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Prolégomènes conceptuels à l’analyse du christianisme éthiopien

P REMIERE PARTIE

I. Prolégomènes conceptuels à l’analyse du christianisme éthiopien

Rappelons que dans cette étude, une distinction entre EOTC et Eglise éthiopienne a été opérée, ensemble ces deux aspects constituent le christianisme éthiopien. L’EOTC est la branche institutionnelle du christianisme éthiopien, elle rassemble l’Episcopat, les évêchés, sa structuration récente en paroisse ainsi que son rapport avec les instances gouvernementales et internationales. L’Eglise éthiopienne est l’aspect moins formel, la « branche » non institutionnalisée de ce christianisme. Elle rassemble une partie de la religiosité des fidèles non liée aux sacrements délivrés par l’institution religieuse, l’ensemble des pratiques, des rites qui ne sont pas toujours « formalisés » par l’EOTC. Cette distinction est idéal-typique, elle ne correspond guère à la réalité, plus fluide, poreuse même, bien entendu. Il nous semble que les historiens travaillant sur l’Ethiopie et sur son christianisme, et les sociologues du christianisme, ne distinguent pas aussi nettement ces deux composantes de l’Eglise.

En effet, la sociologie et l’histoire du (des) christianisme(s) distinguent diverses composantes des christianismes, mais elles diffèrent de celle faite dans cette étude. Classiquement, les

sciences sociales du christianisme opèrent deux distinctions : la première entre clergé séculier et clergé régulier et la deuxième entre clercs et laïcs (Willaime, 2006 : 757). En outre, d’autres grandes dichotomies structurent les analyses du champs religieux : l’approche fonctionnelle héritée de E. Durkheim (2003) et l’approche substantiviste. Ces approches déterminent la manière dont les différentes entités, composantes des religions seront découpées et appréhendées. Selon la première approche, la religion est envisagée comme un système culturel intégrateur : la religion assure le transfert des valeurs, des codes et des normes culturelles. Elle est alors une instance normative et encadrante. Selon la deuxième approche, substantiviste, la dimension transcendante, les « croyances » et la représentation constituent les axes à partir desquels le religieux est envisagé. Depuis, le début des années 1990, d’autres approches ont été forgées, permettant de renouveler les approches. On notera à titre d’exemple, les propositions de D. Hervieu-Léger et J.P. Willaime. D. Hervieu-Léger propose de considérer la religion à travers l’idée d’une lignée croyante, qui voit ses rites et ses « croyances » légitimités par une mémoire, une tradition autorisée, validée par les pères (Hervieu-Léger, 1993). J.P. Willaime, considère que c’est le charisme du fondateur qui va asseoir la continuité des rites et des symboles (1995), approche qui nous semble très marquée par l’influence de M. Weber (1996).

Si ces approches sont intéressantes et permettent d’analyser le fait chrétien éthiopien, nous avons choisi d’aborder ce christianisme selon une perspective anthropologique. L. Obadia rappelle que l’anthropologie religieuse accorde « une place toute relative » « aux grandes religions monothéistes » (2007 : 59-60). A cette fin, nous nous sommes assignée à respecter quelques « principes » simples, sans forcément chercher à emboîter le pas, à appliquer à une théorie en particulier. Nous avons donc tenté de « respecter les catégories de pensées et les pratiques effectives » des chrétiens éthiopiens, de conserver « un rapport dialectique entre la connaissance de soi et la connaissance des autres » (ibid : 101-102), point sur lequel nous reviendrons dans le chapitre 4. Enfin, nous avons essayé de garder à l’esprit que les religions sont en perpétuelle recomposition, empêchant de trop figer tant leurs formes que les significations qu’elles élaborent (ibidem).

C’est donc à partir de cette posture, et des données collectées sur le terrain que nous proposons, dans une première approche, de distinguer l’EOTC dans sa dynamique institutionnelle et Eglise éthiopienne, plus révélatrice de la religiosité « de la base ». Par ailleurs, nous considèrerons, le christianisme éthiopien comme étant travaillé par trois groupes, dont les « sympathies » et les « rapprochements » sont à géométrie variables. Il s’agit : du clergé régulier, du clergé régulier et enfin des fidèles.

Ces schématisations sont proposées, élaborées sur la base des données issues de plusieurs mois d’enquêtes sur les sites d’eau bénite, auprès de prêtres de la base, des moines, et des fidèles. Des entretiens et des observations ont été menées, auprès de l’Episcopat et de l’administration ecclésiastique mettant en place les programmes de lutte contre le sida de l’EOTC. C’est à partir de là que la nécessité de formaliser ce qui était observé s’est, mois après mois, fait plus nette et plus insistante. En effet, il fallait rendre compte de la différence de traitement du sida par la base et par le sommet, ainsi que des tensions et conflits que ces différences induisaient. Cette distinction a donc avant tout une visée analytique, mais il nous est d’avis qu’elle pourrait, au-delà de la présente étude, rendre compte d’un phénomène propre à ce christianisme éthiopien et qui prend racine dans son histoire.

Par ailleurs, l’intérêt porté aux trois groupes, soit le clergé régulier, le clergé séculier et les fidèles, est (librement) inspiré, des travaux sur l’orthodoxie. K. Rousselet et A. Capelle- Pogacean notent que

« On observe la multiplication, depuis quinze ans, des études et ouvrages traitant de l'orthodoxie » (2005)

Cependant, cet objet reste « encore trop souvent ignoré dans sa complexité et sa diversité » (ibidem). La grande majorité de ces études prennent pour objet l’orthodoxie slave (Russie, Europe balkanique), et grecque. Ces objets autant que les études sont travaillées par l’empreinte historique du communisme puis arrimées à l’analyse des sociétés post- communistes44

. Si le communisme a également laissé une trace historique en Ethiopie, nous verrons, que le därg a plus cherché à encadrer et à placer sous son autorité l’EOTC que n’a voulu la détruire (Ancel, 2006). La situation géographique de l’Ethiopie, plus voisine de l’Egypte, et de la Syrie que de la Russie, appelle à un rapprochement avec les christianismes orientaux de ces aires géographiques. Sur cette base, nous avons considéré certains travaux et notamment la thèse de A. Poujeau sur l’Eglise, le monachisme et la sainteté en Syrie (2008), ainsi que les études de C. Mayeur-Jaouen (2002, 2010). Ces deux auteures rendent compte de l’importance du monachisme, de l’ascèse et de la sortie du monde dans ces christianismes orientaux. Les travaux de M. Kaplan (2001), et de M/H. Congourdeau (2001) sur le sacré dans l’Eglise byzantine, révèle son importance et certaines de ses spécificités orientales. C’est donc également à l’aune de ces comparaisons que nous avons dégagé les trois entités précitées et opéré la distinction entre le haut clergé institutionnalisant et bas clergé et les fidèles ayant à cœur de faire l’expérience du divin, de la présence divine, au moins sur les sites d’eau bénite.

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