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P REMIERE PARTIE

I. Sociologie et anthropologie religieuses, de l’histoire aux croisements de champs

I.3. Une deuxième vague d’études sur la santé

Entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, débute la deuxième vague d’études sur la santé, plus importante que la première. C’est également l’époque durant laquelle l’étude des faits religieux connaît un nouvel essor, en partie dû à une mutation du religieux lui-même. On pensait le religieux en voie d’extinction, mais au cours des années 1980, il ressurgit sous des formes nouvelles, parfois diluées (Isambert, 1978 ; Champion, 1984, 1988 ; Hervieu-Léger, 1988) ou protestataires (Séguy, 1979). Les premières tentatives de croisement des champs religieux et de la santé, de cette deuxième période, sont le fait des sociologues, dont une des figures les plus influentes fût J. Maître. Sociologue du catholicisme, il commence à s’intéresser à la médecine à partir des années 1975 (Pinell, 2002). En avril 1982, le colloque du Groupe de Sociologie des Religions (fondé par Le Bras) se tient à Paris, il est coordonné par J. Maître, J. Gutwirth, A. Godin, J. Séguy et L.-V. Thomas. Ce dernier inaugure le compte rendu du colloque :

« Ce colloque réunit des chercheurs provenant horizons divers mais que passionne la sociologie religieuse appréhendée selon des perspectives enrichies et novatrices (sociétés “autres” ; santé et maladie ; apocalypse et utopie) » (Thomas et al. 1982 : 167) Parmi les intervenants, on compte des sociologues, anthropologues, historiens du fait religieux et travaillant pour certains comme M. Augé, et M.-C. Pouchelle sur la maladie, la médecine, soit des champs encore en cours d’institutionnalisation. Au terme de ces journées de présentations durant lesquelles la santé et la maladie occupent une place très honorable, L.- V. Thomas synthétise les communications ayant trait à ce thème et pose diverses interrogations que ce croisement d’objets suscite :

« La permanence du secret médical les mots, magiques traduisant la séduction inconsciente du médicament, le caractère exécutoire de la parole du thérapeute, les métaphores religieuses fréquentes (maladie définie comme le mal ; malade « sauvé » ou « condamné » ; fonction apostolique du « médecin-sacrificateur » ou du médecin « père-confesseur » selon expression de Baubérot) abondent en ce sens, tout comme la profusion de médecines parallèles non dénuées de mysticisme ou seulement de magie (travaux Julliard). L’âge thérapeutique entretient donc d’étroites connivences avec âge

théologique qu’il remplace ou restructure du dedans. Il faut aller plus loin encore et questionner cet étonnant pouvoir sur la vie (fécondation artificielle, bébé éprouvette, manipulation génétique) mais aussi sur la mort 7 (euthanasie qui pose la question du sens de la vie et du rôle de la souffrance) conduit la création une bio-éthique comme le dit F.-A Isambert. Et que dire des questions religieuses que soulèvent le droit la mort douce auto-délivrance la greffe organes et la transfusion sanguine auxquelles opposent encore vigoureusement certaines religions ? Et que penser des techniques nouvelles qui nous promettent immortalité pour demain telle la cryogénisation ? Ou des rituels de « guérison » qui exaltent les forces pulsionnelles issues de l’inconscient et qui s’expriment par des gestes des postures, des caresses ou des massages, sans oublier le cri primal (bio-énergie, Gestalt-theorie) le sacré n’est pas seulement ce qui élève comme on souvent dit mais aussi ce qui émane des profondeurs. » (Thomas, 1982 : 169) Les questions que soulève ce colloque sont donc variées et couvrent de nombreux domaines parmi lesquels le contenu religieux ou l’existence au sein de la pratique médicale et son emploi de symbole et de procédure proche du religieux (ou appartenant au religieux) occupent une place non négligeable.

Un autre colloque sera organisé en 1983 par le Centre de Sociologie du Protestantisme sur les « changements survenus dans l’exercice du métier de prêtre, de pasteur et de rabbin » (Vincent, 1985 :7). Dans ce cadre, la délivrance des conseils de santé aux fidèles ainsi que le rôle de ces clercs dans leur santé constitue un étalon de mesure de la crise institutionnelle de légitimité et de charisme de ces clercs. Les communiquants étaient, cette fois, tous sociologues des religions, parmi lesquels on compte J. Maître, J.-P. Willaime, J. Gutwirth et J. Baubérot. Les actes du colloque édité en 1985 comportent une post-face de P. Bourdieu résumée par D. Hervieu-Léger :

« Le champ religieux se trouve aujourd’hui confronté aux prétentions d’autres champs orientés vers la cure des âmes et des corps, champs qui conquièrent, pour partie au moins, leur propre ressort normatif en gagnant sur le sien, à l’intérieur du champ plus large de la manipulation symbolique. L’effritement de la frontière du champ religieux apparaît dans cette perspective, comme une retombée du processus en cours de redéfinition de la division (historiquement constituée) de l’âme et du corps, et de la division corrélative (et tout aussi historique) du travail de la cure des âmes et des corps. » (Hervieu-Léger, 1987 : 308)

Ces deux premiers colloques mettent donc, là encore, en évidence la porosité des frontières du sacré et du médical. Les différents contributeurs posent l’existence de composantes religieuses contenues dans les thérapies scientifiques, à leurs marges ainsi que les recompositions territoriales du religieux rendues nécessaires par, justement, la prégnance croissante de l’intérêt pour la santé et la multiplicité des acteurs qui y interviennent. Cependant, les questions posées et les remarques formulées durant ces deux colloques ne déboucheront pas sur des analyses approfondies dans les années ultérieures. Il est probable que les sociologues du religieux aient été occupés à se doter de nouveaux outils pour penser la contemporanéité religieuse comme le laisse entendre L.-V. Thomas (1982 : 167). Par ailleurs, on sait que l’anthropologie de la maladie était en train de se constituer, de définir ses objets et ses méthodes, si bien que la question de l’infiltration de la composante sacrée dans la thérapeutique médicale scientifique officielle n’a, que peu, été reprise par les sociologues et

les anthropologues de la santé en France, nous y reviendrons dans la prochaine section. Les remarques, pistes de recherches et questions auxquelles ces colloques ont abouti, feront essentiellement l’objet d’articles (Maître, 1987, 1993, 1995 ; Bégot, 1997, 1998a, 1998b) et d’un ouvrage (Dericquebourg 1988) dans les années suivantes.

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