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I. D’UNE ACTUALISATION RESONANTE DE LA MUSEALITE

3. LA PRESENTATION DES ELEMENTS DE LA REALITE

3.2 L’EXPOSITION

3.2.1 La transparence

Pourquoi le musée, puisqu’originairement cadre d’expérience visuelle440, se soucierait en effet d’œuvrer au développement d’expositions où il n’y aurait rien à voir ? Exposer l’olfactif revenant, à priori, à exposer l’invisible, quel pourrait être pour l’institution muséale l’intérêt de se livrer à ce genre strip-tease441 ? Si toute exposition peut être conçue comme l’adresse du

436 Mais également « The olfactive project », Le laboratoire, Paris, 2013, avec la contribution de Marlène Staiger. « La douche froide », Musée international de la parfumerie, Grasse, 2014, organisée par Boris Raux. « The smell of war », Château de Lovie, Poperinge, Belgique, 2015, organisée par Peter de Cupere. « Reconstruction », Galerie

Mianki, Berlin, Allemagne, 2015, organisée par Christophe Laudamiel. « Anosmie : vivre sans odorat », Espace Pierre-Gilles de Gennes, Paris, 2015, organisée par Éléonore de Bonneval. « Voyage dans les sens », Maison du Japon, Paris, 2015. « Synesthesia project », Galerie Miguel Justino, Lisbonne, Portugal, 2015, organisée par

Gabriel Garcia et Miguel Matos. « Perfume art project », Festival Parasophia, Kyoto, Japon, 2015, organisée par Yoko Iwasaki…

437 « Jardins » RMN-Grand Palais, Paris, 2017, avec Sophie Radix, « Fernand Khnopff, le maître de l’énigme »,

Petit Palais, Paris, 2018, avec Fabienne Cousin. Rajouter références.

438 « Parfum de Chine, la culture de l’encens au temps des empereurs », Musée Cernuschi, Paris, 2018, organisée par Éric Lefebvre. Rajouter références.

439 Se reporter au chapitre 3, section Art.

440 DAVALLON Jean, L’exposition à l’œuvre, Harmattan, Paris, 2000, p.241. « L’institution muséale a pour elle

l’évidence des choses observables. »

441 ABOUDRAR Bruno-Nassim, Nous n'irons plus au musée, Aubier, Paris, 1997, p. 68. « Et regardez ! Mesdames

et messieurs, il enlève la perspective, et maintenant il enlève l'imitation, et attention ! Toujours plus fort ! Il enlève le tableau ! »

message d’un concepteur, par les objets, à d’un visiteur442, Davallon souligne que son média ne parvient jamais à la réunion de ces trois éléments, l’apparition d’un objet dépendant à ce point de la disparition du concepteur443 que lors de sa réception par le visiteur, elle en vient à l’éclipser totalement444. De fait, si l’exposition est un « média de la présence »445, elle est celui de l’amputée, or l’odeur, je l’évoquais à propos du diagnostic des musealia, est bel et bien un médium de la présence, favorisant la réunion physique, dans les réserves et autour d’un objet, d’un conservateur et d’un parfumeur. Or, c’est ici par le biais d’une autre de ses caractéristiques qu’elle se révèle également capable de réunir, toujours autour d’un objet, mais dans l’exposition, le concepteur et le visiteur : son invisibilité ou plutôt, sa transparence.

Desmet soutint en 2012 une thèse en partie consacrée à la représentation des expositions « vides »446, par l’intermédiaire desquelles elle entreprit l’étude de « la disparition de l’œuvre

comme corollaire de l’invention d’un véritable dispositif socio-symbolique »447. L’exposition

« vide » étant ici conçue comme média de mise en tension d’éléments connexes autres qu’elle-même, n’est pas sans fournir quelques éclairages quant aux intérêts que peut avoir le musée à

442 DESVALLEES André, MAIRESSE François, Dictionnaire encyclopédique de Muséologie, Op cit. p. 150. 443 DAVALLON Jean, L’exposition à l’œuvre, Harmattan, Paris, 2000, p.191.

444 Ibid. p.29. « Le visiteur se met en relation non avec un acteur en train de jouer, mais avec les objets qui sont

en situation de monstration. Or, une quelconque analyse de n’importe quelle exposition montre, à l’évidence, que l’objet ne renvoie pas vers l’auteur qui a construit celle-ci. Même la mise en scène, qui pourtant relève du bon vouloir du producteur, est considérée comme étant d’abord au service de ce qui est montré (les objets) avant même d’exprimer – et d’être autorisée à exprimer – la vision d’un producteur. Ce point essentiel peut être reformulé en disant que l’univers construit par l’interprétation que le visiteur opère de la mise en scène est plus un univers rattaché à l’objet qu’un univers visant à exprimer le producteur : il est plus « orienté objet » qu’« orienté auteur. » »

