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Un modèle qui n'est pas parfait

Chapitre 4 : Travailler dans une coopérative, de l'embauche à la démission

4.3. Les connaissances sur le modèle coopératif

4.3.2. Un modèle qui n'est pas parfait

Malgré leur appartenance au modèle coopératif et le fait qu'ils avaient un parti pris envers le modèle, la plupart des répondants avaient des critiques à formuler. Certaines de ces critiques étaient envers le modèle en général, et d'autres envers la manière que leur coopérative appliquait ce modèle. Ces critiques montrent certaines limites et certaines difficultés que peut avoir le modèle coopératif, notamment dans l'élargissement de ses valeurs.

Les répondants du MEC doutaient, par exemple, de la possibilité pour une aussi grande entreprise de rester près de ces membres. Même s'ils aiment le modèle coopératif, ils ne considèrent pas que ce modèle est fait pour une entreprise telle que MEC. Malgré les valeurs de MEC qu'ils apprécient, les répondants ne sont pas prêts à considérer MEC comme une coopérative :

Moi, je trouve moyennement ça une coop. […] C'est tellement de grosses coopératives. Tu sais, c'est basé sur des modèles coopératifs, mais… est-ce que c'est réellement une coopérative, tu sais? […] C'est un moyen, je pense, d'attacher les gens à leur travail puis à rendre plus productif ton milieu de travail, au final, tu sais. Ce n’est pas nécessairement comme, admettons, une coopérative de solidarité. […] Ce n’est pas du tout ça, tu sais. […] Ça, c'était plus coopératif, tu sais. (Charles, MEC)

Annie partage aussi cette opinion : « ils ont aussi les éléments d'une coop. Mais je pense que c'est plus la gestion interne des employés puis le… le marketing qui fait que je, ce n’est

pas une coop comme je vois une coop à mes yeux. » (Annie, MEC) Ils critiquent d'ailleurs la prise de décision, qui est beaucoup trop éloignée de la base et le fait qu'ils ne peuvent pas participer à certaines décisions, comme le déménagement du magasin par exemple, qu'ils ont appris au même moment que la population, par les médias : « Pour le déménagement, il n’y a personne qui a été consulté pour ça là. Ça, j'ai trouvé ça vraiment plate justement. Comme coopérative j'ai trouvé que c'était vraiment une lacune immense que ni les employés ni les membres qui viennent ont été réellement consultés là. C'est les médias qui apprenaient ça à tout le monde chaque fois. » (Charles, MEC). Selon lui, certaines décisions de MEC viennent changer sa nature et sont prises par les gestionnaires, sans consultation des membres. MEC est ainsi passé d'un magasin de plein air à un magasin général :

Au départ, c'est vraiment que de l'escalade. Après, c'est devenu plein air. […] Là, ils se sont dit, bien ce qu'on veut plutôt, c'est inciter les gens à aller dehors. Ça fait que là ils ont entré encore plus de produits de plein air en général. Puis là, après ça […] ils se sont dit, bon, là ce qu'on aimerait, c'est le plus possible de suivre le membre et non son activité. Donc au lieu de juste avoir des… des trucs pour son activité de plein air, on va avoir des trucs de sa vie de tous les jours. Tu sais, pour pouvoir vraiment, tu sais, pas encadrer, mais, disons couvrir les besoins du membre, de sa vie, tu sais. […] Ça fait en sorte que maintenant on a des pantalons de yoga, des tapis de yoga, des affaires euh… des vêtements décontractés. Puis avec une coupe de plus en plus euh… comment dire, stylisée. Donc on perd un peu de l'essence du MEC. Et ça, en fait, ça n'a pas été voté par personne, tu sais. C'est les membres de la haute direction qui ont décidé de faire ça. Donc, à un certain égard […] pour voter le, les membres de la haute direction, on peut considérer ça comme une coopérative, mais sinon les orientations de la coopérative ne sont pas décidées par les membres du tout là. (Charles, MEC)

Annie nuance cependant cette vision du MEC : « Tu sais, moi ce que je trouve aussi de MEC c'est quand il y a une décision, ils prennent bien le temps de nous en parler, de dire tu sais, on pense à ça, à déménager, pour avoir plus d'espace, avoir du stationnement. […] ça fait que tu sais, ils ne font pas ça dans le dos du monde non plus. Je ne sens pas nécessairement que j'ai un poids décisionnel parce qu'ils font juste nous informer de ce qui s'en vient. » (Annie, MEC) Ainsi, bien que les employés n'aient pas été consultés, ils auraient à tout le moins été informés de l'éventualité d'un déménagement.

