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P REMIERE PARTIE

II. Le christianisme éthiopien

II.3 Une brève histoire de l’EOTC

On considère la conversion au IVe siècle du roi axoumite Ezana au christianisme comme marquant le début de l’histoire de l’Eglise éthiopienne.

Les historiens ont établi l’arrivée en Ethiopie de deux frères Syriens (Fiquet, Ancel : 2007) Frumentius et Aedesius, qui devinrent des personnages importants de la cour. Ils eurent la charge de l’éducation du jeune prince Ezana. Après son couronnement, Frumentius se rendit à Alexandrie où il fût ordonné premier Patriarche de l’Eglise éthiopienne par le Pope d’Alexandrie, Athanase (appelé ultérieurement, Saint Athanase). Suite à son ordination, Frumentius appelé par les Ethiopiens Abba Salama rentra en Ethiopie et prêcha dans tout le pays. Durant les seize siècles suivant, le patriarche de l’Eglise éthiopienne, l’Abuna qui signifie « notre père », sera un Egyptien consacré par le métropolite égyptien. C’est donc d’abord par le haut et par des moines que le christianisme fut introduit en Ethiopie.

II.3.a. Une christianisation précoce de l’Ethiopie

Toutefois, l’expansion du christianisme sous le règne de Ezana, quoique rapide et important, se limita à la cour et aux routes commerçantes.

« L’absence d’un clergé formé et d’ouvrages en ge’ez ont été les principaux obstacles à l’expansion de l’Eglise » (Kaplan, 1984 : 16).

A la fin du Ve siècle, deux groupes de missionnaires syriens, les S’adqan et les Neuf Saints arrivèrent en Ethiopie et achevèrent la conversion du pays. « Les Neuf Saints fondèrent une

série de communautés monastiques dans la province du Tigré. » (Kaplan, 1984 : 17) A ce titre, ils sont considérés comme ayant introduit le monachisme et la règle monastique en Ethiopie et on leur attribue la fondation de monastères éthiopiens parmi les plus célèbres. Le deuxième groupe de moines, les S’adqan, sont descendus dans une région alors appelée Shemäzana. L’un de ces personnages, Abba Libanos restera célèbre en tant que fondateur de l’Eglise de Däbrä Libanos qui aura au XIIIe s. une importance considérable. On lui doit également la traduction de l’Evangile selon Saint Matthieu (Kaplan, 1984 : 17). Au VIe siècle, sous le règne de l’empereur Gäbré Mäsqäl qui lui-même participa à la diffusion de la doctrine chrétienne, est composée la musique liturgique éthiopienne, par Saint Yared. Ainsi, à la fin de ce siècle, la christianisation du royaume lui permit d’affronter la chute d’Axoum et l’expansion de l’Islam.

On peut considérer qu’à partir de cette date, au-delà des aléas, des reculs suivis d’avancées de la christianisation, ou inversement, l’Ethiopie est et demeurera profondément attachée à sa foi chrétienne propre, à tel point que les Ethiopiens eux-mêmes se soulevèrent pour réclamer le départ des Jésuites portugais et la destitution du roi converti au catholicisme au XVIIe siècle.

II.3.b. Des moines et des rois aux fondements du christianisme éthiopien

Sous l’ère des Zagwe (1140-1270), rappelons que le territoire s’étend autour des régions du Lasta, de l’Amhara et du Tigré, et l’Eglise connaît un essor certain. Suit, le Moyen Age éthiopien qui est inauguré par la refondation de la dynastie salomonienne, dont l’accès au trône était légitimé par le Kebrä Nägast49

soit “La gloire des rois”, au XIIIe siècle. Cette période s’étend jusqu’au XVIe siècle, et est riche en remaniement. Lors de l’accession au trône de Yekunno Amlak (r.1270-1285) réputé d’ascendance salomonienne, l’espace occupé par les Ethiopiens se réduit au Tigré (Taddesse Tamrat, 1972 : 72-73). Durant la première moitié du XIVe, le souverain Amdä S’eyon (r.1285-1294) étendra le territoire et selon l’expression P. Marrassini emploiera le sceptre et la croix pour conquérir et affirmer la présence éthiopienne chrétienne sur ces territoires (1993). Les souverains suivant agiront de même, cherchant dès lors à étendre leur royaume et à le contrôler, M.-L. Derat (2003) montre qu’ils

