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Comment appréhender l'engagement dans le milieu coopératif?

Chapitre 2 : L'engagement au travail

2.5. Comment appréhender l'engagement dans le milieu coopératif?

Ainsi, le concept d'engagement correspond à différents éléments selon les recherches. Comme le disait Becker « [c]e concept a été appréhendé de façon rudimentaire, utilisé selon les besoins, sans explication ni examen de ses caractéristiques ou de ce à quoi il fait référence. Comme il en est souvent ainsi avec les concepts non analysés, utilisés selon l'envie, il recouvre un large panel de significations, laissant la porte ouverte aux ambiguïtés. » (Becker, 2006 : 2) Dans les études sur le travail, l'engagement correspond au fait de s'installer dans une carrière et d'y rester. Dans la sphère de l'économie sociale, l'implication au travail est définie comme un accès, pour les salariés, à l'information, la consultation et la participation (Zago-Kach, 2004). Dans ce cas-ci, le fait de participer correspond à la capacité d'influence sur l'administration, que ce soit en recommandant des gens pour l'élection ou en désignant des membres.

La plupart des chercheurs sur le travail utilisent les termes d'engagement et d'implication11 comme des synonymes (Charles-Pauvers et Commeiras dans Neveu et Thévenet, 2002). Pour ma part, j'apporte une distinction entre les deux termes en me basant sur quelques travaux. Je définis l'implication par l'action que les individus entreprennent (Neveu et Thévenet, 2002) envers un objectif ou un projet dicté par l'organisation. Cette action peut à

11 Il en est de même en anglais, où la plupart des auteurs vont à la fois parler d'«involvement» et de

«commitment» comme désignant la même chose (Charles-Pauvers et Commeiras dans Neveu et Thévenet, 2002)

la fois être délibérée, ou être contrainte, comme lorsqu'on parle d'implication contrainte (Durand, 2004). En comparaison, l'engagement renvoie à une forme d'identification de l'individu (Joule et Beauvois, 2006; Giraud, 2011). Il ne peut être basé sur une rémunération incitant à commettre un acte, car il est intériorisé par l'individu (Neveu dans Neveu et Thévenet , 2002). Celui-ci est engagé dans ce qu'il entreprend lorsqu'il y croit, même s'il ne l'est que de manière ponctuelle et que cet engagement ne durera pas (Giraud, 2011). Par exemple, dans le cas des coopératives, un individu peut être engagé dans l'idée d'une plus grande démocratisation du pouvoir, mais ne pas s'impliquer dans un projet allant dans ce sens. En contrepartie, un individu peut s'impliquer sur un CA alors qu'il n'en a pas vraiment envie. Il est alors impliqué dans sa coopérative, mais peut ne pas réellement s'engager dans son implication, qu'il voit comme une contrainte. S'il est engagé, alors l'individu croit en ce qu'il fait et ne le justifie pas par des éléments externes (Joule et Beauvois, 2006).

Les études sur le travail relatent différentes échelles d'implications et d'engagements des travailleurs (Charles-Pauvers et Commeiras dans Neveu et Thévenet, 2002) avec des cibles différentes. Ces échelles sont construites dans le but de voir si les travailleurs sont impliqués dans les projets de la direction (Charles-Pauvers et Commeiras dans Neveu et Thévenet, 2002). Or, dans le cas du milieu coopératif, la structure de pouvoir est différente et les objectifs sont décidés collectivement (Favreau, 2010); on y vise, le plus possible, à respecter la marge d'autonomie et les projets individuels dans l'entreprise (Sainsaulieu et Tixier, 1983). J'effectuerai donc une recherche plus exploratoire dans le but de laisser la porte ouverte à des éléments de l'implication et de l'engagement pouvant être important pour le milieu coopératif, mais que les différentes échelles ne prennent pas en compte. Les études sur l'engagement au travail font aussi état de l'engagement envers l'organisation, qui serait distinct de l'engagement envers les valeurs, les politiques et les objectifs spécifiques d'une organisation (Klein et al. dans Klein, Becker et Meyer, 2013). Les premiers intérêts d'étudier l'engagement au niveau organisationnel sont apparus en raison de la détérioration de la relation employeur-employé et de l'augmentation du turn-over (Meyer dans Klein, Becker et Meyer, 2013). Les chercheurs cherchaient alors des solutions à ces problèmes. Mowday et al. (1982, présenté dans Meyer, 2013) montrent qu'en plus de rester dans l'entreprise, les employés engagés ont plus de chance de partager les buts et les valeurs de l'organisation et d'effectuer des efforts dans l'intérêt de l'organisation. L'intérêt de l'engagement pour ces chercheurs était qu'il amenait un taux plus bas de turnover et un

degré plus haut d'effort et de performance, ce qui contribue à l'efficacité de l'organisation. Le danger pour l'engagement organisationnel est cependant que les organisations sont moins capables, ou veulent moins, apporter de soutien que dans le passé : « In their efforts to cut costs, increase flexibility, and improve efficiencies, organizations have cut jobs, increased workloads, and made other changes that undermine the trust to maintain reciprocal commitment from employees. » (Meyer dans Klein, Becker et Meyer, 2013 : 42) Même quand l'entreprise va bien, des postes peuvent être supprimés. Cela réduit l'engagement en raison de l'environnement de travail qui reste incertain. La perception d'une injustice dans le travail peut amener une perte d'engagement. À l'opposé, les employés dont les valeurs sont compatibles avec l'organisation développent un plus fort engagement que ceux dont les valeurs entrent en conflit. En ce sens, tout changement venant changer le noyau des valeurs de l'organisation a la possibilité de réduire l'engagement des employés. Dans le milieu coopératif, où les valeurs et les orientations sont décidées collectivement, on peut supposer que l'engagement envers l'organisation est plus ferme.

