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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

4. LA RELATION AUX ELEMENTS DE LA REALITE

4.4. METHODOLOGIE

4.4.1 Le diagnostic olfactif des collections

Il fut pourtant convenu que le diagnostic olfactif ne serait pas, tout du moins à l’occasion de ces recherches, développé au contact d’une collection d’art contemporain comme celle de la Fondation Cartier, mais relativement à des collections ethnographiques et ce, pour trois raisons. La première concerne les préjugés sensoriels ayant été signalés par McLuhan quant à la présentation des artefacts que, étant simultanément l’enfant et le garant de ceux de l’Occident préconisant la perception de l’œil au détriment de toutes les autres, le musée agence sur un mode strictement visuel691. Il évoque que chaque culture possède un préjugé sensoriel dont la

689 Dont a notamment découlé la participation de Cartier au projet du Grand musée du parfum, mais également la création de la série OSNI : Objet Sentant Non Identifié.

690 Se reporter à l’annexe n°3, CASTEL Mathilde, « Odorama. L’instinct olfactif de la Fondation Cartier pour l’art contemporain », Les dispositifs olfactifs au musée, Contrepoint, Paris, 2018, pp. 233-281.

691 DELOCHE Bernard, MAIRESSE François, « Vers une nouvelle génération de musées ? », Le musée non

nature des artefacts qu’elle produit constitue une immédiate indication, mais que faute de restituer les modalités de lecture et de compréhension de langages sensoriels n’étant pas les siens, le musée demeure détenteur de quantité d’artefacts extra-européens réduits à l’appréhension visuelle par sa présentation692 et donc, peu ou prou, au silence693. J’avais par conséquent pour hypothèse que résident en les collections ethnographiques des artefacts n’ayant pas été conçus pour être uniquement vus, mais éventuellement pour être également sentis694, et qu’à la manière du récit ayant été formulé par le linguiste Jean Charconnet à propos de l’odeur des expôts africains695, l’appréhension de leur espace spécifique par le diagnostic olfactif

692 COMETTI Jean-Pierre, Conserver/Restaurer, L'œuvre d'art à l'époque de sa préservation technique, Gallimard, Paris, 2016, p.113. « La seule perception immédiate que nous puissions avoir des objets ethnographiques est donc

celle que suscitent en nous les œuvres d'art, sur la base de dispositions propres à notre culture et aux apprentissages qui lui sont liés : la perception esthétique, c'est-à-dire essentiellement attentive (l'attention en est une condition) aux dimensions formelles, à leurs effets émotionnels et au plaisir qui leur est lié. Ce type de perception, défini de la sorte, peut parfaitement être pris en défaut par les œuvres – il s'agit même d'une constance de la modernité dans sa valorisation de l'innovation et sa dépréciation de l'académisme – mais les modalités qui en font partie correspondent à l'idéologie artistique qui s'est imposée depuis le XIXe siècle, et surtout à l'institution muséale : « Le mythe de l'œil innocent et du donné absolu sont de fieffés complices. »

693 MCLUHAN Marshall, PARKER Harley, Le musée non linéaire, Op cit. p. 115.

694 LE BRETON David, La Saveur du monde, Métaillé, Paris, 2006, p. 18. « La vue exerce un ascendant sur les

autres sens dans nos sociétés, elle est la première référence. Mais d’autres sociétés, plutôt que la « vision » du monde, parleraient de « gustation » ou de « tactilité », « d’audition » ou « d’olfaction » du monde pour rendre compte de leur manière de penser ou de sentir leur relation aux autres et à l’environnement. »

695 CHARCONNET Jean, « Bokassa Bokassa », Odeur, L’essence d’un sens, Autrement, n° 92, Septembre 1987, pp. 69-71. « Pendant la journée, un village africain est étonnamment vide, comme abandonné. Il ne reste que

