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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

2. LES SELECTION ET THESAURISATION DES ELEMENTS DE LA REALITE

2.4 LE DIAGNOSTIC OLFACTIF DES COLLECTIONS

2.4.2 L’expertise du parfumeur

Un panorama des technologies permettant l’étude des composés odorants fut dressé par Balez dans une thèse d’architecture soutenue en 2001, à l’occasion de laquelle, et au sujet d’outils tels que la SPME, le headspace371, le nez électronique372, et de procédés d’analyse tels la chromatographie en phase gazeuse373 et la spectrométrie de masse374, elle précise que « ces

techniques indiquent qu’il existe un produit donné, en proportion donnée, mais pas lequel, ni à quoi il correspond en termes d’odeur »375. Elle explique successivement qu’un « nez humain reste nécessaire pour dire s’il y a une odeur, et éventuellement la décrire »376 tout en spécifiant

que pour être recevable scientifiquement, la perception olfactive vécue et mise en mots par un sujet, étant donnée l’absence d’un vocabulaire commun pour parler des odeurs, doit succéder à la mise en place de référents odorants aussi précis que possible. Or, s’il n’existe pas de langage amplement partagé pour rendre compte des stimuli olfactifs que nous éprouvons quotidiennement377, la micro-communauté que constituent les parfumeurs possède, quant à elle, un lexique commun de parfumerie. Otero Pailos est un architecte enseignant à l’université

371 Le headspace est une technique de microextraction sur phase solide permettant d’identifier les composés odorants présents dans l’air environnant des objets, ce que l’on appelle leur « espace de tête ». Développée dans les années 1970, elle permit notamment aux parfumeurs de créer des substituts odorants aux fleurs ne permettant pas l’obtention d’une huile essentielle via les traditionnelles techniques d’extraction.

372 Le nez électronique est un appareil permettant la détection, l’identification, la comparaison et la quantification des composés odorants ayant été répertoriés au sein de son système. Développées depuis 1990, ses performances progressent rapidement, permettant par exemple, à la manière d’un chien dressé, d’effectuer le dépistage de drogues ou d’explosifs. Le nez électronique ne peut néanmoins détecter un composé pour lequel il n’a pas été programmé, performer une évaluation de type hédonique, ou réaliser des mesures in situ.

373 La chromatographie en phase gazeuse est une technique permettant la séparation des différentes molécules présentes au sein d’un mélange complexe susceptible d’être vaporisé sans se décomposer.

374 La spectrométrie de masse est une technique permettant l’identification de la structure chimique d’une molécule par mesure de sa masse. Un couplage de la chromatographie en phase gazeuse et de la spectrométrie de masse est régulièrement opéré quant à l’analyse des molécules comprises dans un mélange.

375 BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit : perception des usagers et dispositifs techniques

et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire, thèse, Nantes, 2001,

p. 89. 376 Ibid.

377 DE SWARDT Delphine, « Parler des odeurs, c’est créer du malentendu joyeusement partagé » Smell talks, NEZ la revue olfactive, Paris, 18 juin 16. Mais également, DE SWARDT Delphine, Des mots au parfum. La

Columbia particulièrement connu pour ses recherches dites, de conservation expérimentale, au sein desquelles se voit accordée une attention toute particulière à l’olfaction. Il intervint notamment au Morgan Library museum en 2017 afin de tester une hypothèse selon laquelle les ouvrages qui y sont entreposés auraient pu conserver l’odeur du bâtiment lors de sa création en 1924. L’année précédente, il consacre un numéro de la revue Future Anterior à la thématique de la conservation olfactive, dans lequel figure que parce que « tout effluve, sans exception,

résulte de la vie »378, « l’odeur peut être pour la première fois utilisée pour dire la vérité et fonder les bases d’une conservation critique »379, mais également que « la meilleure technique

pour capturer et documenter les odeurs consiste, comme auparavant, à emmener un parfumeur dans un endroit et à lui demander d’écrire ce qu’il sent »380. Raison pour laquelle lors de sa