« Se sont efforcés de construire le domaine royal dans l’Amh’ära et le Säwa, en s’appuyant sur deux types de réseaux monastiques : des réseaux que l’on pourrait qualifier d’indépendant, avec lesquels les souverains s’associent pour contrôler l’espace, et un réseau forgé par les souverains eux-mêmes, à partir de leurs propres fondations religieuses, érigés en réseau de pouvoir. » (2003 : 8)

L’auteure rappelle que l’alliance royale conférait à ces réseaux monastiques indépendants une aisance matérielle non négligeable, ainsi que de nombreux privilèges au sein du monachisme et à la cour royale. Deux monastères, Däbrä H’ayq et Däbrä Abso, incarnés par « deux figures fameuses du monachisme éthiopien, deux saints » joueront un rôle de premier plan : Iyäsus Mo ‘a et Täklä Haymanot (Derat, 2003 : 87). L’alliance est basée entre autres sur le don de terre aux moines dont ils tirent leur subsistance, les rendant de ce fait dépendant du pouvoir

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Voir chapitre 2 section 1. Pour rappel, ce récit fait de Ménélik I, fils du roi Salomon et de la reine de Saba le fondateur de la dynastie, et l’authentique souverain du pays

royal. Ces deux saints, Iyäsus Mo ‘a et Täklä Haymanot ont eu par la suite, de nombreux fils spirituels qui eux-mêmes fondèrent d’autres monastères étendant ainsi le réseau monastique royal.

Cependant, des tensions naissent au sein de ces alliances durant cette période. En effet, si la communauté de Däbrä H’ayq, s’est très tôt faite l’alliée du pouvoir royal, celle de Däbrä Abso fondée par Täklä Haymanot, tenta de conserver son indépendance. Ces tensions ont été récurrentes dans l’histoire éthiopienne, notamment au XVIIe et XVIIIe siècles (Freuchet, 1996). Elles émergent entre les réseaux monastiques indépendants et les souverains d’une part, mais également entre réseaux monastiques selon leur degré d’attachement ou d’indépendance au pouvoir royal. Ces dissensions rendent compte de la difficulté d’établir et de maintenir un équilibre entre gloire temporelle, reflet de la puissance monastique, et la vocation intrinsèquement spirituelle des moines.

La récurrence du modèle de l’ascèse extra-mondaine, parmi la multiplicité des hagiographies, ou des vies de saints – appelées gäld en ge’ez – composées par les moines rend compte de la prégnance de cet idéal monastique. Peu (voire aucun) d’hommes peuvent prétendre à la sainteté sans être passés par cette période d’ascèse très stricte, condition nécessaire, mais non suffisante, permettant d’établir un lien intime et direct avec le divin. Taddesse Tamrat note que

« Les traditions hagiographiques autour d’un saint local comportent généralement quatre parties principales :

(a) l’histoire de sa vie, son œuvre évangélique ou son aspiration monastique dans un ermitage isolé

(b) le Kidan, ou pacte, qu’il reçoit de Dieu en récompense de son dévouement. Ce pacte établit que ce saint reçoit le pardon divin pour les péchés de quiconque priera, sera charitable envers les pauvres et à l’Eglise en son nom

(c) les miracles qui lui sont attribués in vitaem et post mortem

(d) son Mälk, ou les courts hymnes composés en l’honneur de sa sainte vie. » (1972 :2- 3)

