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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

4. LA RELATION AUX ELEMENTS DE LA REALITE

4.3 LE SENTIMENT D’EFFICACITE PERSONNELLE

Le concept d’efficacité personnelle fut forgé en 1977 par le psychologue canadien Albert Bandura667 comme « la confiance que nous avons en notre capacité de contrôler les évènements

qui affectent notre vie » 668, mais également comme « ce qui induit les hommes à considérer que les opérations sont déterminées par leur propre capacité d’intervention »669, et fut

successivement interprété par Rosa comme « la faculté et le désir de générer des résonances

ciblées »670 en ce que « la relation humaine au monde dépend de la confiance qu’ont les sujets

en leur capacité à relever des défis et à mener à bien des actions planifiées »671. La résonance

supposant que soit entretenu un rapport actif, intentionnel et libidinal entre un sujet et le monde, le sentiment d’efficacité personnelle pourrait être en effet compris comme l’élan de sa recherche, « comme l’espérance de pouvoir atteindre le monde et de le faire parler par sa

propre action »672. Les expériences d’efficacité personnelle contribuant de fait à l’augmentation de notre maitrise d’un certain registre d’actions, elles favorisent l’instauration d’un mécanisme par lequel nous réitérons une action que nous maitrisons, et la maitrisons davantage à mesure que nous la réitérons, accroissant de fait notre sentiment d’efficacité personnel, ainsi que le plaisir en résultant. Elles deviennent par conséquent un moteur important de l’aspiration à des relations résonantes, que ces dernières soient générales et concernent l’interaction avec le monde en tant que telle, ou particulières et se rapportant par exemple au cadre d’expérience spécifique que constitue le musée. Institution vis-à-vis de laquelle Aboudrar pointe un paradoxe non dénué d’éloquence quant au sentiment d’efficacité personnelle qu’il conviendrait de ménager chez le visiteur afin de parvenir à l’effectivité d’une muséologie résonante, puisque bien que le musée ait a priori vocation à instruire son public, et que ce dernier ne relève que ce qui contribue de sa propre édification673, la présentation des savoirs à transmettre aurait selon

667 BANDURA Albert, « Self-efficacy: Toward a unifying theory of behavioral change », Psychological Review, n°84, 1977, pp. 191-215.

668 BANDURA Albert, « Perceived self-efficacy in cognitive development and functioning », Educational

Psychologist, 1993, p.118.

669 Ibid.

670 ROSA Hartmut, Résonance, Une sociologie de la relation au monde, La Découverte, Paris, 2018, p. 181. 671 Ibid. p. 182.

672 Ibid. p. 184.

673 DEOTTE, Jean-Louis, « Il n’y a pas de chef d’œuvre inconnu », Le jeu de l’exposition, Harmattan, Paris, 2016, p. 95.

lui pour premier effet la création « d’ignorants ahuris et honteux »674. Stránský estime que l’efficacité de la présentation des éléments de la réalité peut être mesurée par comparaison des proportions d’informations ayant été respectivement émises et reçues de part et d’autre du média muséal, et rappelle l’importance afférente à l’étude de cette efficacité puisque c’est en la présentation qu’aboutit la muséalisation de la réalité, mais également par elle que s’exerce l’immédiate influence de l’institution sur les conscience et mémoire de la société675. Pourtant, si le sentiment d’efficacité personnelle éprouvé par le visiteur de musée, lorsque recevant les savoirs lui ayant été initialement adressés par l’institution, devient ainsi indiciel de l’efficacité de sa présentation, le constat qu’il permet de dresser se révèle mitigé puisqu’Aboudrar évoque à propos de la relation musée-visiteur, l’analogie du célèbre conte : Les Habits neufs de

l’empereur676. Il écrit en effet que le plaisir étant agencé par le musée est un « plaisir sans représentation de plaisir, un plaisir qu'on sait devoir être pur et qu'on se soupçonne toujours un peu d'éprouver sur un mode inadéquat et peut-être pour des objets inadéquats »677, un plaisir

fait de silences, et donc « bien proche d’être une angoisse »678. Et Michaud de surenchérir que

