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Un objet approché par deux perspectives ou démarches anthropologiques

P REMIERE PARTIE

IV. Proposition épistémologique pour l’étude de la réponse du christianisme éthiopien au sida

IV. 4 Un objet approché par deux perspectives ou démarches anthropologiques

A présent que la posture à partir de laquelle nous penserons ensemble, religion et sida en Ethiopie et par extension, religion et santé/maladie, est posée, il s’agit de définir l’approche épistémologique choisie. Comment croiser les démarches et constituer un « objet » interrogeable par les sciences sociales de la santé et du religieux ? Pour ce faire, nous avons suivi la voix ouverte par F. Laplantine (1982, 1986) qui propose une épistémologie du même:

« Ce qu’implique à notre avis une stricte épistémologie de la pluridisciplinarité, articulant la recherche en anthropologie médicale et la recherche en anthropologie

religieuse, […; c’est] l’éclairage successif d’une double démarche différenciée sur le

même phénomène. » (1982 :76)

Il rappelle qu’aucun objet n’appartient en propre à un champ (religion, santé, politique, économique, etc.) et propose l’ « option » épistémologique suivante :

« En fait tout phénomène, qu’il se présente comme ostensiblement religieux (un pèlerinage, un rite de protection individuel ou collectif, …) ou comme manifestement médical (une intervention chirurgicale en bloc opératoire) est toujours un “phénomène social total” qui appelle l’éclairage de plusieurs démarches successives : celle de l’anthropologie médicale et de l’anthropologie religieuse, mais aussi de l’anthropologie politique, économique, […] dont il convient à chaque fois d’articuler les pertinences ou, comme dit Devereux, la « rentabilité » respective. » (note de bas de page, Laplantine, 1982 : 76)

Quelques années plus tard, il tiendra un discours identique, mais adapté aux anthropologues du religieux travaillant sur le corps, car, selon lui :

« Un même phénomène (tel le comportement alimentaire, culinaire, médical, sportif) peut fort bien faire l’objet d’une étude menée à partir de la perspective et de la

démarche de l’anthropologie des religions. Autrement dit, ce n’est jamais l’objet

empirique qui est en mesure de définir une méthode (un même objet étant toujours redevable de plusieurs méthodes), mais bien au contraire la méthode qui transforme le phénomène étudié en objet scientifique. » (1991 :16)

Il s’agit donc d’avoir recours, d’utiliser des concepts classiques et plus récents de la sociologie et de l’anthropologie religieuse et de la santé pour interroger et analyser la manière dont le christianisme éthiopien répond au sida, qui éventuellement en retour (et plus généralement ce qu’on appelle la modernité) le transforme. Plus précisément, l’objectif poursuivi est de mettre à jour les valeurs, les idées, les symboles, voire même l’ethos qui sous-tendent cette religion dans ses deux composantes, institutionnelle et religiosité vécue. En tant qu’institution l’EOTC s’implique dans la lutte contre l’épidémie au côté d’autres instances, d’autres organisations (Gouvernement éthiopien, USAID-PEPFAR, Fond Mondial). Ces organisations, mues par cet engagement contre le fléau de l’infection au VIH peuvent faire évoluer, à tout le moins elles peuvent provoquer, susciter des évolutions des changements. En tant qu’Eglise éthiopienne, faite des pratiques et les discours sur le sida, des clercs de la base et des fidèles, porteurs ou du VIH, elle y répond en offrant une solution, individuelle et collective à l’infection au VIH, réponse visible donc sur les sites d’eau bénite. Mais en retour, l’épidémie, et plus spécifiquement les traitements vont entrer en concurrence avec la cure spirituelle, et susciter, provoquer des changements. Ainsi le sida peut-il, selon la formule d’usage, être considérée comme un révélateur religieux, et un réformateur de ce même religieux.