quelques cabris, qui gambadent de-ci, de-là, comiques sur leurs petites pattes, et peut-être quelques vieux au fond des cases, trop fatigués pour aller aux champs. […] Immobile. Silencieux. Fasciné. Je retrouve, identique après les années, cette même odeur. Je suis toujours emporté par sa douce puissance, transporté dans un monde inconnu, mais familier. Ce sont les effluves de la terre et du sang, une odeur qui ne s’en va pas, qui se diffuse lentement dans l’air immobile, comme si elle attendait placidement son heure avec la certitude qu’elle viendra. Une odeur de vie. […] Parfois je la retrouve ici, maintenant que je la connais bien. Du temps a passé, on me demande un article sur une exposition d’art africain. Je regarde tristement les masques et les statues, qu’on a volés pour les mettre dans des vitrines où ils viennent mourir comme dans des cercueils de verre. Et puis, tout d’un coup, transpirant à travers les parois de verre Triplex, la petite odeur est là, rassurante, indestructible, comme pour prouver que quelque chose vit encore. Alors j’ai le sentiment de comprendre le pourquoi de la quiétude que je ressens lorsque je pose le pied sur la terre d’Afrique. C’est la sensation que l’Afrique me prend avec tendresse dans ses grands bras chauds, et maternels. Parce que les ancêtres sont là, leur parfum doux et plein suinte des cases où ils se tiennent. Le temps n’a plus d’importance. […] Je retrouve pendant quelques instants l’absence où

pourrait constituer un cadre optimisé d’expérience résonante avec le monde dont ils proviennent, idée que les témoignages successifs d’Hélène Joubert et Daria Cevoli ont en partie conforté696.

La deuxième raison consiste en ce qu’étant constituées d’objets dits « d’appropriation »697, soit des objets n’appartenant pas stricto sensu au patrimoine occidental mais y ayant été en partie annexés comme trophées de la colonisation, les collections ethnographiques n’ont que tardivement fait l’objet d’un souci de conservation préventive, s’étant lui-même heurté à l’absence de documentation devant être normalement effectuée au cours du prélèvement d’un objet sur le terrain, à la résultante méconnaissance de ces artefacts et des justes manières de les préserver, ainsi qu’à leur conséquente, progressive et silencieuse disparition des réserves du musée698. Dans un article de 1998, Rolland-Villemot indique que l’absence de documentation peut respectivement résulter des méthodes ayant été mobilisées afin de collecter ces objets et qui, neuf fois sur dix, renvoient à l’achat forcé, à la réquisition, et au pillage, ou des dégradations ayant été subi par les objets au cours du temps tels que la moisissure ou les attaques d’insectes699. Quant aux alternatives permettant d’y remédier, elle évoque le cas d’un manteau de marabout ayant intégré les collections du musée des Arts d’Afrique et d’Océanie en 1960 et qui, semblable au manteau de chamane dont Daria Cevoli fit récit de l’acquisition, était recouvert de sachets en tissus attachés par des liens de cuir et contenant des amulettes. Cet objet reteint suffisamment l’attention pour que des mesures soient successivement déployées afin de pallier son manque de documentation. Furent ainsi entamées une étude historique et comparative avec des manteaux du même type, ainsi qu’une analyse technologique par radiographie des matériaux étant contenus dans les sachets, laquelle ne livra que des résultats approximatifs. Rolland-Villemot conclue que les analyses de laboratoire ne sont par conséquent pas en mesure

j’ai été plongé pour la première fois dans la case du féticheur, que je ressens maintenant comme un vide sans menace. Puis je reviens dans cette exposition d’art africain. Je regarde les autres visiteurs, cherche un signe du même envoutement. Ils étudient les cartes fixées aux murs, font de savantes comparaisons. Je reste au milieu de la salle, les yeux clos, respirant lentement. Le parfum des ancêtres est là, même si c’est pour moi seul. »

696 Se reporter au chapitre 2.

697 COMETTI Jean-Pierre, Conserver/Restaurer, L'œuvre d'art à l'époque de sa préservation technique, Gallimard, Paris, 2016, p.108.

698 ROLLAND-VILLEMOT Bénédicte, « Les spécificité de la conservation-restauration des collections ethnographiques », La lettre de l'OCIM, n°56, 1998, p. 15.

de contourner le principe d’intégrité, interdisant ici que les sachets soient ouverts et leur contenu ainsi révélé, pour permettre une connaissance physique totale de l’objet700, et préconise que soit urgemment développée « une politique d’inventaire et de constat d’état des collections

ethnographiques »701 principalement « du point de vue des examens qui permettraient

notamment d’établir un répertoire des matériaux et substances pouvant être rencontrés dans ces objets »702, afin de « privilégier la conservation préventive pour ces collections qui sont parmi les plus fragiles et pour lesquelles les altérations sont en général irréparables »703 mais

