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De l’anthropologie médicale à l’anthropologie de la santé en passant par la maladie

P REMIERE PARTIE

II. La sociologie puis l’anthropologie de la santé

I.2 De l’anthropologie médicale à l’anthropologie de la santé en passant par la maladie

On s’accorde à dater la naissance de l’anthropologie médicale aux années 1920, avec la publication de l’étude pionnière de W.R.H. Rivers en Inde du Sud. Rapidement, suivent, les travaux de Aeckernecht, Clements, Foster, etc… Depuis lors, la vitalité de ce champ

d’investigation anthropologique ne s’est pas démentie. Des chercheurs nombreux, une grande variété d’approches et finalement l’existence « d’anthropologies médicales nationales » (Diasio 1999, cité par Saillant, Genest, 2005) rend l’exercice de la synthèse ardue sinon difficile dans le cadre imparti ici.

J.-P. Olivier de Sardan définit l’anthropologie de la santé, autre dénomination de ce champ, comme suit :

« Les deux grands chantiers de l’anthropologie de la santé [sont] d’un côté les représentations et les pratiques populaires, de l’autre le système de santé » (2006 : 1039)

Ces deux objets correspondent à des problématiques élaborées au cours de l’histoire de la discipline, qui se caractérise par l’existence de trois périodes distinctes. La première débute avec W. R.H. Rivers (1924) et court jusqu’aux années 1960. N. Scotch (1963) amorce la deuxième période, celle de la constitution du « médical » en champ de recherche anthropologique. Puis la troisième, celle de la constitution du champ médical (ou plutôt de la maladie) en France s’étend de 1980 à la fin des années 1990. Enfin, à l’échelle nationale, il nous semble que depuis les années 2000, une nouvelle et quatrième période a débuté à l’intérieur de laquelle semblent poindre les germes d’une nouvelle étape. Etape faite de l’apparition sur le front de la lutte contre le sida des congrégations confessionnelles.

I.2.a. La naissance de l’anthropologie médicale

De Rivers à Scotch, (1924-1963)

L’anthropologie médicale est née dans le monde anglo-saxon. W.R.H. Rivers est d’abord médecin anglais, devient d’abord psychologue puis ethnologue. Dans Medicine, magic and

religion, (1924) il montre que les pratiques thérapeutiques sont complémentaires des

croyances. Selon C. Aracho et P. Farmer, W.R.H Rivers :

« Contribua à inculquer le stéréotype selon lequel les systèmes médicaux non occidentaux reposent sur un lien inextricable entre la magie, la religion et la médecine. Ce stéréotype fut d’ailleurs adopté par la plupart des anthropologues au cours de la seconde moitié du XXe du siècle [Foster et Anderson 1978] » (2005 : 92).

Le fait que W.R.H. Rivers ait d’abord reçu une formation de médecin dans les années 1900, époque durant laquelle la suprématie et l’efficacité de la médecine occidentale ne connaissent guère de remise en cause, éclaire sa conception des « systèmes médicaux non occidentaux ». Puis, F.E. Clements (1932) s’intéresse aux causes des maladies fondées sur les croyances, notamment religieuses, et en offre une typologie. Un tournant s’amorce avec E.H. Ackerknecht (1946) qui compare les médecines occidentales et « traditionnelles » et montrent que « toutes deux intègrent à la fois des éléments magiques et scientifiques » (Bonnet, 2004 : 707). Il associe également les notions d’efficacité et de rationalité ou d’empirisme des médecines quelles qu’elles soient. Pour F. Saillant et S. Genest, cette anthropologie, pas encore nommée « médicale », était d’abord une « anthropologie symbolique et religieuse » (2005 : 5).

Les années 1960-1980

Dans la deuxième période, à partir de 1960, l’anthropologie devient un champ d’investigation légitime des anthropologues (en pays anglo-saxon). L’américain A. McElroy, anthropologue de ce qu’il qualifie d’ « écologie médicale », établit que W. Caudill (1953) fut le premier à identifier ce champ de recherche, suivi de S. Polgar (1962) et par N.Scotch (1963) (McElroy, 20028

). A. Castro et P. Farmer rappellent que :

« Selon Foster, l’année 1963 marqua le début de “la conscientisation des anthropologues américains face aux retombées, utiles à l’anthropologie, de la recherche sur la santé et la maladie » [Foster et Anderson, 1978 :3] » (2005 : 95)

Ce courant va ensuite de diversifier et essaimer dans plusieurs pays pour se développer de manière autonome selon les traditions scientifiques nationales.

