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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

1. LA MUSEOLOGIE COMME RELATION SPECIFIQUE DE L’HOMME A LA REALITE

1.6 LE CADRE MUSEAL

J’évoquais en ouverture de chapitre que le musée n’est pas l’objet de la muséologie, certains chercheurs vont d’ailleurs jusqu’à considérer qu’il serait possible pour cette dernière d’exister sans le premier, car la forme muséale s’accomplit de nos jours en de nombreux lieux totalement étrangers à l’institution183. La présente démarche ne semble toutefois pouvoir se passer du musée car en effet, la résonance telle que la conçoit Rosa n’est pas tant un diagnostic social que l’expression d’un espoir, la formulation d’un vœu dans la réalisation duquel le musée, par sa nature hétérotopique184, a de toute évidence un rôle à jouer. Yves Bergeron conclut l’ouvrage collectif Les nouvelles tendances de la muséologie en écrivant qu’« avec les moyens dont elle

dispose, l’institution muséale participe peut-être plus que jamais à l’aventure humaine »185.

Dans la dynamique d’une actualisation de la muséalité de Stránský, il semble en effet que le musée puisse devenir un cadre d’expérience inédit et privilégié de la relation résonante au monde, et plus avant, de l’éventuel avènement d’une muséologie olfactive. Dans son introduction aux cadres d’expérience186, Goffman évoque le détournement opéré par James dans les années 1950 pour répondre à la question « qu’est-ce que le réel ? », à laquelle il substitue subversivement la formulation « dans quelles circonstances pensons-nous que les

choses sont réelles ? »187. Il répond à ceci que c’est la conviction, résultant de l’attention sélective, de l’engagement personnel d’un individu, et de la non-contradiction avec ce qu’il sait déjà, qui permet d’estimer qu’une chose donnée est réelle ou non. Ainsi, « chaque monde est le

temps que dure notre attention » mais celui des sens aurait ceci de particulier qu’il est « celui auquel nous attribuons le plus de réalité, celui qui emporte notre conviction avec le plus de force, celui qui a priorité sur les autres mondes »188. La notion de cadre d’expérience telle que

183 MAIRESSE François, « Introduction », Les nouvelles tendances de la muséologie, La documentation française, Paris, 2016, p. 18.

184 FOUCAULT Michel, « Des espaces autres », Dits et écrits, Gallimard, Paris, 1994, pp. 752-762. Les hétérotopies sont des localisations physiques de l’utopie comprise comme représentation d’une société idéale, ce sont des espaces concrets situés en marge et abritant l’imaginaire. Jérôme Glicenstein pense le musée comme un espace hétérotopique dans L’art : une histoire d’exposition, Presses Universitaires de France, Paris, 2016, p. 42. 185 BERGERON Yves, « Musées et muséologies : entre cryogénisation, ruptures et transformations », Les

nouvelles tendances de la muséologie, La documentation française, Paris, 2016, p. 245.

186 GOFFMAN Erving, Les cadres d’expérience, Minuit, Paris, Paris, 2013, p. 10.

187 JAMES William, Principles of Psychology, vol.2, chap. 21, Dover publications, New York, 1950, p. 283-324. 188 Ibid. p. 291.

conçue par Goffman renvoie ainsi à la construction d’une situation selon des principes organisationnels structurant les évènements, ainsi que la manière dont nous nous y engageons subjectivement189. Reprenant James, il considère que le réel s’active au moment où nous jugeons nécessaire de prêter attention à ce que nous faisons, et conçoit les cadres primaires comme les filtres de compréhension par lesquels nous parvenons à donner du sens à une situation donnée. En résumé, « nous percevons les évènements selon des cadres primaires et le type de cadre que

nous utilisons pour les comprendre nous permet de les décrire »190. L’intérêt de cette référence

consiste en ce que Goffman explique que « le fait de jeter spontanément et simplement un coup

d’œil, puis de détourner son attention, ne signifie pas forcément que nous nous désintéressons de ce qui se passe, mais que le cadre que nous anticipons se trouve bien confirmé par le déroulement des événements »191. Après avoir évoqué la raison pour laquelle le musée s’avère

nécessaire à l’actualisation d’une muséalité résonante, Goffman nous permet de mettre en évidence la réciprocité de ce rapport. A l’heure où la réalité augmentée se démultiplie en applications pour smartphones, où Google et les casques de réalité virtuelle se déclinent en version « home », aucune des présentations actuellement proposées par le musée ne semble en mesure de déjouer le cadre que j’y projette quant à la compréhension de mon expérience. En conséquence, si certaines personnes choisissent de se détourner du musée, ce n’est, encore une fois, pas parce que la préséance des collections d’objets est obsolète, mais parce qu’elles connaissent par cœur la présentation qu’en fait le musée. Tout au plus poussent-elles encore ses portes pour alimenter visuellement leurs réseaux sociaux, et de toute façon, que peuvent-elles bien espérer y faire de plus ? « Nous ne cessons de projeter nos cadres de référence sur ce qui

nous entoure, mais ne nous en apercevons pas, dans la mesure où les faits viennent toujours les confirmer »192. Ainsi, prendre part à l’actualisation résonante de la muséalité, notamment

comprise comme expérimentation des modalités permettant au visiteur d’appréhender la dimension sensorielle, et plus particulièrement olfactive, des objets de la réalité, permettrait au musée de déjouer le cadre primaire que le visiteur lui attribue à raison, pour devenir celui de l’expérimentation d’une modélisation résonante du monde au sein de laquelle nous déploierions de nouveau notre attention et plus avant, notre implication. A l’heure de l’accélération, voire

189 GOFFMAN Erving, Les cadres d’expérience, Op cit. p. 19. 190 Ibid. p. 43.

191 Ibid. p. 47. 192 Ibid.

de l’aliénation, le musée redeviendrait ainsi l’hétérotopie de ce qui est pertinent pour nous193 et ce faisant, permettrait au vœu de la résonance d’être progressivement exaucé. Les musées résonants seraient donc ces cadres d’expérience où il serait de nouveau permis que « parfois, je

respire plus fort, et tout à coup, ma distraction continuelle aidant, le monde se soulève avec ma poitrine »194.

193 TONELLI Amandine. « Effluve de Communication. Le rôle de l’odeur dans la communication interpersonnelle : vers une modélisation de la communication olfactive. » thèse, Marseille, 2011, p. 47. « Lorsque

nous prêtons attention à quelque chose, nous le faisons en imaginant que cette chose est pertinente pour nous, cependant nous sommes conscients que cette chose à été́ créé par un communicateur dans le but d’être pertinente à notre égard. Ainsi, un acte de communication ostensif communique automatiquement une présomption de pertinence, qui dépend de deux éléments : que les effets qui doivent être obtenus sont suffisants et donc valent la peine d’être traités, et que l’effort minimal demandé est suffisant pour aboutir à ses effets. »