« nous sommes tout à coup à la fois trop riches et très démunis devant une variété d'œuvres et d'expériences qui nous font hésiter, selon les cas, entre l'ennui et la répulsion, la contemplation désintéressée dans la pure tradition de la grande esthétique et l'ironie facile, la sensualité et la

674 ABOUDRAR Bruno-Nassim, Nous n'irons plus au musée, Aubier, Paris, 1997, p. 27.

675 STRANSKY Zbynĕk, « Muséologie. Introduction aux études, 1995 », Zbynĕk Z. Stránský et la muséologie :

Une anthologie, Harmattan, Paris, 2019, p. 61.

676 ABOUDRAR Bruno-Nassim, Nous n'irons plus au musée, Aubier, Paris, 1997, p. 114.

ANDERSEN Hans Christian, Les Habits neufs de l’empereur, 1837. « Il y a de longues années vivait un empereur

qui aimait par-dessus tout être bien habillé. Un beau jour, deux escrocs arrivèrent dans son royaume, prétendant savoir tisser une étoffe que seules les personnes sottes ou incapables dans leurs fonctions n’étaient en mesure de voir, et proposèrent au souverain de lui en confectionner un habit. L’empereur pensa qu’il pourrait ainsi repérer les personnes intelligentes et accepta. Les deux charlatans se mirent alors au travail. Quelques jours plus tard, l’empereur, curieux, vint voir où en était le tissage de ce fameux tissu, mais ne vit rien sur le métier. Troublé, il décida de n’en parler à personne, car personne ne voudrait d’un empereur sot. Il envoya alors plusieurs de ses ministres inspecter l’avancement des travaux. Aucun ne vit plus que son souverain mais personne n’osa l’avouer de peur de paraitre idiot. Le jour où les deux escrocs décidèrent que l’habit était achevé, ils aidèrent l’empereur à l’enfiler et ainsi vêtu, le souverain se présenta à son peuple qui à son tour, prétendit voir et admirer ses nouveaux habits. Un enfant s’exclama alors que le roi était nu, et bien que la rumeur se répandit à tous les villageois, tant et si bien que le roi comprit qu’il avait été dupé, il poursuivit sa marche comme si de rien n’était. »

677 ABOUDRAR Bruno-Nassim, Nous n'irons plus au musée, Aubier, Paris, 1997, p. 38. 678 Ibid.

satisfaction intellectuelle »679, contribuant à rendre compte que malgré que cela soit nécessaire

à l’acheminement de sa mission, le musée semble régulièrement échouer à gratifier son public d’un sentiment d’efficacité personnelle de valence positive, tant il est à son plaisir d’exhiber que l’institution « a compris les leçons de la démocratie, sans pour autant intégrer celles de la

démocratisation, qu’elle est libérale, au sens noble du terme, quitte à ce que cela l’exonère parfois de donner les outils nécessaires à la compréhension »680. L’expérience du musée peut

en effet bien souvent se solder par un échec tel que, sapant la confiance du visiteur en sa capacité d’adaptation et de maitrise des particularités afférentes à ce cadre d’expérience681, il contribue à la diminution de ses sentiments d’efficacité personnelle et de légitimité, à l’augmentation des probabilités de sa réitération et donc, au déclin progressif du courage lui étant nécessaire pour confronter à nouveau l’institution682. Aboudrar titre d’ailleurs son ouvrage : Nous n’irons plus

au musée683. Pour le dire autrement, un musée sert rarement de cadre à des expériences

