• Aucun résultat trouvé

Morale religieuse et morale sanitaire

IV. Les pratiques modernes et les normes actuelles en matière de sexualité

IV.1 Des signes d’évolution discrets

Il semble que depuis quelques années, le choix des partenaires soit de plus en plus, surtout en milieu urbain, laissé à la discrétion des jeunes gens pour qui le sentiment amoureux a pris une part plus importante dans le choix du conjoint. Les mariages sont désormais moins exclusivement la chasse gardée de la famille. Cependant des éléments obtenus de manières informelles et formelles atteste de la fréquence des divorces et des remariages selon le cœur dès le début du siècle. Les unions étaient donc plus « libres » et les fuites des jeunes femmes (ou même des jeunes hommes) refusant une union imposée ne peuvent être qualifiées de rares à la même époque. Il semble en outre que le premier mariage des jeunes femmes, ou des toutes jeunes filles soit conclut entre familles et sans l’accord de l’intéressée, mais cette première union n’est pas toujours pensée comme devant durer. Par ailleurs, la mainmise des familles sur les décisions quant aux alliances n’était pas systématique, on nous a rapporté un grand nombre d’unions premières choisies et voulues par les conjoints et ce dès les années 194082

. Il est donc important là encore de nuancer les situations, notamment en l’absence d’études quelque peu conséquentes sur le sujet. Si de

82

grandes tendances peuvent être dégagées, il est nécessaire de garder à l’esprit que la société éthiopienne est, quant à la question des alliances, de la sexualité et des relations hommes- femmes, peut-être plus complexe que différentes études tendent à le laisser entendre (Tekle- Tsadik Mekouria, 1962).

Il semble indéniable que la jeunesse éthiopienne ait acquis une plus grande liberté amoureuse et sexuelle et ce principalement en milieu urbain. Il nous semble, que ce mouvement est concomitant du développement urbain. Les entretiens et les récits collectés témoignent de l’existence d’une certaine liberté pour les femmes dans le choix du conjoint, d’une certaine prégnance des divorces ou des séparations à l’initiative des femmes dans les années 1920-30 (cf. note précédente). Ce qui incite à une certaine prudence quant à l’évolution effective des mœurs.

Toutefois, les données collectées révèlent que l’épidémie du sida et sa médiatisation en Ethiopie au milieu des années 1990, ont mis les comportements sexuels des jeunes sur le devant de la scène, rendant public un sujet jusqu’alors réservé au domaine privé. Comme il a été explicité (cf. chapitre 4 section II.3), les informations sur les pratiques et les comportements sexuels ont été obtenues essentiellement de manière informelle. C’est donc à l’ombre des bars, dans le cadre de discussions entre amis plus ou moins provoquées, plus ou moins alimentées que ces données ont été collectées. Un petit groupe d’amis étaient réunis en un lieu convivial, la discussion en vint à l’attitude des jeunes générations (16-20 ans) face à la sexualité, une personne fit le constat que la jeunesse actuelle était précoce, ce à quoi une autre personne répondit sur un ton quelque peu taquin, « mais, au même âge tu n’étais pas un ange, eux en parlent plus mais nous faisions tout autant » (Carnet de terrain, Addis Ababa, avril-juin 2008).

De plus, et dans une certaine mesure, l’intégration ou la prise en compte des valeurs occidentales et le sida poussent les jeunes générations à désirer adopter des comportements plus transparents où le secret et le mystère prendraient une place moins importante. Ainsi, plusieurs jeunes gens rencontrés cherchaient un compagnon ou une compagne avec le(la)quel(le) le sentiment amoureux serait réel, cherchant à éviter un mariage de convenance. Dans ce cadre, la fidélité, l’attachement et le respect réciproques constituent des valeurs importantes pour ces couples (Carnet de terrain, novembre 2005- février 2006, et Carnet de terrain, février-août 2008). Par ailleurs, les jeunes femmes semblent moins enclines à tolérer les incartades et les infidélités de leur compagnon quand l’attachement réciproque constitue la base de l’union. Et ce, que cette union soit formellement établie par un mariage ou qu’elle soit informelle, l’accord sur la fidélité étant uniquement verbal (Carnet de terrain, entretiens informels avec Ashenafi, Tsägéreda, Hannah, avril-mai 2008, et Entretien avec une PVVIH Shenqwara Yohänes, juillet 2008).

Il apparaît également que les relations sexuelles bien qu’encore taboues commencent à faire l’objet de discussions, les ouvrages traitant de “sexualité” occupent les étagères de plusieurs librairies83

. Dans le cadre de la collecte de données, nous avions acheté dans diverses librairies de la capitale, plusieurs ouvrages en amharique et en anglais traitant de relation amoureuse et sexuelle. Ces ouvrages étaient à disposition de tous à notre domicile et de fait,

83

Nous avons pu observer que depuis deux/trois ans les rayonnages des librairies s’étaient agrémentées d’ouvrages traitant des relations hommes/femmes sur les plans amoureux et sexuels.

plusieurs personnes, toutes Ethiopiennes, les empruntèrent pour les lire, signe manifeste d’un intérêt pour cette thématique. Le commentaire que nous en fit l’une de ces personne est tout aussi informatif : « Ces livres sont bien, mais je n’ai rien appris de plus, ces ouvrages n’ajoutent rien aux autres. C’est dommage. » (Carnet de terrain, Addis Ababa, juillet-août 2008). En outre, une radio diffuse sur les ondes FM une émission dédiée au sida et à la sexualité84. Tout semble se passer comme si les normes et pratiques traditionnelles, avec leurs contraintes, leurs secrets et leurs mystères perdaient de leur validité au profit d’une plus grande transparence. Cette transparence étant semble-t-il accentuée par l’apparition et la médiatisation du sida.

