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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

2. LES SELECTION ET THESAURISATION DES ELEMENTS DE LA REALITE

2.4 LE DIAGNOSTIC OLFACTIF DES COLLECTIONS

2.4.1 Les composés organiques volatils

Lattuati-Derieux entreprend dès 2004 la publication de ses recherches quant à l’identification des composés organiques volatils, dits aussi COV, émis par les matériaux du patrimoine culturel360, lesquelles furent successivement synthétisées à l’occasion d’une habilitation à diriger des recherches ayant été soutenue en 2015361. La mobilisation de ces travaux souhaitant contribuer au développement de techniques analytiques des éléments authentiques qui soient non invasives, ses activités consistent à établir des dossiers scientifiques relatifs aux interventions pratiquées sur les œuvres d'art, soit « la caractérisation, par des méthodes

physico-chimiques des composés organiques naturels présents à l'état de traces dans les prélèvements, tels que les huiles, cires, résines, colles, et gommes »362. Les COV sont ici

compris comme l’ensemble des composés libérés sous forme gazeuse par des matériaux émissifs au cours du temps et à température ambiante, lesquels peuvent être inodores comme émettre un effluve relativement distinct. Or, si les recherches de Lattuati-Derieux tirent davantage leurs conclusions de la quantité de COV émis que de la qualité de leur nature odoriférante, cette dernière, à la manière d’un chasseur flairant sa proie, lui servit toutefois d’indice quant à l’identification des objets susceptibles de se prêter le mieux à son analyse, car plus une odeur est intense, plus elle suggère une importante émission de COV363. De fait, elle

358 Ibid. p. 414.

359 DELOCHE Bernard, Le musée virtuel, Op cit. p.138-142. « La conservation fait-elle ou non partie des moyens

de mise en œuvre du muséal ? Il est en effet permis de se demander si la préservation fétichisante des originaux relèvement vraiment de la documentation intuitive concrète. »

360 LATTUATI-DERIEUX Agnès, BONNASSIES-TERMES Sylvette, LAVEDRINE Bertrand, “Identification of volatiles organic compounds emitted by a naturally aged book using solid-phase microextraction/gas chromatography/mass spectrometry”, Journal of chromatography A, vol. 1026, n°1-2, 2004, p. 9-18.

361 LATTUATI-DERIEUX Agnès, Les matériaux organiques du patrimoine culturel : Identification,

compréhension de processus d'altération et propositions de procédés de préservation, HDR, Clermont Ferrand,

2015. 362 Ibid. p. 12.

363 Ibid. p. 25. « En raison de son fort caractère odoriférant, il nous est apparu que la détection et l'identification

des COV émis par SPME-GC-MS pourraient permettre la caractérisation de cette substance. Cette méthode sensible pourrait servir de dépistage rapide n'altérant pas l'échantillon initial qui pourrait donc être utilisé pour

accorda une attention particulière à l’émanation odorante des éléments authentiques, et plus particulièrement ceux de nature cellulosique364, botanique365 et plastique366, ce qui permit par ailleurs d’avérer la réalité de leur dimension olfactive, ce dont nous n’avions pas encore apporté

des analyses complémentaires ultérieures. » Ibid. p. 36. « Cette recherche portait sur la caractérisation des COV présents dans une vitrine d'exposition du musée d'Orsay contenant une sculpture en cire, Le mineur de la Loire (Jean-Joseph Carriès, datée vers 1886, salle n°56) et sélectionnée pour la forte odeur de son atmosphère afin de vérifier s'il était possible d'identifier les matériaux constitutifs de la sculpture à partir des COV puis d'évaluer leur éventuelle nocivité pour les objets exposés dans leur environnement proche. » […] « La méthodologie de SPME-GC-MS définie et appliquée pour la première fois directement à des objets de musées a permis de mettre en évidence des COV marqueurs de la cire d'abeille et d'identifier la nature des COV présents dans l'atmosphère de la vitrine d'exposition et d'en expliquer la forte odeur. » Ibid. p. 41. « Dans la mesure où il est largement reconnu que les livres anciens émettent des odeurs caractéristiques nous avons développé une méthodologie de SPME-GC-MS permettant d'offrir une caractérisation qualitative précise des COV émis par des livres anciens puis d'identifier des COV marqueurs de dégradation. » […] « Nous avons pu identifier plus de cinquante COV issus de la dégradation du papier. Ces COV participent à l'odeur caractéristique du livre. Ainsi, les acides et les aldéhydes de faible masse moléculaire sont connus pour leurs caractères odoriférants, le benzaldéhyde, l'éthylbenzène, le toluène, le 2-éthyl hexanol ainsi que la vanilline procurent des odeurs d'amande, fruitée, florale et vanillée, respectivement. » Ibid. p. 62. « La seconde question concernait la possibilité d'identifier les COV odoriférants afin de mieux appréhender les odeurs de certains objets. Ainsi, un peigne très dégradé (daté d'environ 1910, n° 58.69.40, musée Galliera) présentant une forte odeur balsamique (et donc très probablement en nitrate de cellulose) et cassé en de nombreux fragments rassemblés dans un sachet fermé en polyéthylène a tout d'abord été sélectionné. Parmi les COV, la présence de composés odoriférants tels que le camphre et de certains de ses isomères a été mise en évidence montrant ainsi qu'ils diffusent toujours au travers de la matrice. » Ibid. p. 57. « Quatre plastifiants ont été identifiés de manière prédominante. Il s'agit du 2,2,4-triméthyl-1, 3-pentanediol diisobutyrate (TXIB), un plastifiant odoriférant largement utilisé dans la fabrication des plastiques souples et pour lequel des études de qualité de l'air intérieur ont signalé qu'il pouvait engendrer une gêne olfactive et des sensations d'irritation. »