également et plus avant, de former des restaurateurs qui leur soient spécifiques. Aussi, bien que les modalités d’approvisionnement de ces collections aient depuis fait l’objet de nombreuses règlementations, demeurent encore dans les musées des objets ethnographiques n’ayant pas été initialement documentés, et auxquels a par exemple pu être attribué une documentation devenue générique aux artefacts d’un même type. J’avais ainsi l’espoir que les soumettre au diagnostic olfactif permettrait de faire ressortir les singularités de chacun, mais également de livrer quelques indices quant à l’identification de leurs matériaux si ces derniers se révélaient encore inconnus.

La troisième raison touche au fait qu’interagir avec des collections ethnographiques questionne ipso facto notre rapport à l’altérité, renvoyant au désir et à la peur dont les instincts articulent les mécanismes de l’olfaction, ainsi qu’au principe de coopération dont Tonelli souligne le nécessaire ménagement quant à la juste compréhension d’une information transmise par l’odeur d’un émetteur à un destinataire. Chaumier écrit que du sentiment inspiré par la perception de l’odeur de l’autre découle la tonalité affective de sa rencontre, telle que la vue permet sa reconnaissance humaine et l’ouïe, sa reconnaissance sociale, mais que seul l’odorat favorise sa reconnaissance charnelle, et par la naissance qu’il engendre simultanément du désir de l’approcher ou de s’en éloigner, signifie le plus fort rapport pouvant être engagé avec autrui, car « l’odeur, c’est le corps avant le corps »704. Débordement de ce dernier hors des limites de la peau, elle rappelle la perméabilité des frontières, l’impossibilité d’être seul avec soi et la

700 Ibid.p. 17. 701 Ibid. p. 18. 702 Ibid. 703 Ibid.

constante intrusion de l’autre, qu’il s’agisse alors d’une pénétration consentie ou d’un viol705. De fait, si l’odeur de l’autre participe d’envolées amoureuses et passionnelles particulièrement ardentes706, réside également en elle un puissant ressort de racisme par lequel « l’altérité sent

705 JAQUET Chantal, Philosophie de l’odorat, Presses Universitaires de France, Paris, 2010, p. 54.

706 MARCADE Bernard, « Odor di femina », Odeurs : l’essence d’un sens, Autrement, n°92, Paris, 1987, p. 144.

« Je sus que je l’aimais quand je compris que j’acceptais toutes ses odeurs, les plus intimes, les plus extrêmes, les plus douteuses… j’aimais jusqu’à ses parfums les plus indiscrets, jusqu’à ses sécrétions et humeurs les plus inavouées. »

souvent mauvais »707 et fait que « nous sommes toujours le puant de quelqu’un »708. Discrimination olfactive ne servant par ailleurs pas l’unique rejet des ethnies, mais également celui de toute catégorie ayant été reconnue comme inférieure ou misérable, telle que celles des

707 FAIVRE Hélène, Odorat et humanité en crise à l’heure du déodorant parfumé : pour une reconnaissance de

l’intelligence du sentir, Harmattan, Paris, 2013, p. 33.

LE BRETON David, « Les mises en scènes olfactives de l’autre. Ou les imaginaires du mépris », À fleur de peau.

Corps, odeurs et parfums, Belin, Paris, 2003, p. 116.

JAQUET Chantal, Philosophie de l’odorat, Presses Universitaires de France, Paris, 2010, pp.100-101. « Le

médecin français Bérillon, marqué par l’idéologie de la Grande Guerre, en vient à forger une « odeur de boches » et à donner corps à l’idée d’une maladie ethnique pestilentielle, la bromidrose fétide de la race allemande. Inventeur d’une fausse science, l’ethnochimie, Bérillon s’estime en mesure de pouvoir définir des races et des caractères en fonction de la composition chimique des odeurs. […] Ce brillant diagnostic vise à animaliser l’ennemi et à le ravaler au rang de bête brute incapable de maîtriser son instinct. En somme, l’Allemand est un vrai putois. »

