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Les règles coutumières priment en matière de mariage et de sexualité

Morale religieuse et morale sanitaire

III. Les normes sexuelles traditionnelles non écrites

III.1 Les règles coutumières priment en matière de mariage et de sexualité

Le mariage religieux appelé également qurban que nous avons détaillé jusqu’ici est le moins contracté par les époux qui lui préfèrent les autres types de mariages voire n’institutionnalisent guère leur union. Ainsi, d’après nos observations, il semble que les mariages civils ou même coutumiers ne soient pas toujours utilisés. En effet, les mariages coûtent un certain prix (nous y reviendrons), et de nombreux Ethiopiens vivent simplement

en union, la situation est, dès lors, plus fluide, moins établie. Les unions libres sont fréquentes, tout autant que les séparations et certaines personnes se considèrent mariées sans toujours l’être de fait. Toutefois, il faut noter que parmi toutes ces formes d’unions, sans doute la moins employée par les Ethiopiens est le mariage religieux.

Ces préférences ne sont pas récentes ainsi que l’attestent les récits des voyageurs étrangers ayant séjourné en Ethiopie au XIXe siècle (Vô Van, 2006 : 517-519). Plus récemment, Tekle-Tsadik Mekouria(1962 : 135-150) détaille la manière dont les alliances sont conclues entre jeunes gens, et explique :

« En tout cas après les fiançailles suivra le mariage par l’entremise de l’Eglise qui légalise trop, ou sans Eglise par le simple contrat du mariage qui facilite le divorce le cas échéant » (Tekle-Tsadik Mekouria1962 : 139)

Or le divorce est en Ethiopie commun et possible pour tous les mariages sauf comme nous l’avons vu pour l’alliance religieuse. Il existe dans la société éthiopienne de nombreux types de contrats et de types de mariages. B. Taverne rappelle que

« A travers la sexualité “ce que les hommes s’efforcent de reproduire, ce n’est pas leur espèce (…) c’est le groupe social auquel ils appartiennent” (Godelier, 1995 : 119). Dans toutes les sociétés humaines, la reproduction biologique/sociale est inscrite dans un système de parenté, à travers les règles de la filiation et de l’alliance. C’est dans ce domaine que s’exprime de la manière la plus précise la codification de la sexualité et la nature des relations entre les personnes. » (1999 : 509-510)

La présentation des différentes formes de mariages existantes en Ethiopie permet donc de brosser une esquisse des relations sexuelles « autorisées » dans cette culture. Dans la suite du propos seront présentées d’autres pratiques, moins « encadrées » explicitement, qui la complètera et terminera une esquisse finale, et guère plus car en l’état actuel des connaissances sur le sujet, il est délicat de dresser un tableau précis des règles matrimoniales et sexuelles en vigueur en Ethiopie.

Le mariage par contrat est le mariage civil, dénommé en amharique semanya ou balekul. Il est célébré à la mairie ou devant les autorités administratives légales, si divorce il y a, chacun des époux repart avec ses possessions originelles (Reminick, 2006 : 178) ainsi que la moitié des biens accumulés durant le mariage (Laketch Dirasse, 1991 citée par Tabet, 2004 : 14). Il existe d’autres types d’alliance : le demoz/gered que les anglais traduisent par “temporary paid labour mariage”, « le mariage pour travail temporaire ». Le terme amharique demoz signifie littéralement « salaire ». Ce type de contrat présente les particularités suivantes :

« Le mariage damoz [sic], le mariage contre compensation ou salaire est temporaire et de durée définie : l’accord le plus fréquent se fait pour un mois, renouvelable éventuellement, mais la durée peut varier d’une semaine à un an ; la rémunération ou salaire de l’épouse y fait l’objet d’une négociation. Le mariage damoz se pratique souvent à l’occasion de voyages, de séjours prolongés sur des marchés, ou dans d’autres situations de ce genre. L’homme se trouve avoir à sa disposition une « épouse-auberge » dans ses lieux de séjour ou bien (par le passé surtout) une épouse qui l’accompagne dans ses déplacements. Il s’assure par un contrat à terme, l’ensemble des services sexuels et domestiques d’une épouse : le lit, les repas, le ménage, la maison. Ce mariage étant reconnu par la loi, la femme peut recourir au tribunal si elle n’est pas payée conformément aux accords passés ; l’enfant éventuellement né de

l’union aura droit à une part de l’héritage paternel. Légalement donc, il s’agit d’un vrai mariage, non assimilable en Ethiopie au rapport occasionnel ou au rapport considéré comme prostitutionnel. Le statut de l’épouse damoz, inférieur à celui des épouses des autres formes de mariage, est cependant plus élevé que celui des concubines, par exemple des yacan garad pour l’usage sexuel et dont les enfants, illégitimes, n’ont pas droit à hériter de leur père. » (ibidem)

Ce type d’alliance permet, donc, à des hommes étant pour une longue période loin de chez eux, de vivre avec une femme pendant cet intermède. Il existe également le mariage précédé de « provision of labour », ou k’ot’assir et enfin le mariage par abduction ou enlèvement ou

telefa (Getnet Tadele, 2006 : 76-78). Ce dernier n’est aujourd’hui plus reconnu comme

valide toutefois, une des cérémonies précédant le mariage civil ou semanya, mime l’enlèvement de la mariée par le futur marié, rendant compte de son empreinte dans la symbolique éthiopienne actuelle du mariage. Pour ce type de mariage, telefa ou mariage par abduction, l’homme désirant épouser une jeune femme l’enlève, souvent alors qu’elle se rend à l’école ou pendant qu’elle va chercher de l’eau et la cache pendant quelques temps. Il arrive aussi qu’il ait des relations sexuelles avec elle, provoquant une grossesse qui facilite l’acceptation et la reconnaissance de l’alliance. Les notables et anciens du village seront contactés pour intervenir dans la négociation du prix de la mariée et pour servir d’entremetteur entre les familles des futurs époux. Ce type de mariage est souvent considéré comme violent puisque associé au viol ; cependant, il ne peut être réduit à cela.