364 Ibid. p. 17. « Plusieurs études ont porté sur les COV de documents cellulosiques (papiers, livres, encre gallique)

afin d'évaluer leurs rôles potentiels de marqueurs de dégradation de livres anciens et de polluants atmosphériques intérieurs dans les archives et les bibliothèques. »

365 Ibid. « La SPME-GC-MS a également été appliquée à l'étude de la fraction volatile de substances naturelles

(myrrhes, olibans, mastics, résines de pin, cires etc) de différentes origines botaniques pour la définition ainsi que pour l'établissement d'un référentiel de COV émis par des résines de référence et l'identification d'échantillons archéologiques provenant de l'Égypte ancienne et du Yémen. »

366 Ibid. « Enfin, des travaux visant à évaluer le potentiel de la SPME-GC-MS pour caractériser les COV de

plastiques patrimoniaux, évaluer leurs éventuelles nocivités pour les objets placés dans leur proximité et, vérifier s'il est possible d'identifier une matière plastique à partir de ses émissions ont récemment été réalisés. »

la preuve367. Suite au repérage d’un objet par le biais de l’intensité de son odeur, Lattuati-Derieux procède au prélèvement d’une partie de ses COV au recours de la micro-extraction sur phase solide, ou Solid Phase Micro Extraction, dite aussi SPME. Il s’agit d’une fibre en silicone pourvue à son extrémité d’une surface de carbone ou de polymère organique, agissant comme un piège à COV. Posé à la surface d’un objet, cet outil permet d’extraire les composés de manière non invasive, leur caractérisation structurale renvoyant successivement à des examens de types chromatographiques et spectrométriques permettant notamment, et au-delà du développement de techniques analytiques non destructives, « d'acquérir des connaissances sur

les compositions chimiques de matériaux naturels et synthétiques, depuis leurs fractions volatiles jusqu'à leurs fractions polymérisées, ainsi que sur leur processus de dégradation »368.

Les recherches ainsi menées par Lattuati-Derieux, avoisinant à l’évidence de près ce que pourrait être le diagnostic olfactif des musealia, ne peuvent pourtant constituer son exemple, et ce pour deux raisons consécutives. La première consiste en ce que, du fait que l’appréhension directe de la dimension olfactive de l’objet par le sujet ne vise ici qu’à l’estimation du potentiel émissif de ce premier, l’intermédiaire des technologies analytiques se révèle contribuer à la dépossession de leur interaction de toute perspective résonante. La seconde, réside en ce que les résultats d’un tel protocole permettent de rendre compte de la structure moléculaire d’une odeur, mais s’avèrent totalement incapables d’exprimer la teneur de sa nature, cela en raison du fait que « lorsqu’on souhaite obtenir une caractérisation olfactive, que ce soit l’aspect ou

l’intensité d’une odeur, le passage par un nez humain s’avère indispensable »369. De fait, s’il

doit être un diagnostic olfactif susceptible de mener à la résonance, ce dernier ne peut que relever de la sagacité370.

367 Ibid. p. 24. « Nous nous sommes récemment aperçus que certains vestiges témoignant de l'exploitation de

substances naturelles émettaient toujours des COV odoriférants après des millénaires d'enfouissement. Un même constat fut par ailleurs effectué pour des substances naturelles constitutives d'objets en contexte muséal. »

368 Ibid. p. 22.

369 BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit : perception des usagers et dispositifs techniques

et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire, thèse, Nantes, 2001,

p. 98.

370 JAQUET Chantal, Philosophie de l’odorat, Presses Universitaires de France, Paris, 2010, p. 357. « A la

lourdeur de la démonstration, au système laborieux de preuves, il faut substituer la finesse du sagace, qui, à l’aide de quelques vestiges, reconstitue le vrai de manière infaillible. »