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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

3. LA PRESENTATION DES ELEMENTS DE LA REALITE

3.1 LE MUSEE

3.1.1 L’idéal aseptique

Si la fonction originaire du musée est de « protéger l’image de l’homme de toute forme de

souillure, de montrer l’humain, non dans ses rapports ou ses analogies avec la bête […] mais dans ses sommets, bref, dans ce qui est appelé à symboliser l’esprit »386, son idéal relève de

l’immaculé, de l’aseptique et donc, de l’inodore. Il est lieu de morale et de maitrise, d’ordre et de discipline, transparaissant dans l’hygiène conçue comme conservation de soi, préservation des autres et signe de vertu387. Cet espace où, pour faire image, l’homme doit se délester de toute odeur contrariant la morale hygiéniste, et notamment relative aux excréments et menstrues ainsi qu’aux humeurs telles l’haleine, le rot, les flatulences et la sueur388. Jaquet indique que « ce refoulement de l’odeur et la volonté d’aseptisation des sociétés modernes débouchent sur

une censure très grande de l’expression olfactive sous toutes ses formes »389, sur un genre de

musée-hôpital qui, contrairement à Grenouille390, parvient à conquérir son aura du fait qu’il ne sent rien ou tout du mois, fleure cette « indéfinissable odeur de propreté »391. Idéal qui, pour

devenir concret, nécessite qu’en plus de la température, du taux d’humidité ainsi que de nombreux autres paramètres392, le musée soit également capable de maitriser les flux d’air circulant dans son enceinte, ainsi que les odeurs susceptibles d’être véhiculées dans leur mouvement, aptitude que Corbin reconnait comme participante de la dynamique répressive de Foucault393, laquelle alimenta notamment et régulièrement la théorie du musée. Or, si

386 DELOCHE Bernard, Le musée virtuel, Presses Universitaires de France, Paris, 2001, p.98. 387 JAQUET Chantal, Philosophie de l’odorat, Presses Universitaires de France, Paris, 2010, p. 55. 388 Ibid.

389 Ibid.

390 SÜSKIND Patrick, Le parfum : histoire d’un meurtrier, Fayard, Paris 1986. C’est parce que Jean-Baptiste Grenouille refuse d’être venu au monde sans odeur et cherche à réparer ce défaut qu’il se met en quête de créer un parfum capable d’inspirer de l’amour aux hommes. « Si ce bâtard n’a pas d’odeur, c’est parce qu’il est en bonne

santé, s’écria Terrier. Il se porte bien, alors il n’a pas d’odeur. Il n’y a que les enfants malades qui ont une odeur, c’est bien connu. Tout le monde sait qu’un enfant qui a la petite vérole sent le crottin de cheval ; s’il a la scarlatine, il sentira les pommes blettes, et s’il souffre de consomption, il sentira les oignons. »

391 CSERGO Julie, Liberté, égalité, propreté, Aubier-Montaigne, Paris, 1988, p. 280. 392 THOMSON Garry, The museum environment, Routledge, United Kingdom, 1978.

« l’obsédante ventilation » s’engage dans « la lutte contre le recoin obscur où stagne l’air

vicié »394, le contrôle de l’odeur implique de savoir éliminer les effluves ayant été reconnus

comme indésirables, afin d’y substituer ceux relevant de la propreté. Leur maîtrise implique donc une « sélection plus ou moins fines des odorants à faire disparaitre ou à apporter, ainsi

que des choix techniques relatifs au positionnement spatial et aux temps de fonctionnement des dispositifs »395, ces derniers ayant également fait l’objet d’un inventaire au sein de la thèse de

Balez. La désodorisation surviendrait lorsque l’interprétation hédonique d’une odeur perçue s’avèrerait suffisamment négative pour que soit prise la décision de s’en débarrasser, la ventilation396 permettant alors de remplacer le nauséabond par un air plus neutre, et pouvant par ailleurs être combinée à divers procédés favorisant la récupération des molécules odorantes (adsorption, ionisation, lavage par absorption) ou leur destruction (lavage par oxydation, photocatalyse).

Phénomène de pénétration superficielle d’un solide par un gaz, l’adsorption peut être suscitée par l’aménagement de systèmes favorisant le passage des flux d’air afférents aux réseaux de ventilation par des filtres conçus afin de retenir certains composés organiques volatils. Bien que pouvant résulter de la mobilisation d’un grand nombre de composants, la spécificité d’une

394 CORBIN Alain, Le miasme et la jonquille : L’odorat et l’imaginaire social au XVIIIe et XIXe siècles, Flammarion, Paris, 1982, p. 141.

