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Les jeunes femmes en milieu urbain de la virginité à la prostitution : entre réalité et discours.

Morale religieuse et morale sanitaire

IV. Les pratiques modernes et les normes actuelles en matière de sexualité

IV.2 Les jeunes femmes en milieu urbain de la virginité à la prostitution : entre réalité et discours.

Certains auteurs rapportent que les jeunes hommes considèrent que la virginité a disparue (Getnet Tadele, 2006). Toutefois, les chiffres du DHSE édité en 2006, rendent compte d’une permanence de l’entrée dans le mariage pour les femmes en étant vierge, l’âge du premier rapport coïncidant avec celui du premier mariage (2005 : 77).

IV.2.a. La virginité, une valeur encore prégnante d’après les études quantitatives.

Parmi les femmes entre 25 et 49 ans, 66% se sont mariées à 18 ans et 79% à 20 ans. On observe également une élévation de l’âge du mariage. En effet, 38% des femmes entre 45 et 49 ans étaient mariées à l’âge de 15 ans, aujourd’hui, les 15-19 ans ne sont que 13% à être mariées à 15 ans. Pour la tranche des 20-24 ans, l’âge médian du mariage est de 18 ans. Ce qui montre une évolution sensible de l’âge du mariage chez les jeunes générations (DHSE 2005 : 77). Par contre, pour les hommes, on n’observe pas d’évolution majeure entre les différentes classes d’âge. L’âge médian du mariage est de six ans plus tardif que les femmes puisqu’il est de 24 ans pour les 25-29 ans et de 25 ans pour les 50-59 ans (DHSE 2005 : 79).

Les données du dernier CSA DHS éthiopien paru révèlent que l’âge du premier rapport sexuel correspond, pour les femmes à l’âge du mariage soit pour la tranche des 25-49 ans à 16 ans (DHSE, 2005 : 77). Pour les hommes, il existe un écart entre l’âge du premier rapport et l’âge du mariage. En effet, l’âge médian du premier rapport est pour la tranche, 25 et 59 ans, de 21 ans (DHSE, 2005 : 79). L’âge du mariage est quant à lui de 24 ans, ce qui dégage une période de trois années de rapports sexuels pré-maritaux possibles sinon probables. On observe donc une légère tendance à une entrée plus tardive dans le mariage pour les femmes et une permanence pour les hommes. Ainsi, la question des relations sexuelles pré-maritales paraît, d’après les enquêtes statistiques, n’avoir que peu évolué pour les jeunes femmes, tandis que comme nous l’avons vu, elles étaient si ce n’est clairement encouragées du moins plus que tolérées pour les hommes.

Bien que les données quantitatives ne montrent pas de différence notable pour les jeunes femmes, nos propres observations en milieu urbain et les divers documents consultés rendent compte de l’apparition et du développement des relations pré-maritales pour les jeunes femmes. En effet, ces observations corroborent un point mis en lumière par Getnet Tadele (2006) : la virginité des jeunes femmes à leur mariage a perdu de son impératif. Parmi toutes les jeunes femmes qu’il nous a été donné de rencontrer lors de nos différents séjours en Ethiopie, seules quelques unes disaient clairement désirer se garder ou être vierges le jour de leur mariage ou de leur fiançailles. La plupart d’entre elles avaient déjà eu des compagnons ou étaient en couple. Il nous semble que la situation est hétérogène et que là encore, le silence et la pudeur constituent des barrières dans l’appréhension de l’importance de cette valeur pour les femmes.

Plusieurs auteurs notent l’existence et la multiplicité des relations sexuelles trans- générationnelles en milieu urbain principalement. Ces mêmes auteurs prouvent qu’en ce milieu, la virginité des jeunes filles à leur mariage a désormais un poids moindre (Miz-Hasab Research Center, 2005 ; Betemariam Wuleta 2002 ; Getnet Tadele 2006) : « presque tous les lycéens à Dessié envisagent les relations sexuelles pré-maritales comme inévitables »86

(Getnet Tadele, 2006 :233). Il est donc délicat de se prononcer sur l’étendue des relations pré-maritales pour les femmes.

