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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

3. LA PRESENTATION DES ELEMENTS DE LA REALITE

3.3 LES DISPOSITIFS

3.3.1 Leur histoire

Influençant l’histoire des expositions olfactives, celle des dispositifs remonte au moins à l’odorisation du feu soit, l’orientation des tonalités odorantes de la fumée par sélection des éléments qui étaient alors jetés dans les flammes502, et trouve ses premières expressions appareillées dans l’encensoir503, le brûle-parfum504, et les bijoux aromatiques. Green et Dyett écrivent que dès la préhistoire, la fonction attribuée à la parure vise la protection de celui qui l’arbore, pouvoir pouvant être décuplé par l’adjonction d’un parfum, ayant pour effet l’exaltation de la valeur perçue de l’amulette et donc, l’accroissance de la croyance en sa

501 DAZORD Cécile, « Conserver à l’heure du consommable », TECHNE, Conserver l’art contemporain à l’ère

de l’obsolescence technologique, n°37, 2013, p. 13. « Un consommable constitue une ressource pour un système donné, pour être actif, il est dépendant du système dans lequel il est inséré, enfin, ses ressources ne sont pas inépuisables et il doit être renouvelé. »

502 BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit : perception des usagers et dispositifs techniques et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire, Op cit. p. 69. « Par

sa présence odorante et par ses diverses activités, l’homme a de tout temps odorisé son cadre de vie. Quand commence l’odorisation ? Très vraisemblablement avec le feu : selon ce qu’on y jette, la fumée change de tonalité odorante. Per fumare, enfumer, parfumer, voici l’origine du mot parfum. »

503 GREEN Annette, DYETT Linda, Quand le parfum se fait Bijou, Flammarion, Paris, 1999, p. 34. « Les

encensoirs, plats métalliques ou coupelles percées, étaient tenus dans les mains des officiants ou balancés au bout d’une chaine. Dans l’Égypte ancienne, ils étaient portés à bout de bras par les suppliants, comme des offrandes. À certaines périodes, on les a dotés d’une poignée en bois, ou en céramique. Les encensoirs que l’on peut voir aujourd’hui dans les églises, sortes de bols suspendus à trois ou quatre chaines, s’inspirent d’une forme datant du IV siècle. Ces instruments associés à la liturgie chrétienne ont cependant existé ailleurs qu’en occident. Ainsi, on a retrouvé en Chine un pendentif en or en forme d’encensoir, sphérique et percé, datant de la dynastie des Tang (618 – 906.) L’intérieur de la sphère est muni d’une petite plate-forme conçue pour se maintenir à l’horizontale, même lorsque l’encensoir se balance, ce qui évite les débordements et permet de porter cet objet sur soi. »

504 MARINVAL Philippe, « Senteur de la préhistoire à l’époque gauloise », Une histoire mondiale du Parfum.

mission de préservation individuelle505. Retracer l’évolution de ces bijoux, dits « aromatiques » au fil des siècles, permet alors de dégager une histoire des dispositifs olfactifs passifs qui soit bien plus sophistiquée que celle afférant aux seules mutations de l’encensoir et du brûle-parfum, car de même que « la fumée odorante est encore mise en œuvre à travers le brûlage de papier

d’Arménie, ces dispositifs d’odorisation n’ont pas beaucoup évolué depuis leur création »506. Or, c’est une nouvelle fois à l’inventivité des maîtres parfumeurs européens que revient toute l’ingéniosité ayant été insufflée à la création des bijoux de parfum507, ces derniers répondant au désir humain « d’avoir toujours à portée de main de quoi réconforter son corps,

séduire et se protéger des mauvais sorts »508. Le pomander, dit également « pomme d’ambre »

ou « pomme de senteur », fut mentionné pour la première fois au XIIe siècle dans un texte décrivant le présent offert à l’empereur Frédéric Barberousse par le roi Baudouin de Jérusalem. Petite boule de métal percée et ciselée, emplie de matières premières animales telles que le musc ou l’ambre gris, que l’on tenait à la main ou portait à la ceinture, ce bijou se retrouve dans de nombreuses représentations picturales, dont la plus célèbre est le portrait de Jan Gerritz van Egmond van Dijenborgh par Jacob Cornelisz Oostsanen en 1518. La Renaissance lui fit connaitre l’apogée, et le XVIIIe siècle, le déclin, car l’avènement des parfums liquides eut tôt fait d’appeler la création d’un bijou qui leur soit adapté, soit, un pendentif à secret équipé d’une grille sous laquelle se plaçait un morceau d’éponge imbibé de parfum, et que l’on baptisa « vinaigrette ». Son système inspira par ailleurs celui de la bague à parfum et vit émerger dans son sillage ceux du flacon-pendentif porté au cou et du porte-bouquet épinglé à la poitrine. Classés jadis parmi les curiosités décoratives509, n’ayant alors fait l’objet d’aucune publication

