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P REMIERE PARTIE

III. Les principaux dogmes et doctrines de l’Eglise : quelques aspects de la religiosité des fidèles

III.1 Dieu, le Christ et le monde

Plusieurs auteurs ont noté que les Ethiopiens avaient un rapport particulier aux sorts et aux évènements auxquels ils font face tant individuellement que collectivement. Getnet Tadele rapporte les remarques et propos de plusieurs auteurs quant aux rapports des Ethiopiens à Dieu :

« Ils considèrent que la plupart des évènements adviennent par la volonté de Dieu et que rien ne peut se produire sans sa volonté (Cruise, 1995). Pour la majorité des Ethiopiens,

quelque soit le fléau – sida ou famine –, il est envoyé par Dieu pour punir les comportements indésirables. Hareide (1991) remarqua qu’un jour tandis qu’il interrogeait un groupe d’étudiant d’Addis Ababa sur ce qu’il faudrait faire à propos de la famine. Il fut très surpris quand le premier lui répondit : « nous devons prier plus », le suivait dit : « nous devons jeûner plus » et le troisième : « J’ai pensé à me rendre dans un monastère pour me consacrer entièrement à la prière et au carême » (Getnet Tadele, 2006 : 91).

L’auteur restitue les analyses de Mesfen Wolde-Mariam quant aux relations que les Ethiopiens entretiennent au pouvoir, mais cette analyse est valable comme le rapporte Getnet Tadele pour l’épidémie du VIH, et correspond à une attitude générale devant l’existence :

« Quand les péchés sont plus lourds que les vertus, Dieu recourt à l’autorité et au pouvoir pour punir. Quand les vertus sont supérieures aux péchés, les mêmes autorités et pouvoir sont utilisés pour récompenser » (Mesfen Wolde-Mariam 1991 : 181 cité par Getnet Tadele, 2006 : 91)

Est ici pointée l’articulation entre comportements individuels et conséquences collectives qui rend compte de la profondeur du lien entre l’identité éthiopienne et le christianisme éthiopien. En effet, les Ethiopiens conçoivent une sorte de communauté de sort qui lie le pécheur au juste. Ainsi, Getnet Tadele explique

« Quand je suggérais que le sida ou la famine affectait également des personnes qui n’avaient pas péché (les enfants et les autres citoyens innocents), ils réagirent en citant le proverbe éthiopien : “ce qui advient au pécheur n’épargne pas le vertueux”51 » (2006 : 92)

Ce proverbe permet de comprendre une partie du lien entre l’identité éthiopienne et l’appartenance religieuse. En effet, tout se passe comme si les péchés des uns affectaient l’ensemble de la communauté, et inversement la vertu des uns bénéficie à la totalité. Dans ces conditions, les moines, les ermites, les virtuoses du religieux qui mènent leur ascèse et leurs combats spirituels pourraient représenter une sorte d’assurance collective de la bénédiction divine. Dès lors, les réponses des jeunes gens à la famine ressortent de ce principe. Pour lutter collectivement contre la famine, il faut se joindre à l’ascèse des moines soit en jeûnant comme eux, soit en effectuant une retraite dans un monastère. Ainsi, selon cette idée, l’ensemble de ces vertus additionnées pourra faire pencher la balance en sens inverse, du côté vertueux, ramenant la bénédiction ou providence divine. Plus généralement, ces conceptions témoignent du rapport global des Ethiopiens à l’existence. Elle est fondée sur la conception du divin suivante :

« Dieu est le créateur de tout ce qui existe. Après les avoir créés il continue de les [tout ce qu’il a créé] soutenir. […] “Tous ont été créés par sa Grâce, et vivent par Sa bienveillance”. Parfait lui-même, il n’a de cesse d’insuffler cette perfection à Ses créatures. Les hommes en tant qu’individus ainsi que le processus historique complet sont ultimement sous son contrôle. Dieu n’est pas une perfection passive ou un idéal abstrait, mais une réalité dynamique toujours active qui amène tout ce qui existe vers la destiné finale qu’il réserve pour chacun ainsi que pour le monde entier » (Samuel, 1997 :45)

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Comme il a été explicité plus avant, le monachisme et plus précisément l’ascèse extra- mondaine occupent une place très importante dans le christianisme éthiopienne, et le moine est une figure idéale très respectée. Cette tendance à considérer la fuite hors du monde comme un, voire le mode d’obtention du salut par excellence est en lien avec un des fondements de la doctrine christologique éthiopienne. Rappelons que l’Eglise éthiopienne est une des cinq Eglises monophysites ou orientales n’ayant pas adhéré au dogme christologique au IVe siècle, lors du concile de Chalcédoine. Le concile statuait sur la nature du Christ, dieu et homme, et sur la manière dont les essences en lui s’unissaient. Les chrétiens éthiopiens considèrent Jésus comme d’une seule nature, divine incarnée en un homme le Christ : « Le Christ n’est pas deux natures, mais une, celle du Verbe de Dieu incarnée » (Samuel, 1997 :48). Pour exprimer la forme de cette union, des Ethiopiens nous ont expliqué : « comme le lait et l’eau, une fois mélangés, on ne peut ni les distinguer, ni les séparer »52. Ainsi, la prégnance du monachisme est-elle fondée sur cette conception de l’incarnation du Verbe. Inversement, l’ascèse extra- mondaine, réaffirme cette conception du Christ. Dès lors, la divinisation de l’homme, âme et corps, passe par le renoncement à ce monde, par soumission du corps à l’âme. Âme et corps étant indivisibles, tout ce qui touche le corps atteint l’âme et inversement :

« Car la “chair est faible, elle nous conduit vers l’iniquité” […] pensez que la chair conduit à la mort, par contre l’Esprit est la vie éternelle. Lorsqu’on dit “tuer” par l’Esprit la volonté de la chair, cela signifie soumettre la volonté de la chair à la volonté de l’Esprit. » (Asrès, 2007 : 1-5).

L’ascèse prend donc la forme d’une lutte contre le corps traduisant le désir de sortir du monde pour échapper à sa corruption, car le corps appartient au monde réel. Ce monde, bien que de création divine, est habité par le diable, et quitter le monde terrestre permet de “prendre soin de son âme” et de protéger le corps de la tentation du diable et du péché :

« Le monde lui-même est affirmé appartenir à Dieu. Mais c’est un fait admis que les mondes naturel et moral sont habités par le diable » (Samuel, 1997: 52)

La sortie du monde est donc justifiée par l’existence du diable ici-bas. Dieu est le créateur de toute chose sur terre et dans les cieux. L’homme est destiné à être sauvé, mais il doit le vouloir lui-même (Samuel, 1997 : 53-54). Ainsi, quitter le monde terrestre permet de « prendre soin de son âme » (Asrès, 2007 : 4) et de protéger le corps des tentations du diable. Ces dogmes rendent compte d’une tension permanente au sein de l’Eglise, entre la nécessité d’organiser la vie ici et maintenant, créée par le divin mais corrompue et habitée par le Diable, et le salut de l’âme des fidèles en vue de leur bénédiction éternelle, qui lui impose un contrôle rigoureux du corps et qui paradoxalement ne peut être parfaitement atteint que par une sortie du monde. Ainsi, la séparation entre le sacré et le profane, entre ces deux espaces sera particulièrement rigoureuse. La peur de la contagion est manifeste, et a pour conséquence la séparation nette entre les deux espaces sacrés, d’un côté purement divin et de l’autre profane, créé également par le divin mais corrompu par le diable. Nombre de règles de l’EOTC ayant pour fonction d’organiser la vie de ses fidèles dans ce monde rendent compte de cette tension.

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