En effet, dans les mariages courants, les mariés n’étaient pas consultés par la famille pour choisir leur futur conjoint. Cette pratique semble toujours en vigueur actuellement, quoique dans une moindre mesure. Les entretiens menés sur les sites d’eau bénite auprès des PVVIH témoignent de la prégnance du phénomène qui touche tant des jeunes femmes de 25 ans que personnes d’une quarantaine d’années, ce phénomène semble toutefois plus prégnant en milieu rural. Ainsi le mariage telefa ou mariage par abduction advient quand un homme désirant épouser une jeune femme ne peut l’obtenir, soit parce que les parents de la jeune femme convoitée s’opposent à l’union, soit (et cela n’est pas antinomique) parce que l’homme n’est pas en mesure de couvrir les frais de la cérémonie et de subvenir aux besoins de sa potentielle épouse, soit également parce que la jeune femme refuse la proposition. Cependant, il est également des cas, où ce sont les jeunes gens, qui désirent s’unir officiellement, en dépit du refus des parents de la jeune femme. En effet, les mariages étant parfois le fruit d’arrangement entre familles qui négociaient alliances et terres, pouvoir ou bien symbolique, les désirs et sentiments des épousés n’étaient pas pris en compte et n’avaient pas le droit de citer. En milieu urbain les unions « libres » sont par contre plus fréquentes. Dans ces conditions, le mariage par telefa représente une possibilité pour les amoureux de s’unir selon leur cœur. Durant une enquête de terrain, sur le chemin de retour d’un site d’eau bénite, notre interprète et nous-même avons été accueillis par de jeunes mariés ayant usés de ce moyen pour s’unir. Leur attachement réciproque et l’amour qu’ils se portaient émanaient de chacun de leurs gestes, si bien qu’il aurait été injuste de remettre en cause la véracité de leur histoire. Par ailleurs, le mime de l’enlèvement durant un mariage civil bénis par les parents des conjoints corrobore cette interprétation. Il n’est toutefois pas douteux que certains mariages par telefa aient lieu contre le grès des jeunes femmes, impliquant un cortège de viols et d’abus, et constituant une violence pour la jeune femme.

Enfin, un autre type de relation, cette fois non maritale mais formellement acceptée et reconnue est le yech’an gered. R. A Reminick rapporte que « les aristocrates de la période féodale emmenaient avec eux des servantes, appelées yech’an gered (littéralement thigh- servant), notamment durant leurs voyages, pour leur propre plaisir, mais aussi pour initier leurs fils à la vie sexuelle (Laketch Dirasse, 1991 : 6 ; Reminick, 2006 : 178). Au regard des observations menées, mais là encore, les données sont délicates à collecter de manière systématique, il nous semble que telle que décrite par ces deux auteurs, cette pratique ne perdure guère aujourd’hui, à tout le moins, elle n’implique guère d’aristocrates partant en campagne « militaire » avec leur fils. Par contre, les relations sexuelles entre un maître de maison et une servante sont très vraisemblablement fréquentes, qu’elles aient lieu par désir commun ou par jeu de domination. La deuxième option est sans doute plus récurrente que la première. Pourrait-on considérer cette « pratique » comme une sorte d’ « héritage », quelque chose qui perdure tout en changement « vaguement » de forme ? En l’état actuel de nos recherches la question demeure entière.

Enfin, il existe d’autres types d’alliances moins formellement reconnues, que nous développerons prochainement. Ce tour d’horizon des types d’unions matrimoniales appelle à la nuance. L’attention à la diversité des situations quoique complexifiant la description permet de rendre compte de la multiplicité des possibles et de la complexité des relations matrimoniales, de la place de la femme et des jeunes hommes et des pratiques sexuelles dans la société éthiopienne. Toutefois comme le note Laketch Dirasse (1991) et R.A. Reminick (2006), les alliances matrimoniales sont souvent fondées et reproduisent « une forme subtile de réciprocité asymétrique » (Reminick, 2006 : 177), les hommes ayant le pouvoir politique et l’argent, les femmes le pouvoir domestique mais surtout leur corps. De plus, la multiplicité des arrangements matrimoniaux et l’existence des règles écrites tant religieuses que civiles sur ce thème montrent que les relations sexuelles sont dans la société éthiopienne principalement envisagées dans le cadre spécifique du mariage ou du moins de l’union. Nous avons vu que les textes religieux établissaient la nécessité de virginité pour les femmes, mais aussi pour les hommes quoique ceux-ci étant les aînés de leurs épouses de 10 à 15 ans, la possibilité de leur virginité est, dès lors, remise en cause. Qu’en est-il d’un point de vue de la pratique effective « traditionnelle » ?

III.2 Un témoin de la hiérarchisation des normes : la domination masculine dans le

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