505 GREEN Annette, DYETT Linda, Quand le parfum se fait Bijou, Op cit. p. 23. « Un bijou enrichi d’un parfum

voit son pouvoir renforcé : son propriétaire est protégé à la fois par l’objet et par la senteur qu’il exhale. »

506 BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit : perception des usagers et dispositifs techniques et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire, Op cit. p. 69. 507 GREEN Annette, DYETT Linda, Quand le parfum se fait Bijou, Flammarion, Paris, 1999, p. 40. « Autre

caractéristique du bijou aromatique, son rapport intérieur-extérieur le distingue de toute autre forme d’ornement, à l’exception du médaillon, qui est lui aussi porteur de secrets. Le compartiment à parfum est caché, à la fois pour empêcher son contenu de s’évaporer, et pour donner à l’objet l’apparence d’un bijou à part entière. Il arrive même que le couvercle et la charnière soient dissimulés, comme pour imiter un bijou massif. Seule la personne qui porte cet objet a accès à l’intérieur, ingénieusement compartimenté en plusieurs espaces. Elle seule sait que derrière la petite grille délicatement ciselée repose un petit morceau d’éponge de Turquie imprégné d’un délicieux parfum, jalousement conservé comme une mèche de cheveux ou une petite photo dans un médaillon. »

508 Ibid. p. 39.

spécifique et depuis, de peu d’intérêt de la part des historiens, les bijoux aromatiques ont récemment et brièvement connu un exceptionnel renouveau par l’intermédiaire de créations signées Jody Kocken510 et By Kilian511. Exceptionnel car la successive émergence d’une réglementation afférente à la non-dangerosité des matières premières utilisées en parfumerie permit que le parfum soit directement pulvérisé à même la peau, et ouvrit ce faisant, un second volet de l’histoire des dispositifs olfactifs, celui de ses variantes actives.

La création du vaporisateur est généralement attribuée au gastronome Brillat-Savarin en 1825512, ayant successivement fait l’objet d’une réappropriation par Marcel Franck en 1884 afin d’être appliquée à la dissémination de parfum dans l’air, que cette dernière soit d’usage individuelle ou collectif513. Wicky écrit en effet que la fin du XIXe siècle fut marquée par

« l’apparition de toutes sortes d’instruments destinés à insuffler un mouvement propice à la diffusion du parfum […] ces diffuseurs se déclinant sous les formes les plus diverses : éventails

non nobles, ces bijoux n’ont jamais été très recherchés, en dépit de leur valeur historique et esthétique. »

510 KOCKEN Jody, Perfume tools, prix Wallpaper Design Award, 2014.

511 Collaboration pour la création d’une collection de bijoux parfumés parue en 2017 entre la maison de parfum By Kilian et le joailler Elie Top.

512 WICKY Erika, « L’art olfactif contemporain, ses médias et leurs inventions fin-de-siècle », Sens public, 2018, p.1.

513 DE FLEURY Maurice, « Le Paris des Parisiens : L’Art des parfums II », Le Figaro, supplément littéraire du dimanche, 22 mars 1890. « Certes, la tentative à laquelle j’ai assisté́ est loin d’être parfaite encore, il y a des

améliorations nombreuses à introduire dans l’appareil à disséminer les parfums ; c’est encore un art bien confus, et il faut s’exercer un peu pour distinguer des nuances parfois subtiles. Mais je dois dire que j’étais arrivé́ très incrédule et que je suis parti convaincu, qu’il y a là quelque chose de vraiment nouveau, de vraiment curieux, capable d’intéresser vivement les blasés, peut-être même le public. »

parfumés, odorisateurs, lance-parfums514, seringues à parfums ou encore vaporisateurs »515, un

remarquable pistolet à parfum, ayant été conçu par l’orfèvre Jean-François Bautte au tout début du siècle, étant par ailleurs visible dans les collections du musée Cognacq-Jay à Paris516. Les parfumeurs, nous le savons, usèrent des vaporisateurs dès 1867 afin d’odoriser les expositions universelles auxquelles ils étaient appelés à prendre part517, Paul Napoléon Roinard y eut quant à lui recours en 1891 dans le cadre de la représentation de son adaptation du Cantique des