Dans ce cadre, nous avons donc suivi l’option épistémologique proposée par F. Laplantine. L’objet principal considéré est donc l’engagement du christianisme éthiopien contre le sida. Il est, par ailleurs, depuis quelques années, devenu un véritable objet d’investigation anthropologique (Zena Berhanu, 2006 ; Getnet Tadele, 2006 ; Yseni Roman, 2006). Dans cette thèse, l’objet « engagement du christianisme éthiopien contre le sida » sera donc envisagé à partir des perspectives et des démarches conjointes de la maladie et de la santé. Cette posture, implique, invite à recourir à des concepts « passerelles », c’est-à-dire,

permettant d’analyser conjointement le fait religieux et la santé. Certaines notions ont plus été travaillées par un des deux champs. Ainsi, les guérisons miraculeuses ont plus été analysées par les sciences sociales du fait religieux que de la santé. F. Laplantine invite à ne pas enfermer les objets, si bien que nous tenterons d’approcher ces guérisons, sous l’angle de l’anthropologie de la santé, opérant alors, une sorte de retournement.

Conclusion

Cette combinaison d’approches, de démarches, d’analyses à partir des perspectives de l’anthropologie de la santé et de l’anthropologie religieuse n’a pas pour but de montrer que la médecine est une religion et la religion une médecine. Néanmoins, en prenant en charge un même phénomène (le sida) dans ses multiples dimensions (prévention des nouvelles infections, prise en charge des PVVIH, traitement du corps biologique, social, spirituel), les valeurs prônées et véhiculées par la biomédecine et le christianisme éthiopien, les symboles auxquels ces institutions ont recours et qui les sous-tendent, leurs ethos respectifs donc, se croisent, s’influencent.

Cette rencontre entre la biomédecine et la religion en Ethiopie s’inscrit dans la durée : elle est progressive. Elle débute formellement, officiellement dans les années 1980 avec les premiers programmes de lutte contre le sida gouvernementaux éthiopiens auxquels l’EOTC en tant qu’institution est appelée à prendre part. En 1992, après la chute du régime du därg18

, c’est l’Eglise éthiopienne, à travers les sites d’eau bénite soit la part moins formalisée de ce christianisme qui répond à l’épidémie. Puis, à la fin des années 1990, les formes religieuses et biomédicales de lutte contre l’épidémie au VIH se recontrent à nouveau dans un contexte de forte implication des instances internationales. En effet, c’est sous leur impulsion que le nouveau Gouvernement éthiopien élaborera en 1998, le premier plan de lutte multisectoriel contre le sida, impliquant de manière formelle l’EOTC. A partir de 2004, la rencontre prend une autre teinte, avec l’apparition d’un nouvel acteur, USAID, qui finance l’EOTC pour promouvoir l’abstinence, la fidélité et lutter contre la stigmatisation. Elle s’intensifie encore avec l’arrivée des ARV qui rencontreront, en 2006-07, l’Eglise éthiopienne grâce au PEPFAR. Ces acteurs seront présentés de manière détaillée dans les deux prochains chapitres.

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Nous y revenons dans les pages suivantes. A titre préliminaire, le därg est un comité d’élus de l’armée, cette junte militaire déposera en 1974, le dernier empereur ou “Roi des rois” d’Ethiopie, Hailé Sellassié. Dans les

CHAPITRE II

Les acteurs de la lutte contre le sida en Ethiopie

Ce chapitre est l’occasion de présenter quatre des principaux acteurs en présence : le Gouvernement éthiopien, la branche de l’EOTC impliquée dans la lutte contre le sida, certaines des instances internationales les plus présentes et actives dans la lutte contre le sida en Ethiopie et enfin les organes de l’aide bilatérale américains. L’implication du Gouvernement éthiopien dans la lutte contre le sida intervient à un moment déterminé de l’histoire du pays et du développement du système de santé éthiopien. Ces deux histoires, celle du pays puis de son système de santé seront l’objet des trois premières sections. Puis l’histoire de la lutte contre le sida, des années 1980 à nos jours, fera l’objet d’une description qui se terminera par l’exposé des relations du gouvernement avec les congrégations religieuses éthiopiennes dans le cadre des politiques contre le sida. Nous présenterons ensuite l’organe de l’EOTC impliqué dans la lutte contre le sida. Enfin, l’histoire très brève des organisations internationales présentes en Ethiopie, sera suivie d’un plus long développement sur l’histoire des relations entre les Etats-Unis et l’Ethiopie.

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