S. Kaplan (1984) s’est attaché à montrer que la figure du moine remplit des rôles très variés et nécessaires tant de la vie courante, que de l’extra-quotidienneté. Le moine peut être un abbé, chef d’un courant monastique ou d’un monastère, mais il peut aussi s’investir dans les affaires de la cour royale, ainsi que dans les activités miliaires. Auprès des fidèles et dans la religiosité éthiopienne « courante », il est un exorciste, un étranger capable d’arbitrer des conflits, un ange, un guérisseur, enfin, il est capable d’apprivoiser (voire de domestiquer) des lions. Les moines jouissent donc d’un prestige qu’aucun prêtre, de part son attachement au pouvoir temporel et à sa vie nécessairement « mondaine », ne peut se targuer d’avoir. Cette préférence est toujours d’actualité. Les prêtres sont certes respectés, mais les moines de part leur ascèse, leur éloignement du monde, le contrôle d’eux-mêmes qu’ils s’imposent et leur orientation spirituelle, bénéficient d’une aura, d’un charisme qui leur confèrent un ascendant sur les fidèles et les prêtres qui n’a guère perdu de sa puissance. Ces moines sont, selon les catégories wébériennes, des virtuoses du religieux (1996 : 359).

« Au départ même de toute l’histoire des religions nous trouvons un fait d’expérience important : la qualification50 religieuse inégale des hommes. […] Les biens de salut

religieux ayant la plus grande valeur […] n’étaient pas à la portée de chacun ; leur possession était un charisme qui pouvait être éveillé chez certaines personnes, mais non chez toutes. Il en est résulté la tendance de toute religiosité intensive à se structurer par

corps correspondant aux différences de qualification charismatique. Une religiosité de

“virtuose” (ou de “héros”) s’est opposée ainsi à une religiosité de “masse”» (ibid : 358- 359).

Pour M. Weber, la religiosité de « masse » n’est pas un terme péjoratif, et ne comporte aucun jugement, elle s’applique à « ceux qui n’ont pas l’“oreille musicale” pour la religion » (1996 : 359). Les communautés monastiques, et les moines sont spécifiquement « les porteurs d’une religiosité de virtuose » (ibidem). Le christianisme éthiopien n’échappe donc pas à la règle, les plus qualifiés religieusement sont ces personnages, ce corps. Et les fidèles leurs reconnaissent pleinement ce charisme de virtuose. A ce titre, ils jouent un rôle particulier dans la cure d’eau bénite. Il existe en Ethiopie une grande variété de forme de monachisme (Stoffrengen-Pedersen, 1990) et tous ne remplissent pas les mêmes rôles. Certains moines, incarnant une forme « pure » ou extrême de religiosité de virtuose, n’ont que peu de contact avec les fidèles, représentant la religiosité de masse, d’autres au contraire, voient leurs charismes de virtuose ou de héros tourné vers les fidèles, nous y reviendrons longuement dans le chapitre 9.

II.3.c. Une caste de prêtres peu instruits

Cette primauté du moine sur le prêtre tient également à d’autres éléments, au premier rang desquels se trouve la prégnance de l’idéal ascétique dans le christianisme éthiopien, conséquence des conceptions religieuses éthiopiennes quant aux interactions entre les réalités naturelles et surnaturelles, nous y reviendrons. Il semble qu’une autre cause soit à l’origine de la suprématie du moine sur le prêtre. De nombreux auteurs, historiens pour la plupart, ont mis l’accent sur la faible qualification du clergé séculier, (soit les prêtres). En effet, la dépendance de l’Eglise éthiopienne au Patriarcat d’Alexandrie pour la nomination de l’évêque métropolite eu de nombreuses conséquences. Au-delà du fait que les métropolites aient rarement été de véritable leader (Kaplan, 1984 : 29), le processus de demande d’un nouvel Abuna au Patriacat Copte pouvait prendre des mois voire plusieurs décennies laissant l’Ethiopie sans chef spirituel capable d’ordonner prêtres et diacres. S. Kaplan en tire les conclusions suivantes :

