• Aucun résultat trouvé

P REMIERE PARTIE

II. Le christianisme éthiopien

II.4. L’Eglise et la modernité

Les racines de la profonde transformation de l’Eglise éthiopienne se logent dans l’Ere des Juges ou Zämänä Mäsafent. De la deuxième moitié du XVIIIe s. au milieu du XIXe siècle, l’Ethiopie connaît une période que les historiens considèrent comme critique. Le pouvoir royal salomonien est décomposé, les princes locaux se battant pour assurer le contrôle de chaque portion du territoire. Durant cette ère, l’unité de l’Eglise est fortement ébranlée, mais des chemins tortueux, fait d’alliances et de stratégie de clan au sein de l’Eglise, aboutirent au renforcement et à l’affirmation de la position du Métropolite et de l’Episcopat, à la fin des troubles marqué par le couronnement de Tewodros II (Ancel, 2006 : 63). Tewodros II tenta de réformer l’Eglise et notamment de se réapproprier une partie de ses terres, mais il se heurta au conservatisme des clercs (Stoffregen-Pedersen, 1990 : 25) et ses velléités de modernisation moururent avec lui. Les monarques suivant, Yohannes IV puis Ménélik II eurent des positions

plus ambivalentes face à ce pouvoir épiscopal. Yohannes IV écarta l’Abuna du pouvoir qu’il fonda sur les réseaux monastiques, il multiplia également la charge épiscopale en demandant au Patriarcat d’Alexandrie de lui envoyer quatre évêques (Ancel, 2006 : 103-110). La politique de Ménélik II, fut celle d’un quasi-retour à la tradition, mais dans le même temps, il fît de l’Abuna son représentant à l’étranger pour la concession éthiopienne de Jérusalem (ibid : 120).

II.4.a. Hailé Selassié, vers l’autocéphalie et la nouvelle administration ecclésiale

C’est sous le règne d’Hailé Selassié que l’Episcopat acquit sa stature et son organisation actuelle, du moins dans ses grandes lignes (Ancel, 2006). A partir de 1926, soit durant sa régence sous le titre de ras Täfari (1917-1928), Hailé Selassié (r.1930-1974) mit en place une série de réforme visant à centraliser tant le pouvoir politique que le pouvoir religieux afin de se doter d’un interlocuteur ecclésiastique unique. Ce processus ne s’achèvera qu’en 1951. Après 27 ans de négociations, interrompues notamment par l’invasion italienne, entre 1936 et 1941, il obtint l’ordination du premier archevêque Métropolite d’Ethiopie doté du pouvoir de consacrer des évêques (Ancel, 2006 : 158-159). Parallèlement la désaffection des fidèles envers l’Eglise copte tutélaire, doublée de la nécessitée d’asseoir l’indépendance de l’Ethiopie face à une Egypte sous protectorat britannique conduisirent Hailé Selassié à entamer les négociations en vue du dégagement de la tutelle égyptienne et de l’acquisition de l’autocéphalie. Le Patriarcat d’Alexandrie refusa d’abord, mais au début des années 1950, la révolution nassérienne et une crise institutionnelle de l’Eglise copte bouleversèrent les équilibres. En 1959, les négociations aboutirent à l’ordination d’un patriarche éthiopien lui conférant les mêmes prérogatives que son homologue égyptien. Toutefois, il fut établit que le patriarche éthiopien serait consacré par celui d’Alexandrie, maintenant la supériorité spirituelle du Patriarcat d’Alexandrie (Ficquet, Ancel, 2007 :195).

En même temps que naissait et se consolidait un Episcopat proprement éthiopien et centralisé, le saint synode éthiopien poursuivit les réformes administratives de l’Eglise. En 1926, avait été créé un organe administratif central chargé des questions fiscales. En 1942, cet organe établissait un impôt sur les terres de chaque paroisse, et soumettait celles-ci à un « conseil ecclésiastique central » limitant ainsi « considérablement l’autonomie financière des églises et des monastères » et « subordonnant la nomination des prêtres au contrôle de ce conseil » (Ficquet, Ancel, 2007 : 196). Au début des années 1970, le nouvel Abuna Téwoflos, s’attacha à aboutir la centralisation et à mettre en place une nouvelle administration religieuse. La paroisse devient, dès lors, le premier maillon d’une chaîne hiérarchique. Les conseils de paroisse sont constitués « à part égale des prêtres et des laïcs élus par le clergé et les paroissiens ». Chargés de l’administration et de la fiscalité des paroisses « ces conseils formaient le premier niveau d’une administration pyramidale liant toutes les églises du pays au patriarcat » (Ficquet, Ancel, 2007 : 196). Un ensemble de paroisses étaient placées sous l’autorité d’un diocèse, les transactions foncières (des biens appartenant aux paroisses) et les budgets préparés par les conseils de paroisses devaient être soumis au diocèse (Ancel, 2006 : 209) lequel était sous la direction des évêques nommés par le pouvoir central, le Patriarcat. Jusqu’alors, les évêques n’avaient ni autorité juridique, ni doctrinale sur les paroisses :