ALBERT Christiane, « L’insoutenable odeur de l’Afrique », Odeur, L’essence d’un sens, Autrement, n° 92, Septembre 1987, pp. 147-148, à propos de la littérature coloniale sur l’Afrique noire et les ouvrages MARAN René, Batouala, 1921, GIDE André, Voyage au Congo, 1927, D’ESME Jean, Fièvres, 1935, GUILLOT René, Le

blanc qui s’est fait nègre, 1946, BEDEL Maurice, Tropiques noirs, 1950, et CELINE Louis-Ferdinand, Voyage au bout de la nuit, 1952. « Le climat d’abord accable. Si André Gide s’extasie sur la pureté de l’air « parfois si léger, si suave, si voluptueusement doux, qu’on croit respirer le bien être », son enthousiasme n’est pas partagé par la plupart des écrivains qui s’accordent à trouver « qu’il y a quelque chose de pourri dans l’air » qui ressemble à une « purée de miasmes. » La chaleur, la moiteur, l’humidité « pèsent aux épaules comme une couverture de laine mouillée. » Rien ne permet d’échapper à cette sensation désagréable, aggravée par le fait que, quelle que soit la région d’Afrique évoquée – savane ou forêt – règne une odeur « âcre », « âpre », « piquante », « forte », « desséchée », une odeur de « fermentation, de terre fiévreuse », « une odeur chaude sauvage qui monte de cette haleine puissante. » Les pluies, parfois, permettent de respirer « la bonne odeur des terres mouillées » mais cette odeur a vite fait de se métamorphoser sous la plume de l’auteur qui l’évoque en « pestilence de la brousse inondée. » Il se dégage, alors, « une fade odeur de boue et de pourriture végétale. » Elle finit par recouvrir toutes autres senteurs que l’on pourrait supposer plus agréables comme celles des fleurs, de la végétation ou des arbres, dont il n’est jamais question dans ces ouvrages. […] La faune, elle aussi, empoisonne littéralement. Les hippopotames « se vautrent dans des cuvettes pestilentielles. » Les fauves se signalent le plus souvent par « leur puanteur sauvage », par « une âcre senteur mêlée à des relents putrides », ou éventuellement par une « immonde odeur de charogne. » Les insectes, particulièrement les fourmis, laissent derrière eux « une prenante odeur de pourriture », quant aux chenilles, si on les écrase, maladroit, gare à soi ! On est puni par huit jours consécutifs de puanteur extrême qui se dégage lentement de cette bouillie inoubliable. »

pauvres, des domestiques, des prostituées709 mais également des femmes en général710, des homosexuels711 ou encore des professeurs712. Lesquels peuvent alors tenter de parer les motifs de cette exclusion en désodorisant leur propre corps afin de le parfumer agréablement713, artifice pouvant un temps faire illusion, mais conduisant fatalement à sa propre désignation, engendrant de fait, la réitération de la dénonciation de leurs origines ainsi que l’accentuation de leur rejet714. Alternative à l’égard de laquelle peut être désormais préconisé un principe de coopération tel que « la confrontation au nez de l’autre d’une odeur ayant été choisie pour soi, ne peut être

envisageable qu’à la condition que chaque acteur consente à fournir un minimum d’effort »715.

Cometti écrit que par le souci étant désormais accordé à la préservation des collections ethnographiques, transparait aujourd’hui la reconnaissance d’une altérité respectée716. Quand est-il pourtant de la restitution muséale de son odeur quand ceux étant supposés la connaitre, conservateurs, par ailleurs ethnologues ou anthropologues, n’ont pas été formés à l’objectivité

709 CORBIN Alain, Le miasme et la jonquille : L’odorat et l’imaginaire social au XVIIIe et XIXe

siècles, Flammarion, Paris, 1982, pp. 209-223.

710 JAQUET Chantal, Philosophie de l’odorat, Presses Universitaires de France, Paris, 2010, p. 96. 711 Ibid. p. 92.

712 CORBIN Alain, Le miasme et la jonquille : L’odorat et l’imaginaire social au XVIIIe et XIXe siècles, Flammarion, Paris, 1982, p.117, à propos d’une étude de Paul Gerbod. « Ces vieux célibataires insatisfaits dont

les anciens élèves bourgeois gardent en souvenir l’odeur de sperme et de tabac se sont révélés incapables de mener à bien leur rêve de promotion, comme celle que dégagent les membres du clergé issus du peuple, leur puanteur continue de trahir leur origine. »

