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Enquêter en ville et auprès des institutions : une démarche classique

P REMIERE PARTIE

II. Les techniques d’enquêtes

II.3. Enquêter en ville et auprès des institutions : une démarche classique

Les enquêtes en dehors des sites d’eau bénite ne présentaient aucune difficulté particulière, des contraintes et des adaptations inhérentes à la pratique du terrain se sont avérées nécessaires, et sont présentées ici.

II.3.a. La sexualité : une question inabordable de front !

Le VIH, en tant qu’infection sexuellement transmissible appelle naturellement les sciences sociales à interroger le rapport à la sexualité, et les évolutions des représentations de la sexualité et les pratiques que la perspective d’une infection lors d’un rapport sexuel non protégé peuvent générer. En Ethiopie, le terme/notion sexualité, n’a pas d’équivalent en amharique, ce point fera l’objet d’une discussion dans le prochain chapitre. Outre son absence linguistique, les rapports sexuels, les comportements ayant traits à la sexualité font l’objet traditionnellement d’une pudeur attestant du caractère tabou de cet aspect de l’existence. Les pratiques individuelles et les normes afférentes sont donc essentiellement tues ou au mieux formulées de manière allégorique. Dans ces conditions, mener une enquête sur les pratiques sexuelles est quelque peu complexe voire délicat et nécessite une approche propre et

spécifique. Getnet Tadele a pu enquêter à Bahar Dar auprès de jeunes hommes non scolarisés et vivant pour certains dans la rue (2006), Laketch Dirasse (1991) a enquêté auprès des travailleuses du sexe à Addis Ababa. Dès lors, il apparaît que la sexualité des femmes non qualifiées de « travailleuses du sexe » n’est guère connue en Ethiopie et elles sont les catégories les plus difficiles à interroger eu égard aux poids de la vertu et du silence qui pèsent sur leurs pratiques. Si les hommes parlent de sexe, les femmes très peu, voire pas du tout ou dans un cercle très intime.

J’ai tout de même tenté dans le cadre des entretiens aux PVVIH et avec d’autres personnes plus ou moins proches d’interroger des jeunes femmes sur ce point. Les réponses étaient évasives, et concernaient plutôt - quand elles répondaient - leurs rapports aux hommes et non leurs pratiques et comportements. Pour obtenir des données sur les représentations du sexe des jeunes femmes, j’ai donc essentiellement eu recours aux entretiens informels, mis à profit mes « compétences » culturelles et observé les situations lors de sorties entre amis. Pour les femmes plus âgées, l’écart d’âge et le respect que les plus jeunes observent envers leurs aînés m’ont interdit d’envisager de formuler la moindre allusion, ce domaine relevant de la plus stricte intimité. Pour les hommes, exceptés les plus âgés, ce fut bien plus aisé. La société éthiopienne attribue des rôles masculins et féminins très précis, mais elle autorise des discussions autour de cette question avec des hommes pour une femme. Il a donc été beaucoup plus simple de les interroger de manière informelle la plupart du temps, les questions directes ou trop formelles obtenant des réponses évasives. Ainsi, pour le thème de la sexualité en Ethiopie, c’est une enquête par « la petite porte », de « biais » ou principalement « indirecte » qui a été menée.

II.3.b. Les institutions : entretiens et documents

Dans le cadre de cette étude, trois institutions sont en présence : le gouvernement éthiopien et plus précisément le HIV/AIDS Prevention and Control Office (HAPCO), organe étatique en charge de la lutte contre le sida, l’Eglise Ethiopienne Orthodoxe Täwahedo, soit l’EOTC et plus spécifiquement le EOTC HAPCO, et enfin les organismes d’aide américains soit USAID, PEPFAR, et les instances mandatées par lui auprès des autorités éthiopiennes, dans le cas présent IOCC, International Orthodox Christian Charities.

