• Aucun résultat trouvé

P REMIERE PARTIE

I. L’élaboration de l’objet d’étude

I.1. Religion et sida en Ethiopie : un objet en évolution

Le sujet premier de cette thèse était double et large. Il s’agissait de mieux comprendre le(s) rôle(s) que joue(nt) les religions et les ONG confessionnelles dans la lutte contre le sida en Ethiopie. Comme il a été précisé dans le chapitre précédent, l’EOTC et l’Ethiopian Islamic Affairs Supreme Council avaient, très tôt, été mandatés par le Gouvernement éthiopien pour promouvoir les valeurs traditionnelles religieuses. L’hypothèse posée dans le cadre de ce premier projet d’étude se situait dans la lignée des travaux de M.E. Gruénais (1999) sur l’implication des congrégations religieuses dans la lutte contre le sida, et notamment quant à la prévention. Il était supputé que cette prévention religieuse et morale risquait de prendre le pas sur les modes laïques de lutte contre le sida. Dans un mouvement similaire quoique inversé, les ONG confessionnelles sont de plus en plus présentes sur le « marché » du sida interrogeant la place du religieux dans les programmes d’aide internationaux et bilatéraux. Un projet de recherche sur la base de ces deux axes de recherches avait été composé et déposé à l’ANRS. Cependant, la demande de bourse fut refusée au motif d’une trop grande dispersion des thématiques de l’étude. Avant ce verdict, une présentation du projet dans le cadre d’une

école doctorale, intitulée “Researching Politics and Culture in Local African Arenas”, en mai 2005, à l’université d’Uppsala en Suède avait permis de redéfinir objets et objectifs. Les volets concernant les ONG confessionnelles et l’Islam, avaient donc été abandonnés, et par la suite, la recherche devait se concentrer sur l’analyse des réponses au sida que les PVVIH trouvaient sur les sites d’eau bénite ainsi que sur la réponse officielle de l’Eglise Ethiopienne contre le sida. C’est donc sur la base d’un projet de recherche portant uniquement sur les formes d’engagement de du christianisme éthiopien contre l’épidémie VIH que la première enquête de terrain a été menée de septembre 2005 à février 2006 ; pour autant la construction de l’objet de recherche n’était alors pas encore abouti.

L’évolution même du contexte a conduit à l’élargissement puis à la redéfinition de l’objet de l’étude. En effet, comme il a été précisé précédemment, la distribution des ARV a débuté en Ethiopie courant 2005. Cependant durant la première enquête de terrain, aucune des personnes interviewées n’a fait référence ou n’a mentionné les ARV, et seule la cure par l’eau bénite, exclusive de tout autre traitement était envisagée par les PVVIH vivant sur ces sites. Ce n’est que lors de la deuxième enquête de terrain (de novembre 2006 à février 2007) que le traitement antirétroviral et sa prise par les PVVIH se soumettant au rituel de l’eau bénite nous ont été visibles et se sont révélés devoir constituer une des facettes de l’objet de la présente étude.

Pour reprendre et développer ce qui a été présenté en introduction et dans le chapitre 2, la distribution des ARV est principalement portée par l’Etat éthiopien et deux organismes en subventionnent l’achat et la distribution : le Fond mondial et le PEPFAR. C’est à ce dernier que revient l’introduction des ARV sur le site d’eau bénite le plus réputé pour ses guérisons miraculeuses du sida, Ent’ot’o Maryam, et c’est le PEPFAR qui s’occupa de convaincre l’Abuna Pawlos de la compatibilité entre les ARV et l’eau bénite puis de sa promotion aux fidèles en général et plus spécifiquement à ceux vivant à Ent’ot’o Maryam. Outre son implication dans la gestion de la compatibilité entre les traitements spirituels et biomédicaux, le Gouvernement américain via USAID, avait octroyé dès 2004 une subvention à l’EOTC pour promouvoir l’abstinence et la fidélité. Cependant, nous n’avons eu connaissance de ce partenariat qu’à l’occasion de cette deuxième enquête de terrain. Durant la première enquête de septembre 2005 au mois de février 2006, le responsable des programmes de lutte contre le sida de l’EOTC interviewé nous avait plutôt expliqué que l’EOTC cherchait un moyen d’ouvrir une fenêtre pour promouvoir les préservatifs. Du moins, il s’agissait de prendre en compte l’existence d’une sexualité laïque, ne correspondant pas toujours aux règles traditionnelles de l’Eglise. Ainsi, entre la première et la deuxième enquête de terrain des évolutions profondes, aux conséquences importantes étaient advenues, notamment sur ce point. Après l’arrivée des responsables de l’ONG confessionnelle IOCC, mandataire de l’USAID auprès de l’EOTC, il ne fut plus question de préservatif dans les discours de l’EOTC. La promotion de l’abstinence et de la fidélité et la distribution des ARV par les organismes américains, sous le gouvernement de G. W. Bush ainsi que leurs soubassements religieux puritains, sont largement documentés et ont fait l’objet de nombreuses analyses (Oueslati, 2006 ; Hermann 2009 ; Demange, 2010). Cet assemblage d’organismes, de traitements, de procédures et de techniques de prévention faisaient, dans le courant de l’année 2006, une entrée pour le moins retentissante sur la scène que nous avions choisie d’étudier. Au regard du poids de ces financements pour l’EOTC et des fondements religieux des

programmes américains d’aide et de soutien à la lutte contre le sida, il aurait été, à notre sens, tout à fait dommage de ne pas les considérer. L’objet de cette étude s’est dès lors enrichi d’un nouveau pan, large puisque la prévention des nouvelles infections et le soin aux PVVIH sont tous deux sous-tendus par des conceptions religieuses chrétiennes du monde et du soin. C’est donc également la rencontre entre deux rapports au monde conditionnant les formes de réponses au VIH qu’il s’agissait désormais d’étudier.

Face à l’ampleur de l’objet que constitue l’implication du christianisme éthiopien dans la lutte contre le sida au côté ou subventionné par les instances américaines, définir un angle d’approche pour ces différents élements s’avère nécessaire. Au regard de la présence de PEPFAR non loin du site d’eau bénite de Ent’ot’o Maryam, il nous est apparu comme tout à fait pertinent d’observer les rencontres entre ces deux systèmes de soins – spirituel et biomédical – à partir des sites d’eau bénite. C’est donc sur cette base que la troisième enquête de terrain, de janvier 2008 à août 2008, a été menée. Il s’agissait de comprendre et de mettre à jour les normes sexuelles et comportementales préventives des nouvelles infections au VIH que les Ethiopiens observaient et de voir comment les PVVIH vivant sur les sites d’eau bénite articulaient ces deux formes et systèmes de soins. Dès lors, nous avons considéré la manière dont s’articulent sur ces sites : les conceptions éthiopiennes et américaines de la prévention des nouvelles infections au VIH ; les modes de prise en charge pareillement éthiopien et américain, (et plus généralement biomédicaux), ainsi que les soins thérapeutiques et sociaux.

Outline

Documents relatifs