« Le rôle de l’évêque se limitait en la “déconcentration” des pouvoirs qu’avaient assumé avant eux le métropolite égyptien, à savoir l’ordination des prêtres et des diacres, ainsi que la consécration des églises. […]

Avec le décret de 1972, l’évêque se trouva au centre de la gestion spirituelle et séculière des paroisses de son diocèse. […]

La justification de la mise en place de cette administration était le développement de l’éducation et de la foi dans les régions, ainsi que l’établissement d’une gestion harmonieuse des biens séculiers de l’Église. Le dispositif administratif ainsi mis en place avait pour caractéristique d’instituer la représentation à chaque échelon du clergé et des fidèles. Tout en permettant la promotion de toutes ses initiatives, le Patriarcat jouait la carte de la consultation, légitimant ainsi sa mainmise à tous les niveaux administratifs. » (Ancel, 2006 : 210).

La réforme administrative de l’Eglise constitua donc un changement fondamental pour non seulement la gestion de l’Eglise, mais également dans les rapports entre les diverses composantes de l’Eglise. Pour la première fois dans l’histoire de l’Ethiopie, une forme très aboutie de rationalisation de l’Eglise, et d’implication des laïcs dans la vie religieuse était en marche et initiée par un Episcopat doté désormais de pouvoirs étendus. Pour une Eglise dont le centre n’avait jusqu’ici que peu de poids et qui était fortement décentralisée avec une influence considérable des monastères, cette évolution marque un changement sans précédent. Cependant, le därg prendra des mesures qui transformeront encore l’Eglise.

II.4.b. La séparation Eglise-Etat et l’expropriation foncière de l’Eglise : fin de la modernité religieuse

La révolution éthiopienne et l’arrivée au pouvoir de la junte militaro-communiste impulsèrent encore un nouveau changement. En août 1974, le gouvernement du därg proclama la séparation entre l’Eglise et l’Etat, le christianisme éthiopien perdait son statut d’Eglise nationale et de religion officielle de l’Ethiopie, la religion étant désormais une affaire privée. L’Eglise réagit en « une requête polie » (Ancel 2006 : 231) et prudente quant à la place de l’Eglise au sein de cette révolution qu’elle ni ne critiquait ni ne remettait en cause. Mais le coup le plus sérieux fut porté quelques mois plus tard quand l’Etat repris possession des terres de l’Eglise :

« Le därg porta son coup le plus sévère au fondement séculier de l’Église. Le 4 mars 1975 fut proclamée la nationalisation de l’ensemble des terres en milieu rural et la formation des associations de paysans. La réforme agraire fut complétée le 26 juillet 1975 par la nationalisation des terres urbaines. L’Église perdait de fait l’ensemble de ses droits sur la terre. » (Ancel, 2006 : 232)

L’Eglise était dès lors amputée d’une grande partie de ses revenus issus de l’usufruit de ses propriétés foncières mais elle persévéra dans son attitude conciliante et tenta de conjuguer son enseignement religieux avec le socialisme (ibid : 233) ; ce qui n’empêcha pas le gouvernement de dénoncer l’Abuna comme un traître à l’Eglise l’accusant de « s’être enrichi alors que des milliers d’Éthiopiens mourraient de faim » (ibid : 234). Il fut déposé quelques mois plus tard et un nouveau Patriarche, en partie désigné par le pouvoir séculier en place, mené par Mengestu Hailé Mariam prit sa place. Un moine ascétique et missionnaire du Sidamo, que nul ne connaissait et dépourvu de formation théologique fut élu, permettant à

l’Eglise de contrecarrer les accusations de corruptions et à l’Etat d’avoir un moine désintéressé des questions politiques à la tête d’une institution qu’elle entendait contrôler. Il prit le nom de Täklä Haymanot, soit celui d’un des principaux saints éthiopiens, et fut surnommé l’ « évêque aux pieds nus ». Cette élection et nomination sans ordination par l’Eglise copte achevèrent de rompre cet antique lien sororal.

