d'escalade à un magasin plus largement de plein air, et plus récemment le déménagement du magasin de Québec :

[MEC], c'était des gens qui étaient amateur d'escalade dans les rocheuses puis qu'ils trouvaient qu'il y avait pas beaucoup d'équipement d'escalade […] au Canada. […] Ce qu'ils se sont dit, c'est qu'on allait aller en acheter plus puis on va revenir avec notre caravane. […] On va en acheter un peu plus là-bas [aux États-Unis] puis on va les vendre à un prix un peu plus cher pour qu'on puisse aller en racheter. […] Ça fait que ça a commencé dans une camionnette. […] Au départ, c'est vraiment que de l'escalade. Après, c'est devenu plein air. […] Donc on perd un peu de l'essence du MEC. (Charles, MEC)

À la Coop Zone, un répondant a quant à lui critiqué un virage de la coopérative, qui cherche à prendre une plus grande part du marché plutôt qu'à se tenir à sa mission de base, soit fournir des services aux étudiants : « J'ai l'impression que la coopérative est en train de […] délaisser son, sa mission de fournir du matériel informatique, pas du matériel informatique, mais du matériel étudiant, parce que même là, je sais qu'il y a des projets d'ouvrir des euh, des cafétérias » (Maxime, Zone). Ces deux répondants évoquent un désir que leur coopérative retourne à ce qu'elle était par le passé.

5.1.3. Le comportement inactif

Le changement organisationnel qui s'est opéré dans la librairie Pantoute relève, en partie, d'un comportement inactif. Bien que l'idée pour les employés de se regrouper sous un modèle coopératif peut sembler relever d'un comportement interactif, les entrevues montrent qu'à la base, l'idée de se regrouper ne vise pas la prise de contrôle de son entreprise, mais bien de conserver la liberté et la tradition de la librairie. En ce sens, ce changement organisationnel m’apparaît comme un comportement inactif. Bien qu'il soit aussi teinté d'un comportement interactif, celui-ci semble arriver en deuxième lieu, puisque l'idée de base est la conservation de la tradition, et des choses comme elles se faisaient avant la vente :

« C'était la solution pour moi de continuer à faire ce que je faisais de mieux avec euh le métier que j'aime. Et c'est aussi la façon de ne pas être acheté par quelqu'un qui peut-être n'avait pas les mêmes visions que nous on avait. » (Denis, Pantoute)

« De se regrouper pour former une coopérative et acheter ensuite, non seulement ça allait dans le sens quand ils ont fondé la librairie […] Je pense que c'est la continuité de ce que c'était au départ le fait qu'on soit une coopérative maintenant. » (Marc, Pantoute)

« En étant propriétaire, dans le fond, majoritaire de la librairie, bien ça nous permettait évidemment de perpétuer ça justement et de garder cette liberté-là qui nous tient quand même à cœur. » (Guillaume, Pantoute)

Ce changement semble cependant avoir fait naître des comportements interactifs dans la coopérative, puisque les employés ont pris conscience du rôle qu'ils peuvent jouer et de leur nouvelle liberté décisionnelle dans l'entreprise, liberté avec laquelle ils disent tous profiter.