Par ailleurs, les citadines ont gagné en liberté et indépendance. Nous n’avons bien sûr pas pu observer nous-même cette évolution, mais elle se donne à voir dans les statistiques, à travers les ouvrages portant sur l’Ethiopie et dans les discussions, là encore largement informelles que nous avons pu avoir dans des contextes très variés. Traditionnellement, en Ethiopie, les femmes n’ont qu’un accès limité à l’éducation. Les entretiens informels menés auprès de femmes et d’hommes âgés de 60 ans et plus, révèlent que certaines filles bénéficiaient de l’enseignement délivré par les prêtres (ou plus exactement les däbtära cf. Velat, 1953) dès le début de la deuxième moitié du XXe siècle. Ainsi, dans les années 1950- 1960, l’Eglise prenaient en charge l’éducation des enfants (garçons et filles) âgés de 6 à 10 ans. Les élèves apprenaient à lire l’amharique et le ge’ez, et à compter et recevaient un enseignement religieux ou le catéchisme (Entretiens avec Tsadale Maryam, novembre 2004). A partir du milieu des années 1970, le programme d’alphabétisation des campagnes mis en place par le

därg, a permis également à certaines femmes d’avoir un accès croissant à l’éducation

(Entretiens avec Tsadale Maryam, et Hannah, novembre-décembre 2004). Aujourd’hui, bien qu’encore sous représentées dans les universités ou à des postes hautement qualifiés, les femmes ont un meilleur accès à l’éducation ce qui leur confère une plus grande autonomie. Elles travaillent et accèdent à des postes à responsabilité, sont libres d’épouser selon leur cœur et ont repris partiellement possession de leur corps grâce à l’accès au planning familial et à la pilule (DHSE, 2005).

Ainsi, mais toujours dans le strict cadre de la parole intime, certaines jeunes femmes explicitaient leur propre position quant à la pilule, témoignant de l’intérêt pour cette question et de leur niveau d’information. Toutefois, elles ne pouvaient se prononcer quant au rapport de la plupart de leurs amies même proches sur ce point (Entretien avec Täsfayänesh, Addis Ababa, novembre 2005 et Carnet de terrain, discussion informelle avec Mimi, Addis Ababa, mars 200385

). En outre, nous avons pu observer que si en Occident (et surtout en France), les femmes parlent de sexualité entre elles, la situation est très différente en Ethiopie ou les jeunes femmes ou même les femmes plus âgées, n’abordent que très rarement ce type de thématique entre elles, ou alors, dans la plus stricte intimité ou encore d’après ce qu’un interlocuteur nous expliquait par périphrases que des personnes non averties ne peuvent guère comprendre (Entretien avec Tewodros, Addis Ababa, mai 2008, Carnet de terrain,

84

Voire le site Web : http:// betengna.etharc.org/ 85

Les données présentées ici ont été collectées au fil de nos enquêtes en Ethiopie, durant la maîtrise, puis le DEA et bien sûr la thèse. Certains événements et données ont pu être obtenus également en dehors du cadre formel de la recherche, par imprégnation, juste en étant là. Pour rappel, le nom de toutes les personnes citées

Addis Ababa, novembre 2005). Ces propos et postures témoignent également du secret et des silences entourant le rapport au corps féminin. Il nous semble important de noter que si cette thématique ne sera guère développée plus avant dans cette thèse, à notre sens, les études sur ce point sont nécessaires, afin de se donner réellement les moyens de lutter contre l’épidémie du sida.

De leur côté, ces mêmes entretiens et les propos recueillis là encore informellement, montrent que les hommes évoluent. Certains jeunes hommes cherchent une partenaire qui dépende moins économiquement et personnellement d’eux et qui “prenne sa vie en main”, qu’ils pourront considérer comme leur égal, dont ils pourront tomber amoureux. Ils recherchent également un épanouissement sexuel avec leur partenaire, ainsi qu’une relation où les différences en termes d’éducation, d’âge et de niveau socio-économique seront moins fortes qu’elles ne l’étaient ou ne le sont encore parfois en milieu rural. Ainsi, il semble se dessiner des transformations importantes dans les relations homme/femme avec un recul des normes sociales jusqu’alors en vigueur.

Enfin, Laketch Dirasse (1991) montre que depuis quelques années, notamment durant le régime du därg, un processus de « banalisation de la sexualité » s’est mis en place, ayant pour conséquence ou révélé par le développement d’une forme plus ouvertement « marchande » de la « prostitution ». L’appauvrissement des populations rurales, les guerres, les famines ont contribué selon R.A. Reminick à provoquer une migration vers les centres urbains, et ont conduit les femmes à employer leur corps comme outil de travail, les hommes occupant les emplois traditionnellement réservés aux femmes (2006 : 178). Si l’augmentation des « travailleuses du sexe » à Addis Ababa est indéniable (Geremu, 1993 ; Yohannes, 1994 cité par R. A. Reminick, 2006 : 179), d’autres données révèlent une permanence de la valeur virginité avant le mariage.

IV.2 Les jeunes femmes en milieu urbain de la virginité à la prostitution : entre réalité

Outline

Documents relatifs