IV.2.b. Des discours stigmatisant

Toutefois, il apparaît que les discours des hommes, jeunes et adultes, et des femmes en milieu rural tendent à montrer du doigt les pratiques des jeunes urbaines dont les mœurs seraient plus « libres ». Cette évolution n’est pas sans faire écho au processus de « banalisation de la sexualité » dont les principales responsables d’après une frange certaine de la population seraient les femmes. Comme le note Getnet Tadele (2006), les relations au sein des jeunes générations (20-35 ans) sont marquées par la défiance mutuelle. Les hommes se méfient des femmes et leur reprochent leurs mensonges et leur duplicité. Inversement, les femmes critiquent l’incapacité des hommes à devenir modernes, à les respecter et à “être sérieux” c’est-à-dire à n’avoir qu’une relation et à se marier. Les hommes sont très prolixes

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quant aux comportements des femmes. D’après plusieurs d’entre eux, toutes les jeunes femmes en milieu urbain sont des prostituées potentielles ou assimilées. Elles profiteraient des hommes pour obtenir ce qu’elles veulent, surtout de l’argent ou des cadeaux, et leur mentent en ayant des relations avec d’autres hommes :

« Il y a deux types de filles, deux types de prostituées, les « légales » que les hommes vont voir car elles ne demandent de l’argent qu’une fois, elles sont dans les bar, les hôtels. Les autres prostituées sont les « indoors » girls. Elles vivent chez leurs parents. Les hommes riches les recherchent comme elles les cherchent aussi pour obtenir de l’argent et des cadeaux. Quant aux hommes, ils préfèrent les prostituées, car pour avoir une copine, il faut avoir de l’argent. Les filles attendent des cadeaux, il faut les emmener en vacances. Il faut avoir beaucoup d’argent pour cela. Avec les prostituées, on utilise la capote, on ne paye qu’une fois, alors qu’avec les « indoors » girls pas forcément car elles ne sont pas séropositives. Donc on risque encore plus d’être contaminé. » (Häylé, 29 ans, assistant de recherche, janv. 2008)

Les jeunes urbaines sont opposées aux jeunes femmes en milieu rural qui elles sont innocentes :

« 85 % des jeunes femmes sont des menteuses, et seules 5 % d’entres elles sont des filles bien, et souvent elles vivent à la campagne, car là-bas elles sont innocentes. J’avais une amie avant, je lui disais qu’elle devait prendre sa vie en main, ne pas toujours compter sur moi, mais elle attendait que je lui paie tout. Elle me disait je t’aime, mais je sais maintenant qu’elle avait disait la même chose à un autre homme et que sur son lieu de travail, elle mangeait avec un autre homme avec qui elle avait des relations. » (Ashenafi, 32 ans, employé d’une agence de tourisme, mars 2008)

Cette conception est d’ailleurs partagée par des femmes en milieu rural qui tiennent les jeunes urbaines pour sinon responsables du moins ayant fortement contribué à la diffusion de l’épidémie, assimilant plus ou moins généralement, de la même manière que les jeunes hommes, les jeunes femmes à des prostituées.

« Le pire blâme et autres formes de stigmatisation sont réservés aux femmes tenues pour responsables du VIH, accusées de comportements sexuels « impropres » et immoraux. Par exemple, les femmes qui s’habillent de façon impudique, particulièrement les urbaines, jeunes et mobiles sont fortement désapprouvées comme l’illustre cette citation d’une rurale éthiopienne : « je ne me sens pas désolée pour ces jeunes filles des villes si elles meurent toutes de cette maladie, tant qu’elles vont ça et là. » De telles « mauvaises » filles sont considérées comme n’ayant pas de honte et tentent les hommes alors considérés comme des victimes. » (Nyblade, Pande, 2003 : 26)

Enfin, bien que la virginité en milieu urbain ait perdu de son importance, certains hommes disent s’“amuser” avec les filles de la ville mais vouloir épouser une fille de la campagne réputée vierge et moins intéressée par l’argent. Ils n’épousent donc pas les jeunes urbaines, leur préférant celles de la “campagne” ou de leur village natal87

. Ainsi les critères de choix du partenaire ou du conjoint ont été intériorisés par les jeunes générations qui continuent de s’y référer. A savoir que les hommes préfèrent une femme vierge, éduquée de préférence mais pas trop, une femme qui ne soit pas une consommatrice d’alcool et de khat.

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Les prêtres de l’EOTC font écho à ces discours en accusant les jeunes, mais principalement les jeunes femmes, les femmes du 20ième siècle de se vêtir de manière indécente, de ne pas respecter les valeurs traditionnelles et d’ainsi être à l’origine de l’apparition du sida, la maladie de ce siècle, ou encore d’être une incarnation du diable (Entretiens avec Abba Z, février-mars 2005 ; Entretien avec Tsägäreda novembre 2006 ; Entretiens avec Hannah, mai 2008). Ces propos ne sont toutefois pas nouveaux et dans les années 1960, Tekle-Tsadik Mekouria dénonçait déjà les Ethiopiennes voulant imiter les Européennes et les accusent de ne plus vouloir obéir à leurs époux (1962). Il apparaît donc qu’en temps de sida (mais déjà auparavant), les jeunes urbaines sont souvent associées à des prostituées et font l’objet d’une stigmatisation réelle par la population.

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