visite au musée l’année suivante, Otero Pailos fut notamment accompagné de Carlos Benaim381. L’expertise du parfumeur réside en ce qu’en plus des souvenirs olfactifs ayant été accumulés tout au long de sa vie, il conserve de son apprentissage, mais également de son exercice, la fine connaissance de plusieurs centaines de matières premières odorantes d’origine simultanément naturelle et synthétique, ainsi que les effets pouvant résulter de leur combinaison ou dégradation. En sa mémoire réside de fait une des bases de données les plus complètes pouvant être liées au nez humain382. Un parfumeur est également en mesure de percevoir, identifier, désigner et décrire une odeur de manière instantanée ce qui favorise l’opération d’un diagnostic in situ en temps réel383. Par ses soins, une senteur étrangère peut par ailleurs être détectée et faire l’objet d’une description comparative des effets visant l’estimation de sa nature la plus probable. La maitrise qu’il possède enfin de sa faculté d’imagerie mentale olfactive, assure que

378 KAISER Roman, “Headspace: An Interview with Roman Kaiser”, Future Anterior, vol. 13, n°2, 2016. 379 JASPER Adam, OTERO-PAILOS Jorge, “Smell and preservation”, Future Anterior, vol. 13, n°2, 2016. 380 Ibid.

381 Parfumeur réputé de la société de composition IFF (International Flavors and Fragrances) pour laquelle il travaille depuis 1976.

382 DUBOIS Sébastien, MOHIB Najoua, OGET David, SCHENK Éric, SONNTAG Michel, « Connaissance et reconnaissance de l'expert », Les Cahiers de l'INSA de Strasbourg, 2005, p. 94. « Pour atteindre cette intelligence

de la situation, l'expert doit être capable d'avoir à la fois une vision globale et une capacité à analyser la situation, et de disposer d'une base de connaissances théoriques du domaine et d'un portefeuille de savoirs pratiques en interaction. C'est sans doute à ce niveau que l'expert se distingue du savant. »

383 Ibid. p. 91. « La capacité à recontextualiser rapidement les connaissances pourrait fonder la compétence de

les effluves dont il est amené à rendre compte relèvent de la véritable odeur des choses, autrement dit, recourir à son expertise semble garantir la performance d’un diagnostic olfactif sagace. Lequel ne peut toutefois prétendre en l’état à l’avènement d’un attributionnisme de type olfactif puisque manque à l’expertise odorante la connaissance personnelle des musealia, nécessaire à l’articulation de l’histoire d’un objet avec ses effluves, soit, le recours aux conservateurs. Dubois écrit que « tandis que le savant maitrise des savoirs formalisés […]

l'expert se situe dans la décision et l'action, toujours singulière et contextualisée, où les savoirs empiriques peuvent servir de repères pertinents pour agir ou proposer des actions adaptées »384, et permet ainsi d’entrevoir la nature d’un diagnostic olfactif simultanément

susceptible de résonance, et capable de contribuer à l’à venir d’une nouvelle forme d’attributionnisme. Il résulterait d’un dialogue entre un parfumeur et un conservateur à propos de l’odeur émise par une musealie dont ce dernier a la charge. Évoluant au fil d’une appréhension partagée et réitérée de cet effluve, une telle interaction ne peut avoir lieu qu’à l’occasion de la réunion physique des sujets et de l’objet en une même unité de lieu et de temps. De fait, la performance d’un tel diagnostic nécessite la création d’un cadre d’expérience spécifique au sein duquel peut s’opérer une reconnexion des mondes subjectif (les expertises du parfumeur et du conservateur) matériel (la musealie étudiée) et social (le dialogue) visant la détection et l’identification des indices olfactifs manifestés dans l’espace spécifique d’un objet (l’attributionnisme) ainsi que leur interprétation par assimilation (la perspective résonante). Ainsi conçu, le diagnostic olfactif des musealia permettrait d’opérer l’actualisation résonante des phases de sélection et de thésaurisation de la muséologie de Stránský.