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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

4. LA RELATION AUX ELEMENTS DE LA REALITE

4.1 LES EFFETS ODORANTS

Reprenant la notion d’effet sensible proposée par Augoyard et Torgue en 1995654, Balez conçoit un outil conceptuel permettant l’articulation des analyse et production de l’espace olfactif par croisement de divers champs de connaissance, qu’elle baptise « effet odorant »655. L’effet sensible serait un outil qualitatif favorisant la pluridisciplinarité de lecture des phénomènes in situ, la confrontation simultanée de leurs dimensions perceptive, physiologique et physique, ainsi que le successif renouvellement de l’approche leur étant afférente au sein du cadre bâti656. L’effet odorant permettrait quant à lui l’interaction des mondes olfactifs subjectif, objectif et social657, telle que « les dimensions physiques et humaines de l’odeur trouveraient en lui la

perspective d’un sens commun »658, l’érigeant ainsi en un liant envisageable entre

l’appréhension rendue possible de la dimension olfactive des muséalia en contexte expographique, et l’optimisation du potentiel résonant de leur interaction avec le visiteur. En 2001, Balez répertorie trente-trois effets odorants répartis en cinq catégories : les effets élémentaires, ceux de composition, les mnémo-perceptifs, les psychomoteurs et les sémantiques659. Les effets élémentaires renverraient aux caractéristiques physiques de l’odeur, son intensité, sa nature et les propriétés de sa propagation, les effets de composition, aux modalités de son agencement dans l’espace, les effets mnémo-perceptifs, aux aptitudes sensorielles des individus en situation concrète, les effets psychomoteurs, à l’interaction entre perception et motricité, et les effets sémantiques, à la variation d’écart entre contexte réel et interprétation signifiante du phénomène s’y déployant. A l’époque, l’auteur souligne néanmoins que prenant essentiellement appui sur l’évocation de sensations usagères, ce premier répertoire d’effets odorants ne peut s’affranchir en l’état du statut d’hypothèse heuristique,

654 AUGOYARD Jean-François, TORGUE Henri, Sonic experience: a guide to everyday sound, McGill Queen’s university press, Montreal, 1995.

655 BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit : perception des usagers et dispositifs techniques et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire, thèse, Nantes, 2001, p. 273.

656 Ibid. p. 146.

657 Tels que distingués dans ROSA Hartmut, Aliénation et accélération, La Découverte, Paris, 2014.

658 BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit : perception des usagers et dispositifs techniques et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire, thèse, Nantes, 2001, p. 146.

nécessitant encore d’être affiné en regard des connaissances afférentes aux phénomènes physiologiques, afin de devenir un outil de recherche exploitable quant à l’appréhension éloquente des odeurs dans le cadre bâti660. En 2018661, elle en présente par conséquent une version actualisée recensant quarante-cinq effets odorants classés en deux familles et cinq catégories.

La famille des effets à dominante dynamique concerne les situations où l’odeur est interprétée en fonction de ses modalités d’apparition, de maintien et de disparition, elle regroupe les catégories d’effets respectivement afférents au mouvement, à l’espace ainsi qu’à la durée. La catégorie du mouvement concerne l’imbrication des dimensions temporelle et spatiale de l’appréhension olfactive d’un sujet mobile et comprend douze effets odorants. L’effet

d’habituation qualifie un état d’anosmie succédant rapidement la perception odorante, et peut

se décliner en effet de sur-habituation lorsque cet état parvient à perdurer sur de plus conséquentes plages temporelles et quant à des odeurs particulièrement familières, tous deux se soldant par un effet de récupération soit, un phénomène physiologique de retour à une sensibilité olfactive ayant été précédemment mise en veille. L’effet d’irruption renvoie au rapide et clivant passage d’une ambiance olfactive à une autre, l’effet de crescendo, à l’augmentation progressive de l’intensité odorante perçue et l’effet de decrescendo, à sa diminution. L’effet de sillage indexe l’appréhension d’une trace olfactive laissée par le passage d’une source mobile, ou ayant été détachée d’une source ponctuelle par le biais d’un flux d’air. L’effet de zigzag désigne l’attitude d’un sujet arpentant un espace de manière systématique afin d’y déceler un effluve, l’effet de latence, le caractère retardé d’une perception odorante ayant été repoussée par un état d’esprit non favorable à sa détection, l’effet d’attraction, la polarisation consciente ou incontrôlée de l’attention d’un sujet sur une senteur particulière, et l’effet de répulsion, la réaction esquissée ou véritable de ce dernier à en fuir une autre. L’effet

de désorption caractérise enfin le phénomène de contagion odorante, par un objet émissif,

d’autres artefacts.

La catégorie de l’espace concerne les modalités de propagation d’une senteur et comprend neuf effets odorants. L’effet de diffusion passive renvoie à l’expansion naturelle de molécules

660 Ibid. p. 163.

661 Colloque international Sens et senteurs, Université de Lille, 5 et 6 Octobre 2018, Lille. Se reporter à la fin de l’annexe n°5.

odorantes dans l’air, et l’effet de diffusion active, à leur expansion motorisée. L’effet de

localisation désigne la possibilité d’identifier précisément la position d’une source odorante au

sein d’un espace, l’effet de délocalisation, l’incapacité de le faire, pouvant engendrer un effet

d’ubiquité, soit le sentiment que l’odeur surgit en divers endroits, un effet d’envahissement, soit

la conscience d’une arrivée progressive et continue d’un effluve au sein d’un lieu, voire un effet

de sur-envahissement, soit une conscience de perception odorante si intense qu’engendrant le

sentiment d’une émanation située au-delà du seuil de perception moyen. L’effet de halo qualifie la délimitation d’une zone de propagation de molécules odorantes autour de leur source, et l’effet de calepinage, l’agencement spatial d’odeurs non mélangées entre elles.