I.2.b. L’anthropologie médicale et de la maladie en France

En France, l’anthropologie médicale s’institutionnalise dans les années 1980, sous l’impulsion de A. Retel-Laurentin (1983), des premières tables rondes (1979-1980) et, en novembre 1983, du premier colloque autour du thème « Santé et Sciences humaines » (Moutaud, 2011 :1). A partir de ce premier mouvement, différents courants nés de positionnements intellectuels, d’approches des faits « maladies » ou « médicaux » distincts se développent. L’histoire des courants animant l’anthropologie française, aujourd’hui appelé de la santé, a principalement été établie par S. Fainzang (1990 ; 2000 ; 2001 ; 2005) plus récemment B. Moutaud s’est penché sur le sujet (2011). Deux grands courants apparaissent concomitamment : celui de A. Zempléni et celui de M. Augé.

A la suite des tables rondes organisées par A. Retel-Laurentin, A. Zempléni et N. Sindzingre publient les premiers articles et opèrent une distinction entre anthropologie médicale et de la maladie (1981 ; 1982). Dès 1969, à l’Université de Nanterre A. Zempléni avait mis en place un séminaire sur le thème de la santé en s’entourant notamment des historiens J.-P. Peter, M.- C. Pouchelle et d’anthropologues comme J. Favret-Saada. B. Moutaud rappelle que

« A. Zempléni définit le champ comme une “nébuleuse “ qui va de la psychanalyse à l’épidémiologie [Zempléni, 1992 : 17 ; Haxaire, Zempléni, 1995: 102] » (2011 : 5). Cette définition de l’anthropologie de la maladie et médicale intègre de fait la religion, ou les croyances portées par les religions. Ainsi, l’étude pionnière de J. Favret-Saada (1977) est-elle emblématique des conceptions des relations entre thérapeutique et religion (au sens le plus large qui soit). Celle-ci montre que la sorcellerie dans le bocage, pratiques considérées d’un autre âge par les urbains mais également par les folkloristes (1977 :16), jouent pleinement dans la conception du mal, lui donnent un sens et permettent d’élaborer une réponse, d’agir sur son origine.

F. Laplantine, l’une des figures marquantes de ce courant, montre une accointance pour ce groupe plutôt que pour celui de M. Augé, qu’il ne cite que rarement dans ses travaux (1982 ; 1986). Par ailleurs, son orientation plutôt psychanalytique le rapproche de A. Zempléni. Dans son ouvrage aujourd’hui devenu référentiel, Anthropologie de la maladie, (Laplantine, 1986)

il prolonge et développe dans la dernière section, les questions soulevées durant le colloque du Groupe de Sociologie des religions en 1982, sur les composantes sacrées portées par la médecine (1986 : 343-388) 9

.

L’autre courant est celui porté par M. Augé dans les années 1980 :

« A l’EHESS, le courant de l’“anthropologie de la maladie” se constitue au début des années 80 autour de Marc Augé et du séminaire pluridisciplinaire “Anthropologie et sociologie de la maladie” qu’il anime avec Françoise Héritier, anthropologue, et Claudine Herzlich, sociologue de la médecine. » (Moutaud 2011 : 3)

Ce séminaire aboutira à la publication, en 1984, par M. Augé et C. Herzlich de l’ouvrage collectif considéré désormais comme une référence incontournable : Le sens du mal :

anthropologie, histoire, sociologie de la maladie. Les auteurs considèrent que l’anthropologie

se donne comme objet la maladie afin de comprendre la liaison entre ordre biologique et ordre social, à ce titre, elle participe du projet anthropologique général. Parmi les contributeurs de cet ouvrage fondateur, une sociologue des religions, D. Léger qui deviendra célèbre sous le patronyme D. Hervieu-Léger, le clot avec un article intitulé : “De la guérison au salut : les communautés apocalyptiques néo-rurales en France” (1984 : 257-268). Dans sa conclusion, l’auteure rappelle la relation entre salut et santé. Si bien que métaphoriquement, l’ouvrage débute donc par une interrogation sur le sens du mal et se termine par l’association entre salut et santé.

Ainsi, pour les deux courants (ou écoles), les liens entre maladie (et/ou médecine) et religion sont-ils intimes et essentiels à la compréhension de la maladie, à l’usage social qui en est fait. Cette anthroppologie de la maladie contribue donc plus largement au projet de l’anthropologie générale. Les premiers travaux qui seront menés dans la lignée de ces élaborations théoriques rendent compte de cette intrication des champs dans lequel le concept d’efficacité symbolique et la remise en ordre sociale auront la part belle (Gibbal, 1982 ; 1984 ; Olivier de Sardan, 1994).