395 BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit : perception des usagers et dispositifs techniques et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire, thèse, Nantes, 2001, p. 70.

396 BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit : perception des usagers et dispositifs techniques et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire, Op cit. p. 71. « La

ventilation, qu’elle soit passive ou mécanique, n’a que rarement des fonctions spécifiquement « désodorisantes » puisqu’il s’agit de renouveler l’air des bâtiments principalement afin d’y maintenir une hygrométrie et un taux de gaz carbonique suffisamment faibles. La ventilation mécanique contrôlée, ou VMC, équipé aujourd’hui tous les bâtiments contemporains (dans la société occidentale). Elle permet de réguler et d’optimiser les débits d’airs de façon à éviter les gaspillages d’énergie. […] La ventilation mécanique contrôlée n’a qu’un objectif indirect de gestion de l’odeur, à travers le renouvellement de l’air dans le bâti. En même temps, en mettant différentes pièces en « contact » aéraulique, elle peut jouer un rôle dans la propagation des odeurs et elle peut même être à l’origine d’odeurs parasites si elle n’est pas correctement entretenue. La présence systématique de VMC dans les bâtiments construits ou rénovés depuis une quarantaine d’années doit en outre nous amener à distinguer les volumes des espaces de leurs « volumes aérauliques », c’est-à-dire leurs volumes d’air augmentés de leurs taux de renouvellement. Une odeur va en effet probablement se « concentrer » différemment dans un espace ventilé ou dans un volume clos. »

adsorption par matériau poreux réside en ce que son efficacité est régulièrement proportionnelle au taux d’humidité de l’air, et nécessite en conséquent, afin qu’une performance minimale puisse être constamment assurée, que le choix du composé soit prioritairement opéré en fonction de sa porosité en conditions humides, raison pour laquelle le charbon actif se voit souvent privilégié. Permettant une performance malléable par choix de ses origines, telles que le bois, la tourbe ou encore la noix de coco, et modulation de ses formes, allant de la poudre à la membrane en passant par les granulés, billes, mousses et fibres, il favorise de surcroit la récupération des éléments capturés par opération d’une simple désorption à la vapeur d’eau. Le principe d’ionisation renvoie à la dispersion dans l’air d’atomes de charges positive et négative afin qu’ils s’y lient aux particules, poussières, débris, fumée, pollens, et composés organiques volatils, dont les odorants, et qu’ainsi chargés, ces éléments entament de se fixer entre eux puis sur les surfaces avoisinantes. Phénomène de pénétration totale d’un liquide par un gaz, le lavage par absorption permet de neutraliser les odorants en les faisant passer de l’air à l’eau, et peut également se décliner en lavage par oxydation lorsque le besoin est à leur élimination, impliquant dès lors l’ajout au liquide nettoyant d’une solution basique telle que la soude contribuant à la destruction des molécules acides, et d’un oxydant tel que l’eau de Javel ou le permanganate de potassium, contribuant à celle des molécules carbonylés, animés et soufrés. Consistant enfin en l’activation par les ultraviolets d’un solide semi-conducteur, ou rendu comme tel suite à l’application d’une solution contenant par exemple du dioxyde de titane, engendrant une réaction chimique impliquant la dégradation des composés organiques volatils présents dans l’air en dioxyde de carbone, eau et radicaux libres, la photocatalyse est utilisée afin de traiter des surfaces qui pourront plus avant « s’auto-nettoyer » grâce à la lumière du soleil.

Un choix successif, mais optionnel, d’odorisation peut par ailleurs être opéré au recours de procédés relevant de l’évaporation, de la vaporisation ou de la micro-encapsulation. Employée quant à des espaces de moindre volume, la diffusion de molécules odorantes par évaporation se décline en une voie passive, consistant à mettre au contact de l’air une solution odorante ayant préalablement imbibé un matériau poreux par capillarité, et une voie active, renvoyant à l’accélération du processus de désorption du liquide par le matériau au recours d’appareils générant chaleur ou vapeur d’eau, l’évaporation à froid contribuant au maintien la stabilité olfactive des molécules lors de leur propagation dans l’air. Principalement incarnée par la bombe aérosol, la vaporisation consiste en la projection d’un liquide odorant sous forme de fines gouttelettes, dont la vitesse de propagation peut être améliorée par recours à des