La catégorie de la durée concerne les données temporelles olfactives et comprend huit effets odorants. L’effet madeleine caractérise l’état de conscience sollicité par une fragrance d’une situation ou d’une atmosphère passée. L’effet de conditionnement évaluatif indexe le changement de statut hédonique pouvant survenir des suites de l’appréhension d’une odeur particulière, et peut notamment se décliner en effet de sensibilisation, soit une atténuation du phénomène d’habituation par détection d’un effluve suggérant le danger. L’effet de répétition qualifie le statut de repère dont peut se voir gratifier une odeur par le jeu de sa régulière perception à l’appréhension d’un lieu, et son association résultante à cet endroit au sein de la mémoire. L’effet de mélodie désigne la capacité d’un sujet à se repérer dans une succession de perceptions odorantes de diverses natures, l’effet de disparition différentielle, son aptitude d’estimation de l’ancienneté d’une senteur par constat d’absence des molécules les plus volatiles, l’effet d’évanouissement, le sentiment d’appréhension résultant du constat continu d’atténuation de cette odeur, et l’effet de disparition, l’ultime constat de sa perte.

La famille des effets à dominante sémantique renvoie quant à elle aux cas d’interprétation de l’odeur comme ensemble de signes, et regroupe par conséquent les catégories afférentes à la signification et au décryptage. La catégorie de la signification concerne le rapport réciproque unissant signifiant et signifié de la donnée olfactive et comprend neuf effets odorants. L’effet

générique, résultant de l’effet de répétition, renvoie à l’association d’un type de lieu à un

ensemble de senteurs, peut se décliner en effet doudou, soit l’attachement émotionnel résultant de cette association et favorisant la sollicitation ultérieure de son pouvoir rassurant, et se lit par opposé à l’effet d’icône, soit l’appréhension d’une odeur dans un lieu ne lui ayant été précédemment associé revêtant de fait, un caractère exceptionnel. L’effet de concordance désigne l’adéquation perçue entre la nature d’une odeur appréhendée et le lieu de sa perception,

et l’effet de discordance, leur inadéquation. L’effet d’oxymore qualifie l’inversion de valence hédonique pouvant être attribuée à une senteur en fonction de la culture de référence du sujet perceptif. Succédant à l’effet d’envahissement, l’effet d’intrusion indexe en suivant le sentiment d’être corporellement envahi par une odeur, et résultant de l’effet de délocalisation, l’effet de

confusion décrit celui provoqué par la reconnaissance d’une source odorante erronée. L’effet indiciel pointe enfin le potentiel informatif de l’ensemble des émissions olfactives.

La catégorie du décryptage concerne la lecture de la matière odorante elle-même et comprend sept effets odorants. Résultant de l’effet de répétition, de l’effet générique, et de l’effet de

concordance, l’effet d’accord renvoie à l’association systématique d’un corpus odorant à des

unités définies de lieux et de temps conduisant la courante désignation d’odeurs-types. L’effet

de synecdoque caractérise la faculté de distinction des différentes facettes odorantes présentes

au sein d’une composition, l’effet de simulacre, l’habileté à créer une odeur au recours de molécules originairement étrangères à sa source, et l’effet de distorsion, la modification du dosage des concentrations odorantes d’une composition pouvant engendrer un effet masque, soit la domination perçue d’une facette odorante sur une autre. Succédant à l’effet zigzag et l’effet d’ubiquité, l’effet de schizolfaction désigne enfin l’appréhension variée d’effluves singuliers aux lieux de leur appréhension, pouvant susciter un effet de brouillage, soit une indistinction des odeurs perçues indexant une saturation physiologique de l’appareil olfactif. Ainsi conçus, les effets odorants proposés par Balez pourraient constituer un outil d’orientation quant à la conception sur-mesure des dispositifs olfactifs prenant une muséalie pour source odorante, ces derniers ne servant ainsi plus l’unique appréhension de sa dimension olfactive, mais également l’optimisation des effets qu’elle serait en mesure de produire sur le visiteur, et dont le diagnostic olfactif, ayant été réalisé par un conservateur et un parfumeur, permettrait l’estimation préalable. La maitrise étant exercée par ces dispositifs quant à la diffusion et la propagation des effluves pourrait donc être estimée en fonction des effets à dominante dynamique, la restitution des saillances perceptives ayant été éprouvées par le parfumeur au cours du diagnostic pouvant par ailleurs et plus avant être évaluée en regard des effets à dominante sémantique. Les effets odorants permettraient ainsi la transposition du potentiel résonant du diagnostic olfactif, de l'espace des réserves à ceux d’exposition et ce, malgré la probabilité d’erreurs pouvant survenir lors de la restitution des effets662, mais également

l’articulation de l’appréhension olfactive des muséalia en contexte expographique avec les

problématiques existentielles de base du sociologue Gerhard Schulze, reconnues par Rosa

comme facteurs d’optimisation de résonance.

l'effet recherché ne se produise pas (ratage par absence d'effet), ou que l'effet produit ne soit pas l'effet recherché (malentendu sur les effets) ou que l'effet perçu ne soit pas l'effet voulu (incapacité perceptive.) La relation, dans son principe, n'a cependant nullement besoin d'être adéquate. »