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P REMIERE PARTIE

III. Les principaux dogmes et doctrines de l’Eglise : quelques aspects de la religiosité des fidèles

III.4 L’église et ses espaces : une organisation du sacré

Quelle que soit sa forme, l’architecture, la structure d’une église obéissent à une hiérarchisation stricte des espaces sacrés qui s’apparente à un véritable système géographique

du sacré. Reprenant les dires de B. Hirsch et F.X. Fauvelle-Aymar, à propos des camps royaux, l’église est :

« Un système permettant (en le codifiant) la transition du profane vers le sacré, de l’impur vers le pur. Par là même, il est un lieu ou s’actualise et se concentre, dans un paysage essentiellement conçu comme chaotique, l’ordonnancement divin et donc où se manifeste la présence de Dieu » (2001 : 99)

Le cœur du bâtiment est le Saint des saints, quedesta qedusan, il abrite la pierre d’autel, réplique de l’Arche de l’Alliance, tabot, contenant les Tables de la Loi appelées Orit53

. Ces Tables de la Loi sont un des symboles de la double Alliance propre au christianisme éthiopien. En effet, les auteurs pré-cités ont montré que le roi Zära Y’acob avait établi une « continuité entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance » (2001 : 92). Selon les textes composés par celui-ci, la Vierge Marie est « à la foi l’Arche de l’Alliance et la Mère du Christ » (ibidem) :

« L’arche d’or est à la ressemblance de Marie et les Tables de la Loi à la ressemblance de son sein et les Dix Commandements sont à la ressemblance de son Fils, qui est le Verbe du Père. […] C’est Marie qui a amené ensemble les deux nations – les adhérents à la Loi (Orit) et les adhérents à l’Evangile (Wängel) – à la fois en son Fils unique engendré » (Getatchew Hailé, 1992 : 98-9/104-5, cité par Hirsch, Fauvelle-Aymar, 2001 : 92)

Les tabots, que seul un évêque peut consacrer, constituent l’élément central autour duquel l’église est bâtie. Lorsque l’édifice est en construction, les tabots sont conservés dans une hutte de pisé gardée nuit et jour par un prêtre. Le Saint des saints est protégé des regards profanes par une lourde tenture. Seuls les prêtres déchaussés ont le droit de pénétrer cet espace sacré parmi les espaces sacrés et dans lequel se déroule le mystère de l’eucharistie, la transsubstantiation des espèces saintes. A partir de l’autel, la sacralité décroît en cercle concentrique à mesure que l’on s’en éloigne. Contrairement à ce que plusieurs auteurs ont noté (Stroffengen-Perderson, 1990 ; Chaillot, 2002 ; Ancel, 2006), nous avons pu observer que celle-ci ne s’arrête pas à la porte de l’église, mais touche les espaces entourant l’église et son enclos.

L’enclos, contenant un jardin, entourant le bâtiment de l’église à proprement parler, comporte d’autres édifices comme l’économe, le baptistère ainsi que les bâtiments administratifs et/ou de réunion. La sacralité de l’enclos est moindre que celle de l’église même, toutefois, son accès et son usage sont encadrés par des règles strictes. Durant la liturgie eucharistique, l’enclos demeure ouvert tandis qu’il est interdit de pénétrer dans le bâtiment principal, l’église. La séparation homme/femme y est moins strictement observée que dans l’église. C’est également l’espace de la piété individuelle. En effet, si dans l’église les fidèles sont tenus d’observer rigoureusement le rituel, ils sont autorisés dans l’enclos à adopter un comportement propre. Ils peuvent ainsi y lire des textes religieux, y faire des génuflexions, prier et se prosterner quand ils le désirent.

En dehors de ce temps liturgique, l’enceinte demeure ouverte et accessible à tous les fidèles toute la journée, de six heures du matin à dix-neuf heures. C’est un lieu de rencontre, de

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Orit correspond dans le christianisme éthiopien à l’Octateuque, à la Loi ou Torah. (Hirsch, Fauvelle-Aymar, 2001 : 92)

déambulation, de prière et de méditation, de religiosité « laïque ». Ainsi, les enseignements du soir, les fêtes des saints, les funérailles sont célébrés ou donnés dans cet espace, il joue donc un rôle très important dans la religiosité éthiopienne. Nous pensons qu’il serait très intéressant d’observer et d’analyser plus finement cet espace d’une sacralité particulière. La foi populaire veut que les mendiants et les sans abris y trouvent refuge, dans les faits, toutes les églises ne laissent pas les infortunés y dormir. Enfin, il faut ajouter que la porte d’entrée de cet ensemble est l’objet d’une attention particulière. Un fidèle ne peut pénétrer une église sans au minimum courber les genoux et baisser la tête en signe de respect54

. Pendant la liturgie, et de manière moins stricte dans la journée, doivent demeurer à l’extérieur de l’enclos : les femmes en période de menstrues, celles venant d’accoucher, les personnes ayant été en contact avec du sang de parturiente, d’assassinat ou de menstrues, et les personnes ayant eu des relations sexuelles ou des « pollutions nocturnes » la veille et l’avant veille.

La sacralité ne s’arrête pas au mur d’enceinte de l’église au sens large. En effet, une attention à la manière dont les habitations et les commerces sont situés révèle que l’espace autour de ce mur est également sacré. Aucune habitation ne jouxte ce mur et si des commerces y sont adossés, ils ne vendent exclusivement que des articles religieux. Dans de nombreux cas, un cimetière permet de protéger la sacralité de l’espace religieux, mais également des jardins, ou en dernier recours quand les églises sont situées en milieu urbain une route, ou un chemin séparent le monde totalement profane de ces espaces de sacralité « tampon » (cf. annexe 3.2. pour des plans d’églises et de cette organisation du sacré).

Ainsi, la religiosité des fidèles est-elle également partagée et en perpétuel mouvement entre ces différents pôles : sacré/profane, de ce monde/hors du monde, salut par l’ascèse/nécessité de suivre les sacrements. Selon les circonstances, l’un ou l’autre aspect de la pratique – dévotion et don en argent ou retraite, prière et carême – seront choisis selon le bien de salut visé. Mais dans tous les cas, l’objectif poursuivit, est de se consacrer à son âme pour en retour obtenir un effet concert, matériel, corporel de cet abandon préalable des aspects mondains de l’existence. Finalement, et de manière idéal-typique, cette prégnance de l’ascèse extra- mondaine peut être synthétisée, exprimée par le verset biblique « l’Ethiopie tendra les mains vers Dieu » (Psaume 68 :32). On pourrait considérer cette citation, comme une métaphore de la foi et de la religiosité chrétiennes éthiopiennes.

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