Dès la première enquête de terrain, entre la fin de l’année 2005 et le début de 2006, les premiers contacts furent pris avec l’antenne d’Addis Ababa de HAPCO (AA-HAPCO), le directeur du département fu rencontré et interviewé plusieurs fois. D’autres personnes du cabinet furent rencontrées mais c’est avec le secrétaire général du département que les entretiens ont été les plus fréquents. Par contre, signe de la forte mobilité au sein de ce département, à chaque séjour, les directeurs étaient différents. Il fut fait de même au bureau national de HAPCO. Lors de la deuxième enquête de terrain, le directeur de AA-HAPCO exigea avant de répondre à toute question, que je lui présente l’autorisation du « National Scientific and Technic Commission », équivalent du bureau d’éthique. Je préparai le dossier mais dus, pour des raisons de santé interrompre l’enquête de terrain et ne reçus jamais la réponse. Toutefois, je pus rencontrer d’autres membres de l’équipe et échanger plusieurs fois avec une jeune anglaise, volontaire en Ethiopie et affectée au bureau AA-HAPCO, je

reviendrai sur ce point. Pour la dernière enquête, le directeur avait encore changé et celui-ci ne demanda pas d’autorisation pour répondre aux questions et je me suis abstenue de lui soumettre la question. Malgré mes demandes, je n’ai jamais pu participer à une réunion de travail, à aucun échelon que ce soit. Différentes personnes interviewées me donnèrent quelques uns des documents produits par la structure, je complétais en allant au AIDS

Ressource Center limitrophe du bureau national HAPCO.

Les entretiens et les conditions d’enquête furent similaires avec le bureau de l’EOTC chargé de la politique de lutte contre le sida. Les directeurs étaient à chaque fois différents. Comme pour AAHAPCO, les relations avec le deuxième directeur étaient plus tendues et empreintes de méfiance. Par contre, avec le troisième et dernier directeur rencontré et interviewé à plusieurs reprises ; une session de restitution auprès de prêtres et des membres de l’organe avait été projetée, mais pour des raisons diverses, elle n’eut jamais lieu.

Je ne rencontrai les responsables de IOCC en Ethiopie qu’une seule fois, durant la deuxième enquête de terrain, en décembre 2006, j’y reviendrai dans la section suivante. Dans la foulée de cette première entrevue avec l’IOCC mandaté par USAID, je pu interviewer le coordinateur du programme PEPFAR-Hopkins Université en Ethiopie, un Ethio-américain qui prenait son rôle de distributeur et de « sauveur » des Ethiopiens très au sérieux. Il me dit après quelques minutes d’entretien : « je suis ici depuis peu pour mes compatriotes et je n’ai pas le droit d’échouer ». Il me donna de nombreux documents officieux émanant entre autre de l’Episcopat de l’EOTC, et des documents de travail internes.

Lors de la dernière enquête de terrain, le coordinateur du programme ayant été muté dans une autre région, j’ai donc tenté d’obtenir un autre entretien avec d’autres personnes travaillant pour USAID et PEPFAR en Ethiopie. La tâche fut ardue, j’essayais d’activer mes connaissances, d’appeler USAID et PEPFAR en Ethiopie, et même de suivre la procédure consistant en un envoi par courriel de demande de rendez-vous, ou des questions à poser, en vain. Les instances américaines ne répondaient pas à mes courriels et m’envoyaient vers leur mail quand je les appelais. Finalement, je dus jouer de ruse. Un ami occupant un poste à responsabilité au FNUAP obtint un rendez-vous avec la responsable USAID/PEPFAR en Ethiopie pour sa « collaboratrice du FNUAP » dans le but de préparer une réunion de travail. Il m’y envoya et j’endossais le rôle de collaboratrice du FNUAP. J’obtenais ainsi l’entretien tant convoité. La rencontre dura environ 40 minutes durant lesquelles formée (voire « échaudée ») par des précédents entretiens avec certaines instances américaines, je me gardais de révéler ou de partager des informations collectées sur le terrain remettant potentiellement en cause les succès de leur programme d’aide. J’obtins les informations désirées et fut même invitée à assister à la rencontre entre tous les partenaires PEPFAR/USAID quelques jours plus tard. De là, je pus rencontrer de nombreux représentant d’ONG, de membres du gouvernement, de responsables d’associations et même de personnes travaillant en consultance dans le cadre de la lutte contre le sida. Outre ces rencontres, le fonctionnement du PEPFAR s’éclaircissait un peu, et les actions mises en œuvre par USAID et PEPFAR en Ethiopie étaient rassemblées sous mes yeux.

Les entretiens avec les différents membres des institutions furent au début très ouverts et non directifs, et je m’attachais à collecter le plus de documents émanant des diverses instances à chaque rendez-vous. Au fur et à mesure que l’enquête avançait des questions plus précises étaient posées et des documents plus circonstanciés et précis étaient collectés.

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