À la Barberie, les critiques portent surtout sur la proximité des membres, qui peut créer certains conflits. Simon, par exemple, parle de la difficulté parfois de travailler avec certaines personnes : « Tu sais, on a beau être une coopérative de travail, ça ne veut pas dire

que tout le monde est bien fin, bien smart tout le temps. Il y a des gens qui sont chiants, il y a des gens qui sont égoïstes, il y a de l'hypocrisie, il y a du tire la couverte de mon bord qui arrive. » (Simon, Barberie) Par la petite structure, certains membres peuvent en venir à prendre énormément de place dans l'entreprise, ce qui ne favorise pas la participation des autres : « Il y en a toujours quelques-uns que, parce qu'ils sont les plus anciens […] Bien il y a des gens qui vraiment peuvent se placer un peu partout en fait. […] Puis euh c'est ça, si ça demande juste quelques membres pour l'élire, et bien ça va vite là. » (Laurence, Barberie) Simon mentionne aussi les avantages donnés aux membres, qui peuvent amener des problèmes : « Je pense que le défaut de donner des avantages aux membres aussi, c'est que les gens vont devenir membres seulement pour quelques avantages, ce qui est chiant. Tu sais, ça veut dire qu'ils vont faire fi de beaucoup de choses seulement pour avoir certains avantages. » (Simon, Barberie) Il y aurait donc parfois des membres qui ne s'impliquent pas dans la structure, n'en voyant pas l'intérêt.

À la librairie Pantoute, on est surpris de la complexité du modèle, et l'on pensait que celui- ci allait être plus efficace : « J'avais vraiment l'impression que, que tout le monde pouvait par exemple, avait une idée, quelque chose ou un, un point à soulever, que je pouvais le faire un peu en tout temps puis tout ça. Puis, bon. J'ai réalisé ensuite que ce n’était pas le cas. Que bon, il fallait passer pas nos représentants, puis bon que c'était voté en réunion qui ont lieu trois fois par année. Bon, ce peut quand même être un processus qui est long. » (Marc, Pantoute) Les répondants remarquent qu'il est difficile pour les membres de se rencontrer pour prendre des décisions, et que pour cette raison, les choses n'avancent pas aussi vite qu'on le pensait au départ : « Réunir 4 personnes, tu as pas idée comment c'est dur. Imagine en réunion générale […] Parce que le dimanche matin, c'est la seule possibilité. Et il y en a qui aiment mieux manger des crêpes avec leur amoureux que de venir au CA. » (Denis, Pantoute)

À la coop Zone, Maxime critiquait la centralisation des décisions dans le magasin du pavillon Maurice-Pollack. L'équipe de travail des autres magasins serait ainsi assujettie à des décisions externes, ce qui ne facilite pas l'efficacité sur place. Ces employés ne seraient d'ailleurs pas au courant de qui sont les administrateurs, et du moment des instances. Maxime dit n'avoir jamais entendu parler des AG : « j'imagine qu'il y a un conseil d'administration parce que je me dis qu'une coopérative doit marcher de cette façon-là, que les membres ont accès à ça et donnent les directions au directeur général. Mais je ne le sais