DESVALLEES André, MAIRESSE François, Dictionnaire encyclopédique de Muséologie, Op cit. p. 163. « Car

si ex-poser, c'est toujours pro-poser, visiter une exposition, c'est composer, dans les deux sens du terme : celui de produire une combinatoire, et celui de s’accommoder. S’accommoder : pactiser, négocier. Visiter une exposition, c'est négocier son rapport à l'exposé (et donc, nécessairement à l'exposant.) Ce dernier étant, d'une façon ou d'une autre, un énonciateur institutionnel de culture, c'est son rapport au savoir, que le sujet, par exposition inter-posée, négocie. »

445 Ibid. p. 143.

446 DESMET Nathalie, Les expositions « vides » : économies et représentations (1957-2010), thèse, Paris, 2012. 447 DESMET Nathalie, « L’art de faire le vide. L’exposition comme dispositif de disparition de l’œuvre » Nouvelle

s’investir dans le développement de l’exposition olfactive448, le premier étant de favoriser la réapparition du concepteur dans le processus de réception de son exposition par un visiteur. Si l’exposition amplifie en effet la dimension visible des objets au point qu’ils parviennent à évincer le concepteur de leur agencement, mettre l’accent sur leur dimension invisible serait en faveur de l’apparition d’éléments étant habituellement éclipsés. Par son invisibilité, l’exposition olfactive contribuerait ainsi à révéler l’ensemble de ses acteurs, la théorie du « vide » permettant de la concevoir comme diffraction d’une sur-visibilité gratifiant tour à tour le dispositif, le concepteur et l’institution. « Si les œuvres invisibles ne peuvent être regardées, ni

contemplées, comment le visiteur peut-il en faire l’expérience ? C’est leur dispositif d’exposition qui évite l’imperceptibilité totale »449. Si l’exposition olfactive met en avant l’odeur

des muséalia au détriment de leur visibilité, admettons par exemple que l’espace soit plongé dans le noir, elle contribue dans un premier temps à rendre « visible les signaux qui font le

contexte de monstration et l’idéologie qui s’y cache »450 et donc, à opacifier son propre dispositif. La quête du concepteur vient en succédant car si le geste expositoire est, par nature, doublement déictique : « en montrant l’objet on se montre, car le doigt qui point est attaché à

un corps, à une personne »451, « l’invisibilité conduit presque systématiquement à chercher du sens dans l’intention de l’auteur »452, la manière dont j’ai précédemment introduit les références

de quelques expositions olfactives pouvant ici en rendre compte. A l’heure où le commissariat d’exposition ne relève plus des missions afférentes au conservateur, où les parfumeurs se veulent artistes et les artistes, parfumeurs, mais également où tout le monde peut a priori se décréter curateur, identifier le concepteur d’une exposition olfactive devient décisif à son assimilation, permettant notamment la mesure de sa crédibilité sur un plan institutionnel453. Car

448 Se reporter à l’annexe n°3, CASTEL Mathilde, « Odorama. L’instinct olfactif de la Fondation Cartier pour l’art contemporain », Les dispositifs olfactifs au musée, Contrepoint, Paris, 2018, pp. 233-281.

449 DESMET Nathalie, « Une relation esthétique impossible : les expositions dans lesquelles il n’y a rien à voir »

Nouvelle revue d’esthétique, n° 3, 2009, p.86.

450 DESMET Nathalie, « L’art de faire le vide. L’exposition comme dispositif de disparition de l’œuvre » Nouvelle

revue d’esthétique, n°8, 2011, p.42.

451 DESMET Nathalie, « Une relation esthétique impossible : les expositions dans lesquelles il n’y a rien à voir »

Nouvelle revue d’esthétique, n° 3, 2009, p.87.

452 Ibid. p.86.

453 Les Soirées nomades Odorama de la Fondation Cartier ont par exemple été organisées par Hervé Mikaeloff, diplômé de l’école du Louvre, actuellement conseiller artistique pour la maison Louis Vuitton, qui intervint également dans l’organisation des expositions « India of the senses » et « Miss Dior ». « The Art of scent » fut organisée par Chandler Burr, ancien journaliste spécialisé parfumerie reconverti en commissaire d’exposition, dit

c’est bien à l’institution que profite en dernier lieu la visibilité émanant de l’invisibilité de l’odeur454, la révélation de son complexe résultant des apparitions successives du concepteur et des dispositifs de monstration, l’exposition olfactive pourrait ainsi constituer « une première

étape dans l’extension de ses prérogatives »455. Contribuer au développement de l’exposition

olfactive, bien que cela semble a priori contradictoire avec les prérequis du musée, serait donc en réalité une stratégie salutaire, lui permettant de prouver en l’exploitant, qu’il est en vérité capable de tout exposer456. L’invisibilité de l’odeur devient ainsi transparence457, favorisant l’accès à un ailleurs458, maximisant les perspectives de relation résonante à la réalité culturelle et plus avant, au monde dont elle rend compte.