« Ce manque perpétuel de prêtre joua probablement un rôle de premier plan dans le développement d’une caste de prêtres dotés d’une éducation strictement minimale. Dans le but d’anticiper ce déficit de prêtres qui pouvaient suivre l’absence d’un Abunä, de jeunes enfants ont été à cette période ordonnés prêtres et diacres (Alvarez, 1961 : 350- 5). Incidemment, la sélection et l’élévation au rang de prêtre n’étaient généralement pas basées sur le niveau de connaissance ou encore la piété, mais plutôt sur une tradition familiale de prêtrise. Cette classe sacerdotale héréditaire […] jouissait d’un statut spécial dans la société incluant ainsi la limitation de leur immunité dans leur relation avec les autorités civiles (Conti Rossini, 1905 : 9). Dans la société médiévale éthiopienne hautement hiérarchisée, le statut des prêtres suivait en prestige celui des seigneurs locaux. En effet, les mariages entre les prêtres et les familles nobles semblent avoir été très fréquent (ibid : 5 ; 67) [… ] En général, les aspirants [à la prêtrise] apprenaient uniquement à réciter quelques prières, à chanter divers hymnes ainsi qu’à lire certains passages de la Bible. » (Kaplan, 1984 : 30-31)

Dans ces conditions, les moines passant de longues heures en prière, menant une vie d’ascète stricte, formés dans les monastères les plus réputés du pays, jouissaient d’une aura bien supérieure à celle des prêtres, à la limite de la vie séculière et plus proches des nobles que de la communauté des chrétiens.

Ainsi, l’Eglise éthiopienne est-elle une église de moines. Des sommets de la hiérarchie aux plus bas échelons, c’est le clergé régulier, qui joue le rôle principal, tant dans les relations avec le Roi des rois, que dans la confrontation avec lui ou pour le maintien de l’indépendance des communautés monastiques. C’est également les moines qui ont converti et évangélisé les nouveaux territoires, et affirmé par leur présence la suprématie du christianisme. S. Ancel résume les positions de chacune des figures de l’Eglise Ethiopienne ainsi :

« La structure fortement décentralisée de l’Église éthiopienne ne permettait pas aux uns et aux autres de s’imposer comme dirigeants omnipotents. L’équilibre entre un métropolite, dont la principale fonction était sacramentelle, un souverain, qui était le principal garant de la foi de son pays, et un monachisme éthiopien qui assumait la pastorale, s’établit durant la période médiévale jusqu’au début de XIXème siècle, non sans tensions et ruptures. » (2006 : 16)

Par ailleurs, les souverains pour s’attacher le soutien d’une communauté monastique leur octroyaient des terres, si bien que les possessions foncières de l’Eglise et des monastères, ont pu être très conséquentes. Cette mainmise de l’Eglise sur la terre a généré chez les paysans une telle frustration que l’expropriation de l’Eglise Ethiopienne et la nationalisation de la terre par le därg, en 1975 (Bonacci, 2002 ; Ancel, 2006), suscitèrent la liesse populaire (Markasis, Nega Ayele, 1978 : 160), témoignant de l’ampleur du joug religieux.

Si la terre a pu être reprise à l’Eglise à cette date, des gouvernements précédents s’essayèrent à la redistribution foncière, mais durent reculer devant le conservatisme du clergé (Stoffregen- Pedersen, 1990 ; Ancel, 2006). La modernité (Pankhurst, 2001) en Ethiopie, débute en 1855 avec le règne de Tewodros II, elle coïncide avec la centralisation de l’Etat. Durant cette période, et dans un mouvement parallèle à cette centralisation étatique, l’Eglise jusqu’alors décentralisée, sans centre hiérarchique incarné par un Episcopat, se dote d’une administration répercutant ses décisions.

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