résonantes. Il apparait par conséquent nécessaire d’insister sur le fait que bien que la muséologie de Stránský n’accorde qu’une attention relativement sommaire aux rôle et place du visiteur, le ménagement du sentiment d’efficacité personnelle de ce dernier devient fondamental à l’actualisation résonante de son système par le biais privilégié de l’odorat, puisqu’il se révèle l’objectif que, ajustant leur performance par l’articulation des effets odorants aux problématiques existentielles de base, les dispositifs olfactifs prenant une muséalie pour source odorante se doivent de servir. Ceci, afin de favoriser la rencontre résonante du visiteur et de la réalité muséalisée d’une part, mais également de rendre ce premier successivement capable de réitérer son positionnement résonant hors du cadre du musée, afin d’ainsi renouveler son appréhension du monde véritable. Stránský écrit en effet que la fonction de la muséographie consiste à « expliquer les moyens concrets grâce auxquels on peut réaliser l’appropriation

spécifique de la réalité afin de l’appliquer concrètement dans la société »684, justifiant que demeurent et prospèrent les musées puisque fournissent ainsi à l’homme une chose dont il a

679 MICHAUD Yves, Critères esthétiques et jugement de goût, Fayard-Pluriel, Paris, 1999, p. 27.

680 DESMET Nathalie, « Une relation esthétique impossible : les expositions dans lesquelles il n’y a rien à voir »,

Nouvelle revue d’esthétique, n° 3, 2009, p.90.

681 LE MAREC Joëlle, Publics et musées : la confiance éprouvée, Harmattan, Paris, 2007.

682 ROSA Hartmut, Résonance, Une sociologie de la relation au monde, La Découverte, Paris, 2018, p. 183. 683 ABOUDRAR Bruno-Nassim, Nous n'irons plus au musée, Op cit.

684 STRANSKY Zbynĕk, « Muséologie. Introduction aux études, 1995 », Zbynĕk Z. Stránský et la muséologie :

besoin et qu’il ne saurait trouver ailleurs685, remplissant de fait une fonction de portée sociale686. Ainsi, l’actualisation résonante de la muséologie de Stránský par l’odorat, et la résultante perspective d’une muséologie olfactive, n’ont donc pas pour vocation l’accessoirisation du musée par l’odeur, mais l’initiation du visiteur aux modalités d’une assimilation687 sagace688 de la réalité, dont il pourra plus avant faire usage dans l’ensemble des cadres d’expériences par lesquels il appréhende le monde et ce, tout au long de sa vie.

685 STRANSKY Zbynĕk, « Aurons-nous encore besoin de musées au XXIe siècle ? 1993 », Zbynĕk Z. Stránský et

la muséologie : Une anthologie, Op cit. p. 256.

686 DELOCHE Bernard, Le musée virtuel, Presses Universitaires de France, Paris, 2001, p.228. « L’avenir de

l’homme passe aussi par la simulation du réel. La simulation n’est pas le simulacre de la réalité, elle la crée. »

687 Rosa distingue l’appropriation dominante et l’assimilation résonante dans Résonance, Une sociologie de la

relation au monde, Op cit. p. 218 : « En ce sens, une résonance profonde, un « être porté » fondamental, sont la condition nécessaire à l’instauration d’un rapport d’assimilation – et non d’appropriation – avec ce qui apparait d’abord muet et répulsif. »

688 JAQUET Chantal, Philosophie de l’odorat, Presses Universitaires de France, Paris, 2010, p. 357.

« Étymologiquement, sagax, désigne celui qui a l’odorat subtil. La sagacité se présente ainsi comme une forme de pénétration d’esprit qui permet de comprendre et de découvrir les choses les plus subtiles. La sagacité est la qualité d’un esprit qui, loin d’avoir besoin d’un arsenal de preuves, perçoit quelques traits suffisants et découvre la vérité seul et par lui-même à l’instar du chien dont l’odorat subtil lui permet de repérer le gîte dissimulé de la bête traquée, une fois qu’il est lancé sur la bonne piste. Le sagace saisit ce qui échappe à la vue, il est capable de déceler l’invisible par le flair. »