I.2.c. Le milieu des années 1990 : le temps des remises en cause

A partir du milieu des années 1990, le développement et l’amélioration de l’accès à la médecine moderne dans les sociétés du Sud conjointement à l’apparition dans le champ de l’anthropologie médicale et de la maladie de nouveaux auteurs mais également du sida (Dozon, Vidal, 1993 ; Fassin, 1994 ; Vidal, 1996 ; Raynault, 1997 : Benoist, 1996 ; Gruénais et al., 1999 ; Oliver de Sardan, Jaffré 1999), vont introduire un changement, une évolution dans l’appréhension du fait ‘maladie’, dans les sociétés du Sud comme celles du Nord (Fainzang, 1989 ; 1996 ; 2001b). Plusieurs nouvelles conceptions sont élaborées. La notion de pluralisme médical (Benoist, 1996), est l’une d’entre elles. Elle rend compte de la multiplicité des recours des personnes en quête de soin : la consultation d’un médecin biomédical pouvant être parallèle, précéder ou suivre celle d’un guérisseur traditionnel ou le recours à un rituel de possession. Comme le synthétise F. Hane

9

Il est à noter que peu d’articles traitant de ce champ de l’anthropologie française n’évoquent F. Laplantine. Aucune référence n’y est faite dans les deux articles du Dictionnaire de P. Bonte et M. Izard (2004) ni dans les articles de S. Fainzang sur l’histoire de ce champ (1990 ; 2001 ; 2005).

« Des telles recherches ont montré que ces pratiques, centrées, […] sur la quête de sens, n’opèrent pas un cloisonnement étanche entre ce qui relèveraient du médical (moderne) et ce qui relèveraient du traditionnel. […] J. Besnoit entend réintroduire, en référence à la prégnance du “social”, des sortes de déterminants culturels dans la constitution des itinéraires thérapeutiques. » (2007 : 19)

J. Benoist reviendra également sur la notion d’efficacité symbolique qu’il faut, selon lui, non pas remettre en cause mais qui serait à déplacer hors de la « médecine », car ce qui est primordial est d’agir sur « les effets de [l’]absence de sens » (1993 : 211) qui pointent lors de la survenue de la maladie. De leur côté, Y. Jaffré et J.-P. Olivier de Sardan, dans un ouvrage sur la construction nosologique des maladies, remettront en cause les dérives surinterprétatives des sciences sociales qui associent trop souvent maladie à une quête de sens. Ils rappellent que de nombreuses maladies font l’objet de traitements prosaïques et que les savoirs des spécialistes et des profanes circulent concourant à fabriquer des entités nosologiques populaires (1999 : 58-60). Ces évolutions théoriques de l’anthropologie de la maladie marquent le début d’une nouvelle ère, dans laquelle la relation santé et religion (encore une fois au sens le plus large), considérée essentiellement à travers le social et la notion d’efficacité symbolique, est donc de moins en moins prégnante.

I.2.d. La fin des années 1990 : naissance de l’anthropologie de la santé, un champ en pleine évolution

Les querelles appellatives, anthropologie médicale ou anthropologie de la maladie, qui ont travaillé le champ dans les années 1980, s’amenuisent à la fin de la décennie 1990. La dénommination ‘anthropologie de la santé’ est inaugurée par R. Massé en 1995 (Massé, 1995). D. Bonnet la définit ainsi :

« L’approche anthropologique ne se satisfait plus d’une étude holiste des représentations mais s’inscrit majoritairement dans l’analyse des pluralités des interprétations, et des pratiques sociales des individus et des groupes au sein d’un système de santé qui est devenu lui-même l’objet d’étude » (1999 : 6)

Dès lors, l’anthropologie médicale jusqu’alors considérée comme plus pragmatique et à visée développementiste, ou sanitaires (ou médicales) tandis que l’anthropologie de la maladie était pensée comme plus tournée vers la dimension sociale de cet évènement et donc plus proche de l’anthropologie générale, se confondent pour donner corps à une anthropologie de la santé. A partir de la fin des années 1990, les travaux et les objets se diversifient, les champs sont croisés, notamment entre santé et le développement (Olivier de Sardan, 1998 ), ou santé et politique (ou pouvoir) (Fassin, 2000 ; 2001), et la santé publique (Fassin, Dozon, 2001 ; Massé, 1995). Plus récemment, l’anthropologie questionne et analyse la recherche biomédicale (Clouderc, 2011 ; Ouvrier 2011). L’apparition de l’épidémie sida et les financements octroyés aux sciences sociales par des organismes de lutte contre le sida (Agence Nationale de Recherche sur le Sida- ANRS, Fondation de France, Sidaction), ont largement contribué à enrichir le champ comme le note J.-P. Olivier de Sardan (2006). Cette nouvelle anthropologie ou socio-anthropologie de la santé, permettant de rapprocher les points de vue, semble donc plus à même de contribuer plus largement au projet de l’anthropologie (Fainzang, 2005 : 157).