713 JAQUET Chantal, Philosophie de l’odorat, Presses Universitaires de France, Paris, 2010, p. 101. « Parfois

l’intégration à la communauté repose sur un processus de substitution d’une odeur à une autre. Le parfum qui éclipse l’odeur initiale opère alors comme un agent d’assimilation. Il abolit la différence et em rend semblable à l’autre. »

714 Ibid. p. 103, évoquant la pièce La Cerisaie, écrite par Anton Tchekhov au début des années 1900. « Loin d’être

abolie, la distinction de classe se déplace sur le terrain olfactif, car les individus issus d’une couche sociale inférieure trahissent toujours leur origine par un usage peu discret du parfum de luxe ou par l’aspersion de senteurs peu raffinées. […] Il en résulte une nouvelle forme d’ostracisme, qui consiste à se gausser du parfum des parvenus qui se révèlent comme tels en raison de leur mauvais goût. Trop ou mal parfumé, le parvenu sent la vulgarité à plein nez. […] Ironie du sort : l’usage du parfum, au lieu d’être une manière d’éclipser la mauvaise odeur de ceux qui sont jugés inférieurs, devient un nouveau moyen de les stigmatiser. »

715 TONELLI Amandine. « Effluve de Communication. Le rôle de l’odeur dans la communication interpersonnelle : vers une modélisation de la communication olfactive » thèse, Marseille, 2011, p. 9.

716 COMETTI Jean-Pierre, Conserver-Restaurer, L'œuvre d'art à l'époque de sa préservation technique, Gallimard, Paris, 2016, p.109.

de son appréhension sur le terrain717 ? Quel peut donc être, encore de nos jours, le degré d’impartialité du musée quant à la restitution de l’odeur de l’autre ? L’application du diagnostic olfactif aux collections ethnographiques ne peut en l’état résoudre une telle question, sa vocation étant d’être exécutée dans un musée, évoquer à son occasion la nature de l’odeur de l’autre, reviendrait à confronter les souvenirs d’un conservateur l’ayant véritablement mais partialement appréhendée, à l’appréhension impartiale d’un parfumeur d’un de ses substituts, autrement dit, l’un comme l’autre n’a jamais eu l’occasion de l’assimiler objectivement à la source. Choisir les collections ethnographiques constituait en cela une prise de risque, puisque bien que le parfumeur possède en sa mémoire les références de plusieurs centaines de matières premières odorantes, ainsi que les effets pouvant résulter de leurs combinaisons et dégradation, la probabilité que puissent régulièrement coïncider avec cette base de données les matériaux constitutifs d’objets étant issus de ces collections, était relativement faible. Je nourrissais toutefois l’espoir qu’au détriment d’une démonstration de sa justesse, à laquelle la successive présentation au parfumeur de référents odorants caractéristiques du terrain de provenance des objets étudiés, permettrait aisément de remédier, appliquer le diagnostic olfactif à des collections ethnographiques permettrait celle de sa fiabilité. Il suffirait en effet que le parfumeur admette ne parvenir à l’identification d’une odeur étant exhalée par un objet, perspective dont la probabilité fut donc sciemment augmentée par ce choix de collections, afin de démontrer sa capacité à se prémunir d’un jugement olfactif subjectif et donc, à exercer le principe de coopération préconisé par Tonelli quant à la transmission d’informations par l’odeur. Choisir les collections ethnographiques revenait donc à prioriser la démonstration de la fiabilité du diagnostic olfactif lorsque ce dernier se voit appliqué à l’étude des collections de musée, sa justesse ne pouvant à l’évidence qu’être améliorée à mesure de sa répétition sur différentes variétés d’objets.

717 Verbatim d’entretien réalisé avec l’anthropologue Alain Epelboin, le 21 janvier 2016. « J’ai principalement

effectué des terrains dans les cultures pygmées au Sénégal. La dimension olfactive dont je me souviens très distinctement lors de ces sessions, c’est celle due au fait que les pygmées ont des poils très longs, une activité sexuelle très forte et un accès à l’eau seulement une fois par jour. Donc comment dire, ils étaient constamment échauffés, éprouvés par la chaleur et sentaient le sexe à plein nez. […] Je me souviens des odeurs de la décharge, de celle du karité non raffiné, je me souviens également du fait qu’avant la chasse, les pygmées déposaient un peu