D'autres chercheurs parlent aussi de l'engagement envers une action, qui diffère des autres types d'engagements. Il ne se fait pas envers une organisation ou une personne en particulier. Selon Neubert et Wu (Klein, Becker et Meyer, 2013), l'engagement envers l'organisation risque de faire émerger un engagement envers les buts, le changement et les normes. Mais, d'un autre côté, si l'on est engagé envers l'organisation, le changement dans ses valeurs ou sa culture peut engendrer un faible engagement. L'engagement envers une action amène une intention d'agir. Ces chercheurs la définissent comme « a bond to a particular and identifiable action or the actions necessary to achieve a particular target. » (Neubert et Wu dans Klein, Becker et Meyer, 2013 : 188) Il y en a quatre types :

Niveau de la cible

Individuelle De groupe/organisationnelle Tangibilité

de la cible

Tangible Engagement envers les buts Engagement envers le changement

Intangible Engagement envers les valeurs Engagement envers les normes du

Pour cette recherche, j'appliquerai la suggestion de Morrow (Lapalme et Doucet, 2004), c'est-à-dire que je vais m'intéresser à l'engagement (et l'implication) en fonction de différentes cibles pour faciliter l'analyse. Il existe plusieurs cibles à l'engagement dans le travail, qui changent un peu selon les auteurs. Pour Meyer et Allen (1997), dont le modèle semble le plus souvent utilisé, il existe l'engagement dans le groupe de travail, envers le manager, dans l'occupation, dans la profession, dans la carrière et envers le syndicat. À cela s'ajoute l'engagement en dehors du travail qui peut aussi venir jouer sur le comportement au travail. Pour eux, l'étude de l'engagement est l'étude de l'engagement des employés envers le top management. Pour y arriver, ils font un tableau.

Cible de l'engagement Affective Nature de l'engagementEn continu Normative

Organisation Top management Unité de travail Manager de l'unité Groupe de travail Team leader

Cette manière de faire est intéressante, mais dans la structure coopérative, le management n'a pas la même place, puisque ce sont les membres qui décident des orientations. Ainsi, pour avoir un schéma plus global pour le milieu coopératif, il est nécessaire de garder cette relation avec le management, qui peut être tout aussi importante, mais aussi la relation avec les membres ou le CA, qui risquent d'avoir un rôle beaucoup plus important que dans une entreprise privée à but lucratif.

Il est cependant important de différencier les différentes natures de l'engagement. Meyer et Allen les analysent selon l'intention de rester des salariés d'entreprise. La sphère affective touche à la joie quant au fait de travailler pour l'organisation et le sentiment d'appartenance de l'individu. Ainsi, l'individu reste parce qu'il se sent bien dans l'entreprise. Pour ce qui touche l'engagement en continu, l'individu est engagé et reste dans l'entreprise puisqu'il serait compliqué pour lui de la quitter. Ainsi, le sacrifice serait plus grand en quittant l'organisation qu'en y restant. Finalement, l'engagement normatif correspond à ce qui a été

intégré par l'individu. Dans ce cas-ci, l'individu reste dans l'organisation par loyauté envers celle-ci. Pour bien comprendre l'engagement des travailleurs du milieu coopératif, j'utiliserai le concept de Becker (2006). Il me sera nécessaire d'analyser le système de valeurs des individus, dans le but de savoir quelle chose est désirée, et quelle perte leur fait peur dans le but de voir l'autre côté de l'engagement, c'est-à-dire l'élément qui les incite à rester dans ce cadre de valeurs. Becker donne l'exemple d'un musicien qui est reconnu comme digne de confiance. Il accepte tous les contrats, à moins de ne pas être disponible. Cela lui permet d'être rémunéré. Mais, avec le temps, il n'a plus besoin d'accepter tous les contrats. Cependant, il continue à le faire pour ne pas perdre son titre de musicien digne de confiance.

J'espère ainsi, par ce projet, pouvoir répondre à la question suivante : envers quoi les travailleurs du milieu coopératif se sentent-ils engagés et s'impliquent-ils, et de quelle manière cet engagement et cette implication ont-ils changé depuis leur embauche dans une coopérative?

Cette question générale me permet d’aborder la sous-question suivante : est-ce que le fait de travailler dans le milieu coopératif se traduit par d’autres formes d’engagements à l’extérieur de l’entreprise coopérative?

Je serai ainsi capable de voir si les travailleurs s'impliquent au-delà de leur coopérative ou si, comme bien des recherches le montrent, la plus grande coopération entre les acteurs et la tentative de démocratisation se limitent à la structure interne de la coopérative (Sainsaulieu et Tixier, 1983; Favreau, 2008). Comme on retrouve, dans les principes coopératifs, l’intercoopération, l’éducation sur les avantages de la coopération et l’engagement envers la communauté, l’engagement des travailleurs du milieu coopératif devrait avoir changé depuis qu’ils sont partie prenante de ce modèle. C’est pourquoi j’accorde une importance à la manière que l’engagement a évolué depuis leur embauche. Par le fait même, je serai en mesure de vérifier si l'implication des travailleurs dans le milieu coopératif relève d'un choix individuel, ou est une contrainte provenant de l'organisation. Je tenterai de discerner si l'implication des travailleurs se fait dans un désir de l'individu de s'engager, ou provient d'une contrainte du « management » coopératif.