Au regard des croisements entre les champs de la santé et du religieux, on notera qu’une évolution, presque une rupture, paraît prendre corps à partir des années 2000, avec la naissance de l’anthropologie de la santé. Un ouvrage coordonné par J. Benoist et R. Massé en 2002 marquera une prise de distance avec le champ religieux, appelant à la méfiance envers la « surdétermination du sens du religieux » :

« Plusieurs auteurs posent la question des limites des catégorisations pour fins comparatives, mais questionnent aussi les risques de réification, de substantialisation, d’essentialisation des composantes du religieux. […] Et si notre découpage de la perception locale du monde de la maladie, n’était pas abusif, ne devenait pas une pratique analytique instituante découlant d’un “réalisme dogmatique de l’observateur occidental”, menant parfois aux limites de l’essentialisation du sacré, du religieux ? […] Plusieurs des contributions à cet ouvrage appellent à une remise en question des catégories analytiques qui permettent difficilement de penser le sacré, la maladie et leur interface. » (Massé, 2002 : 11)

En conclusion, J. Benoist propose également de réinterroger, sinon de réaffirmer, la séparation, des champs religion et santé de cette nouvelle anthropologie de la santé qui ne dit pas toujours son nom. Il invite les anthropologues à ne pas confondre « vérité culturelle et vérité scientifique » quant à l’efficacité thérapeutique des médecines « éloignées ». L’auteur part d’un fait qu’il pose comme fondamental : « les médecines ont une forte dimension identitaire » (2002 :465) et se demande si l’anthropologue :

« Soucieux du respect pour les identités – et c’est effectivement une part centrale de sa tâche -, l’anthropologue n’a-t-il pas alors tendance à se tenir à distance de tout ce qui semble une évaluation de la valeur technique (en termes de diagnostic, de nosologie et de traitement) des médecines qui prévalent dans les sociétés qu’il étudie ? Le respect que l’anthropologue voue aux autres ne s’accompagne-t-il pas alors subrepticement de l’incorporation ethnocentrique de l’autre, un autre qui, comme une nourriture porteuse d’on ne sait quel pouvoir, pourrait le conduire au-delà de cette surface des choses à laquelle la science semble réduire le monde ? » (2002 : 485-486)

Si cette posture peut s’apparenter à une forme de positivisme, elle a le mérite d’inciter les anthropologues à réinterroger leur regard « éloigné » quant à l’efficacité « construite culturellement » des thérapies d’obédience religieuse qu’ils observent. Et J. Benoist rappelle que :

« Tout soignant, et en particulier le médecin, sait que chaque acte soigne : soigner c’est prendre soin, […] Chaque acte de soin possède, du fait de son accomplissement une vérité médicale, nécessaire, répondant à un appel, la vérité du « prendre soin ». Cela ne veut absolument pas dire que soigner, c’est guérir. Or la confusion est fréquente. La prière en acte n’affirme en rien sa vérité biologique, et se doit de n’exclure ni de confondre les deux niveaux de vérité. » (2002 : 488)

Ainsi est posé, ce qui définit et distingue la médecine de la religion. La médecine soigne par les actes médicaux scientifiquement valides tandis que la religion entend(rait) guérir (« symboliquement » ?) par la prière, les rituels et offre le salut (/santé) à ses fidèles. Ces deux régimes de réponse au mal, de « prise en charge » de la souffrance, ne peuvent ni ne doivent être confondus. On peut, dès lors, s’interroger sur les propositions faites dans cet ouvrage quant à l’appréhension de la relation religion/santé. A partir de quel point de vue peut-on raisonnablement envisager les croisements entre religion et santé ?

Parmi les articles de l’ouvrage, un semble dessiner une solution. En effet, S. Fainzang propose une autre approche des croisements religion/santé (2002 : 125-142). Son article présente une partie de ses travaux sur les relations entre le patient, le médecin et l’ordonnance (2001b). Elle y analyse la manière dont la culture religieuse (indépendamment de la pratique réelle), influence, détermine le rapport à l’ordonnance du médecin et plus généralement à son autorité. L’auteure propose donc une modalité de croisement des champs religieux et de la santé pour le moins originale et, à notre sens, très intéressante :

« L’appartenance [origine religieuse] est donc ici envisagée comme participation à un système de valeurs et à une culture dont il s’agit de cerner comment elle imprègne des pratiques quotidiennes extérieures au champ des pratiques religieuses, et en l’occurrence celles afférentes au champ de la santé. » (2002 : 127)