Cantiques au Théâtre d’Art de Paris518, expérimentation qui fut vivement huée, et suivie du

514 LEFEBVRE Thierry, RAYNAL Cécile, « Le lance-parfum. Un matériel médical devenu accessoire de carnaval », Revue d’Histoire de la pharmacie, vol. 56, n° 357, 2008, pp. 71 – 72. « Avant la Première Guerre

mondiale, les parfumeurs disposaient de lance-parfum en verre ou en métal, selon les marques, dont l’utilisation ludique et la petite taille – 30, 60 ou 100g – en firent des accessoires de carnaval par excellence, notamment pour le Carnaval de Rio. […] La présence de chlorure d’éthyle dans la solution pulvérisée n’était pas sans danger : involontairement, les usagers dispersaient autour d’eux les effets de l’intoxication par l’éther. Les symptômes – hallucinations, troubles nerveux et cardiaques – furent longtemps mis sur le compte de la transe du Carnaval. Mais après plusieurs décennies d’utilisation, il fut démontré que des décès avaient bien résulté de l’usage abusif de ce produit. »

Mais également les lance-parfums conçus par Rodo en 1896 et que l’on connait principalement pour l’affiche publicitaire que leur a dessiné Alphonse Mucha.

515 WICKY Erika, « L’art olfactif contemporain, ses médias et leurs inventions fin-de-siècle », Op cit. p. 9. 516 http://parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-cognacq-jay/oeuvres/pistolet-a-parfum, consulté le 1/01/19. 517 BARRESWIL, Rapport du jury international, Exposition universelle, Paris, 1867, tome 3, groupe 3, classe 25, p. 421.BENILAN, Rapport sur la parfumerie, Exposition universelle, Paris, 1878, groupe 3, classe 28, p.2.

« Agnel, Parfumeur : Inventeur de l'Odorisation des salons. Nouveau système pour répandre les parfums, assainir et rafraîchir les appartements et se parfumer soi-même. Article déposé, propriété exclusive de la Maison. Grand choix de modèles depuis les plus courants jusqu'aux plus riches. »

518 WICKY Erika, « L’art olfactif contemporain, ses médias et leurs inventions fin-de-siècle », Sens public, 2018, p.10. « Or, encore plus que les parfums eux-mêmes, ce sont justement ces vaporisateurs utilisés par Roinard pour

odoriser Le Cantique des cantiques qui ont le plus suscité l’ire de la critique. En effet, l’usage, au théâtre, d’un objet généralement circonscrit au contexte de la toilette et donc de l’intimité́ a semblé́ ridicule et a alimenté la mauvaise réception de la pièce. Roinard convenait lui-même que l’instrument choisi pour la diffusion des parfums n’était pas adapté́ à ses ambitions et qu’il aurait préféré́ brûler l’ensemble des senteurs de manière à souligner la référence à la tradition religieuse dans laquelle s’inscrit le parfum. Selon le journal de Jules Renard (23 décembre 1891), il aurait tenu à ce sujet les propos suivants :

« J’ai été́ très content de ma soirée, en somme, dit Roinard. Le Cantique des Cantiques est une chose nouvelle. Avec Salomon derrière moi, je n’avais pas peur, mais avec tout autre je n’aurais pas osé́ faire ça. Ma machine des parfums qu’on a tant blaguée (blague de bon aloi !) m’est venue naturellement. Ça pue le parfum, dans le Cantique. Seulement, il m’aurait fallu un calorifère, tout au moins un poêle, où ces parfums eussent pu cuire. Au

cuisant échec du cinéma en odorama dans les années 1950, lequel eu a priori pour effet de suspendre jusqu’à la fin du siècle, l’engouement relatif au développement des dispositifs olfactifs actifs. Il ne fut actualisé que par la progressive émergence à partir de 1990 de démarches artistiques pouvant être regroupées sous l’appellation « d’art olfactif », lesquelles nécessitent pour se manifester de recourir à des instruments capables de dissiper méthodiquement des fragrances dans un environnement, et génèrent ce faisant un nouveau besoin vis-à-vis de techniques de diffusion dont le niveau de performance demeure à leur égard, insuffisant519.