II.4.c. L’établissement des conseils de paroisses et gestion financière de l’Eglise : une entrée dans l’ère contemporaine

Privée de ses revenus fonciers, l’administration centrale de l’Eglise était financée par le

därg, qui prouvait ainsi qu’il ne cherchait pas remettre en cause son existence, mais à la

contrôler (Bonacci, 2002 ; Ancel, 2006 : 257-258). Pour payer son clergé paroissial, l’Eglise mit les fidèles à contribution dans le cadre des conseils de Paroisses. Une cotisation mensuelle des paroissiens était fixée, les autres sources de financements étaient les dons en l’honneur d’un saint, les aumônes ainsi que « les dons en tout genre, les collectes faites à l’occasion des fêtes religieuses » (Ancel, 2006 : 258). L’argent collecté devait assurer un revenu local que chaque conseil de paroisse devait gérer. Ce budget devait permettre d’assurer les salaires du clergé paroissial, ainsi que le fonctionnement administratif de l’Eglise, une partie des recettes devant être reversées aux organes administratifs supérieurs (diocèse, saint synode et autres) (ibid: 258-259). La rationalisation de l’Eglise avait donc été en partie accélérée par une perte de revenus conséquente.

Enfin, le Patriarcat mit en place à partir de 1973 un système d’enseignement du dimanche pour les jeunes. Traditionnellement, l’école religieuse et le catéchisme étaient délivrés par les prêtres et däbtära aux enfants jusqu’à l’âge de 7 ans, puis le prêtre confesseur ou de famille professait vis-à-vis des adultes un enseignement religieux individualisé à chaque fidèle. L’école du dimanche apparut au milieu des années 1970 et fut développée dans les années 1980 (Ancel, 2006 : 373). Quoique les enseignements fussent délivrés dans le cadre paroissial, les écoles du dimanche étaient des entités séparées et distinctes des conseils des paroisses (Ancel, 2006 : 375). Le Patriarcat développa un programme d’enseignement qui lui permit d’homogénéiser la foi et le catéchisme, d’abord dans plusieurs diocèses puis de manière plus systématique à partir de la fin des années 1990. Le mahebärä qedusan, une association d’étudiants, soit un mouvement laïc né au début des années 1990 juste après la chute du därg, est placé sous l’autorité du patriarcat ; elle est chargée de répandre sa pastorale auprès des jeunes et des étudiants (ibid : 377-381).

II.4.d. L’Eglise contemporaine

Ces remaniements et réformes d’envergure eurent deux conséquences majeures qui marquent l’entrée de l’EOTC dans l’ère contemporaine. La première était que le Patriarcat se dotait pour la première fois de son histoire d’un appareillage lui permettant de contrôler la religiosité des fidèles. En effet, les fidèles étaient jusqu’alors libres de se rendre à l’église de leur choix selon les affinités spirituelles. La création et la structuration des conseils de paroisse rendent compte de la volonté d’organiser rationnellement l’Eglise et d’en faire un réseau structuré et pyramidal ayant à sa tête le Patriarcat. Cette organisation attacha les fidèles

à une paroisse en particulier. En effet, la rationalisation du budget de chaque paroisse permettait de payer le salaire des clercs, et d’entretenir plus généralement la vie de l’Eglise désormais structurée en paroisses, diocèses et le Patriarcat. En échange de leurs contributions sous forme de dons à l’Eglise et du paiement mensuel régulier de la cotisation religieuse, les fidèles de chaque paroisse ont accès gratuitement aux services liturgiques et sacramentels, comme le baptême et les funérailles. Ceux-ci sont alors payant pour les autres (soit les membres extérieurs à la paroisse) et les non-cotisants. Or, les frais de funérailles sont assez élevés. Le développement des edder, des associations s’unissant pour payer justement les frais d’enterrement des défunts témoigne, comme le note S. Ancel (2006 : 336), de la crainte des Ethiopiens de ne pouvoir s’occuper dignement de leurs morts. Une autre conséquence de ces transformations est l’apparition de multiples associations religieuses laïques ou liens communautaires de fondement religieux, en outre le « mahhbâr et le sänbäté » (ibid : 323- 325) qui sont des associations ayant pour but la commémoration d’un saint (ibidem). Elles permettent de tisser des liens de solidarités religieuses fortes, et d’asseoir, voire d’institutionaliser, la participation accrue des fidèles à la vie religieuse des paroisses. Cependant, il importe de rester mesuré à l’égard de l’implication des laïcs aux conseils de paroisse, car dans les paroisses, la hiérarchie locale est souvent reproduite au sein des conseils ecclésiaux, et le clergé garde la mainmise dans de nombreux cas.

III. Les principaux dogmes et doctrines de l’Eglise : quelques aspects de la religiosité

Outline

Documents relatifs