générateurs de flux d’air, et le déclenchement, modulé par minuteur ou détecteur de mouvement. Couramment utilisée quant aux échantillons de parfums fournis dans les magazines, la technologie de la micro encapsulation suscite enfin, par séchage d’un liquide odorant mélangé à un composé spécifique, la formation de capsules capables de préserver l’effluve du premier puis de le libérer sous l’effet d’une simple action mécanique telle que le grattage. La préservation des œuvres demeurant une priorité pour le musée, l’ensemble de ces procédés se restreignent à des odorisations de proximité car il n’existe en effet, et à ma connaissance, exception ici faite des expositions de Diana Vreeland397, aucun établissement ayant favorisé une odorisation générale intervenant directement sur le système de ventilation, au détriment d’une odorisation locale opérant par implantation stratégique de dispositifs de diffusion au sein d’espaces sélectionnés. Le musée aurait ainsi bien plus tendance à « désodoriser » que l’inverse398, pour autant, peut-il être avéré qu’il parvienne à relever de l’inodore ?

En visite au musée d’ethnographie, Picasso déclare : « Quand je suis allé au Trocadéro, c'était

dégoûtant. Le marché aux puces. L'odeur. J'étais tout seul. Je voulais m'en aller. »399. Au cours

d’une journée d’étude, Mairesse raconte :

397 PRONITCHEVA Karina, L'industrie de la parfumerie française et les musées : entre public et privé, thèse, Paris, 2016, p. 95. « Fantasmagoriques, les expositions de Diana Vreeland se caractérisent par la véracité

historique approximative, les décors exagérés et stylisés, la lumière théâtrale, la musique d'ambiance et la diffusion dans les salles d'exposition de parfums connus. Ainsi, elle associe à l'exposition The Glory of Russian Costume, le parfum Cuir de Russie de Chanel ; à l'exposition The Manchu Dragon, le parfum Opium d'Yves Saint Laurent ; à l'exposition The Eighteenth-Century Woman, le parfum Nahema de Guerlain ; à l'exposition La Belle époque, le parfum l'Heure bleue de Guerlain ; à l'exposition Yves Saint Laurent, le parfum Paris d'Yves Saint Laurent. Tous les matins, ces parfums sont diffusés dans les salles d'exposition, à travers le système de ventilation. »

398 DROBNICK Jim, « The Museum as Smellscape », The multisensory museum: cross-disciplinary perspectives

on touch, sound, smell, memory and space, AltaMira Press, U.S, 2014, p.183. “A primary challenge for olfactory art is the dominant type of space available at major museums and galleries: the white cube. Such spaces are designed for the display of objects through a visual logic of white paint, geometric rooms, and even lighting to create what Rodolphe El-Khoury terms “olfactory silence.” They are often inhospitable places for any kind of creative or positive olfactory experience, due to their eradication of odors and other sensory stimuli that might distract from a focused optical encounter. While a sanitized/deodorized exhibition space could bear a useful purpose for olfactory artworks in that it offers a clean slate for them to “appear,” even pleasant scents can be stigmatized in the context of the white cube.”

« À mon sens, il existe en effet quelque chose qui pourrait relever d’une odeur de musée, mon souvenir le plus fort en la matière renvoie à un établissement qui se situe à Tervuren en Belgique : le musée royal d’Afrique centrale. Il s’agit d’une odeur que je pourrais identifier comme étant celle du formol, mêlée à des effluves d’animaux empaillés et de bois exotiques, une odeur singulière que je ne suis jamais parvenu à retrouver ailleurs »400.

Et Drobnick de conclure à l’occasion d’un article dans The multisensory museum :

« Aucun espace ne peut être exempt de toute odeur, car les atmosphères intérieures et extérieures portent les vestiges olfactifs d'activités humaines et de processus naturels. Malgré leurs efforts pour créer les conditions d’une expérience visuelle pure, les musées ne sont ici pas différents. L’odeur des produits de nettoyage laisse une trace de leur utilisation, l’arôme des restaurants et des cafés se glisse dans les coins, et le sillage des visiteurs trop parfumés demeure à travers les différents espaces »401.

Il apparait en effet que de nombreux paramètres entravent l’acheminement du musée sur la voie de l’aseptique, ayant notamment pour conséquence l’impossibilité pour l’appréhension olfactive des musealia, d’être envisagée dans les espaces d’exposition de la même manière que dans les réserves, un diagnostic de la teneur odorante de ces premiers s’avérant au préalable nécessaire pour déterminer les modalités d’appréhension qui doivent y être privilégiées.