Elle montre que les protestants et les juifs ont un rapport à l’écriture et à l’autorité plutôt distancié et n’hésitent pas à critiquer, à interroger afin de se forger une opinion personnelle, reportant ainsi à la relation médicale des valeurs transmises par le groupe religieux. Ils ont effectivement un rapport (historiquement construit) à l’écriture et à l’autorité qui les amène à discuter l’autorité et à s’approprier individuellement ce qui est écrit. Les musulmans et les catholiques adoptent au contraire une posture déférente par rapport à l’autorité médicale et à une de ses matérialisations, l’ordonnance. Ils auraient plutôt tendance à la sacraliser transposant au cadre médical et à leur santé, un rapport plus général à l’autorité et à l’écrit héritée de leurs cultures religieuses. L’auteure résume :

« Tout se passe comme si, à l’intérieur de chaque groupe culturel, il y avait une sorte de transmission et d’intériorisation de certaines valeurs et de certaines conduites, en vertus de laquelle l’individu apprend à se positionner face à l’autorité en général, dont l’autorité médicale serait un avatar et dont l’autorité religieuse serait le paradigme » (2002 : 128)

C’est donc sous l’angle des patients, des usagers, des « fidèles » qu’il semble pertinent de croiser les rapports entre religion et santé, d’après l’ouvrage collectif de R. Massé et J. Benoist. Mais qu’en est-il de la médecine « moderne » (occidentale) et de ses possibles accointances avec le religieux ?

A la suite de F. Laplantine (1986) et des travaux menés par les sociologues du religieux sur la santé (cf. ci-dessus), S. van Der Geest interroge les pratiques biomédicales sous l’angle religieux et opère des rapprochements entre les rituels religieux et les actes médicaux (1994 ; 2002 ; 2004 ; 2005). Son projet consiste à revoir la démarcation entre magie, religion et médecine et à analyser les similitudes qu’elles peuvent présenter, car « les trois ne sont que des facettes d’une même réalité sociale et culturelle » (2001 : 110

, cité par Massé, 2002 : 11). Ainsi, la proposition de S. van der Geest rompt avec la tendance à dresser des barrières et des démarcations entre les champs pour analyser les ressemblances sinon les similitudes (formelles ?) que peuvent présenter des domaines finalement délimités par les sciences occidentales mais ne correspondant pas toujours aux réalités vécues ici comme ailleurs, comme tend à le montrer l’article de S. Fainzang (2002). Cependant, la position de R. Massé

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L’article cité par R. Massé n’est pas rapporté en bibliographie finale. Les recherches sur les différents portails de revue en ligne laissent à penser qu’il s’agit d’un article de S. van der Geest, paru en 2002, “Hospital care as liturgy: Reconsidering magic, science and religion”, AM Revista della Società Itaiana di Antropologia Medicia

quant à la proposition de S. van der Geest, livrée in extenso en introduction de l’ouvrage collectif qu’il coordonne avec J. Benoist (2002), est révélatrice d’une posture plutôt suspicieuse face à ces rapprochements. A l’adresse des travaux de S. van der Geest, il considère que la

« Vision élargie de l’efficacité thérapeutique ne signifie aucunement […] que la médecine doive être ramenée à une forme de religion scientiste. […] le lecteur de cet ouvrage devra éviter les dangers d’un relativisme épistémologique postmoderne qui ramènerait la biomédecine à une ethnomédecine marquée, comme tout autre, par la magie et une liturgie des soins. […]

Bien sûr, la médecine est religion dans le sens où elle gère les rapports de l’homme avec la mort. Toutefois, l’anthropologie risque de se voir discréditée autant par une critique postmoderne radicale de la médecine et de la science que par les surinterprétations du religieux en termes politiques. Il faut éviter de confondre la science elle-même, qui n’a rien à voir avec la magie et la religion11

, et les usages sociaux et politiques de cette science et des savoirs scientifiques, qui, eux, font place à la subjectivité, à la mystification et à la défense d’intérêts particuliers. » (2002 : 11)

Ainsi, un courant de cette nouvelle anthropologie de la santé semble rompre avec l’ancienne conception des médecines, thérapies (identitaires, traditionnelles, néo-traditionnelles, ou autres) aux fortes accointances magiques, religieuses ou magico-religieuses qui à défaut de soigner « efficacement » (au sens « scientifique » du terme), guérissaient symboliquement.

I.2.e. L’anthropologie de la santé : une crise de la culture ?

Si le champ de la santé en anthropologie présente une réelle et impressionnante vitalité

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