pas, tu sais, je ne peux pas te le dire. Je n’en ai jamais vu, tu sais, ni entendu parler. » (Maxime, Zone) Pour lui, la coopérative Zone n'est pas vraiment différente d'une entreprise privée : « C'était très peu transparent. Ça aurait été, en fait, honnêtement, j'aurais été exemple, dans un magasin Zone, exemple, puis il n’y aurait pas eu de part de membre et ça n’aurait rien changé pour moi, tu sais. J'aurais été payé comme salaire minimum, puis avec une minuscule commission, tu sais. » (Maxime, Zone) Comparativement à son emploi passé dans une autre coopérative où il avait droit à des rabais, ces avantages ne sont offerts que pour les employés permanents chez Zone : « C'est-à-dire que moi, travailler là bas, j'avais aucun, aucun avantage, puis même sûrement j'avais moins d'avantages que si admettons j'étais allé travailler dans une boutique informatique. » (Maxime, Zone) Selon lui, la part de membre chez la coop Zone, qui offre des rabais, équivaut à une carte fidélité d'un autre magasin. Il relate aussi que la coop Zone s'élargit dans beaucoup trop de projets, dont l'alimentaire, ce qui n'a pas du tout rapport avec sa mission première. Benoît, pour sa part, critique le manque de compétence des personnes sur le CA :

Ils ne sont pas là parce qu'ils sont compétents. […] Ils sont là parce qu'ils sont populaires. Mais ils gèrent une entreprise de 35 millions. Ils gèrent la destinée de plein d'employés. […] Il faudrait avoir des mesures où, si tu te présentes au Conseil d'Administration, tu es capable de lire un état des résultats, tu as une expérience, ça peut être multiple, exemple quelqu'un qui est en ressources humaines, quelqu'un en marketing. Chacun à son expérience, mais tu apportes quelque chose à l'organisation. Il y a un des derniers CA un moment donné, tu sais, ça faisait quatre fois qu'on répondait au même membre parce qu'il ne comprenait pas l'écriture comptable. Là, un moment donné, la personne elle dit, moi je ne connais rien là dedans. C'est parce que ça fait deux ans que tu es ici. Moi ma réponse, si tu n'es pas assez compétent pour comprendre ça, tu n'es pas compétent pour être ici. (Benoît, Zone)

Certains membres avaient aussi des critiques plus générales du modèle, notamment des grandes fédérations des coopératives. La coop Zone s'en est d'ailleurs désaffiliée, ne se sentant plus représentée par cette instance. Cela a créé des frictions avec le reste du mouvement coopératif. Benoît critique en ce sens les gens qui voient le modèle coopératif comme un dogme. Pour lui, quelque chose n'est pas nécessairement bon parce que c'est une coopérative. Certaines coopératives abusent et font de la mauvaise concurrence à d'autres coopératives, ce qui est contraire au concept même de la coopération. Benoît parle d'ailleurs des problèmes de certaines coopératives : « le gros des problèmes des entreprises […] c'est que les gens s'approprient, les travailleurs s'approprient l'organisation. Parce qu'ils ont fait des gros efforts, etc., etc. puis la considèrent comme la leur plutôt que celle des membres, et

là ça fait une distorsion sur euh, par exemple, des orientations stratégiques, sur les investissements. » (Benoît, Zone) Selon lui, une grande part de la fraude et des difficultés financières dans les entreprises coopératives se retrouvent à ce niveau, lorsque le directeur général s'approprie le bien mutuel.

Benoît critique aussi le modèle, qui peut se montrer assez cruel : « Il est cruel sur, au niveau de sa gouvernance, il y a très peu de reconnaissance au bout. Quand un étudiant ne se fait pas élire, je trouve ça tellement dommage et c'est cruel de la manière dont ça se passe. Il peut avoir passé trois ou quatre ans et donner de son temps, et à part avoir une ligne dans le procès-verbal, il n’y a rien. » (Benoît, Zone) Selon lui, le milieu manque de mémoire envers les sacrifices et les compromis qui ont été faits par les travailleurs et les personnes qui s'y impliquent.

D'autres ont critiqué la loi coopérative, qui ne permet pas réellement une prise en charge locale des décisions. Dans les faits, pour y arriver, il est nécessaire d'en faire beaucoup plus. Il y aurait donc des entreprises qui se présentent comme des coopératives, puisqu'elles respectent la loi, mais qui n'en sont pas vraiment en raison de la généralité de ces normes minimales. Le modèle serait aussi beaucoup trop politisé : « On le voit dans les médias là, c'est le sommet, puis c'est les grosses affaires internationales, mais on oublie le membre. Celui qui l'a fait ce mouvement-là, il n’est pas là. » (Benoît, Zone)