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110 Section II Régulation de la dominance et délimitation des marchés des télécommunications : le

contexte concurrentiel.

Le modèle néoclassique démontre que sous certaines conditions, (information parfaite sur les prix et opportunités d‟échange, fluidité du marché, grand nombre d‟acheteurs et de vendeurs) le marché représente la meilleure forme d‟organisation puisqu‟il mène à des prix d‟équilibre optimaux.

Dans ce contexte, les acheteurs et les vendeurs bénéficient des meilleures conditions du marché sans avoir à se communiquer ou à communiquer à une autorité centrale des informations sur leurs préférences ou leurs technologies.

Les vendeurs font face à une pression pour baisser leurs coûts, améliorer leur processus de production et se lancer dans des politiques d'innovation de produits. De même, dans cette dynamique concurrentielle, le marché élimine les agents inefficaces et les échanges sur le marché génèrent des informations permettant aux acheteurs et aux vendeurs de mesurer leurs performances et de les comparer aux performances optimales.

Cependant faire fonctionner les mécanismes néoclassiques de la concurrence –garants selon ce schéma de pensée, de l‟optimalité à terme du marché des télécommunications-, sur un modèle de marché imparfait dont la dynamique tend naturellement vers une structure concentrée, implique une démarche de restitution artificielle des hypothèses néoclassiques de fonctionnement des marchés.

Dans cette perspective, l‟action de régulation devrait intégrer d‟une part un processus de gestion des barrières à l‟entrée: rareté des ressources, accès au réseau, et ampleur des coûts d‟investissement et d‟autre part, des procédures de contrôle visant à vérifier que les mesures entreprises pour tenter de restituer artificiellement les conditions néoclassiques des marchés concurrentiels sont efficaces et génèrent effectivement une structure concurrentielle au sein de laquelle la dominance est sinon absente, du moins contenue.

II.1.Barrières à l’entrée des marchés des télécommunications.

D‟un point de vue économique, les marchés des télécommunications, tels qu‟ils ont émergé du processus de « libéralisation » du secteur, sont caractérisés par l‟existence de nombreuses barrières à l‟entrée qui concernent principalement le premier maillon de leur chaîne de valeur (les réseaux des télécommunications) mais qui peuvent avoir une incidence sur la structure de l‟ensemble des marchés qui leur sont liés.

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Outre celles qui ont servi d‟arguments au choix d‟une structure monopolistique (externalités de réseaux et importance des coûts fixes), les deux types de barrières à l‟entrée identifiées par Bain, - les barrières structurelles et les barrières stratégiques- sont présentes dans le secteur des télécommunications. Les premières sont matérialisées par la rareté des ressources et l‟existence de ressources essentielles. Les secondes sont dues à l‟héritage historique du secteur et sont relatives au pouvoir potentiellement détenu par un opérateur historique dominant.

II.1.1.Ressources rares et ressources essentielles

L‟industrie des télécommunications est caractérisée par l‟existence de ressources rares et de ressources essentielles qui limitent le nombre de compétiteurs sur le premier maillon de la chaîne de valeur des services de télécommunication ce qui est se nature à créer un « goulot d‟étranglement » matérialisé par une situation de dépendance des opérateurs dont les activités se greffent sur l‟infrastructure du réseau.

Les fréquences hertziennes, dont les télécommunications sont tributaires dans une mesure croissante avec l‟expansion des services mobiles, constituent l'exemple type d'une pénurie de ressources naturelles, nécessitant une procédure particulière d'allocation et de gestion. Ce problème d‟allocation et de gestion des fréquences est accentué par le fait que ces dernières sont nécessaires d‟une part, à d'autres services commerciaux (radio, T.V, etc.), ce qui est de nature à augmenter le nombre de demandeurs de fréquence, et qu‟elles sont nécessaires d‟autre part à des activités d‟utilité publique (défense, police, aviation, etc.) qui obéissent à une autre logique que l'économie, notamment les impératifs de sécurité.

Dans une moindre mesure, le plan de numérotation constitue un autre exemple d'allocation de ressources limitées dans un système ouvert à la concurrence. Les ressources en numérotation sont en effet devenues un enjeu économique relatif à l'attribution des numéros ayant une valeur commerciale (numéros courts ou mnémoniques), qui constituent un avantage concurrentiel pour les services de toute nature utilisant le réseau.

A coté de l‟existence de ces ressources rares qui influent sur la structure des marchés des télécoms, se pose également le problème des ressources essentielles dont la détention exclusive par un opérateur peut empêcher le fonctionnement concurrentiel du marché.

Le problème des facilités essentielles se pose de manière beaucoup plus prégnante depuis la dérégulation des anciens monopoles, à la fois pour des raisons juridiques, économiques et technologiques, dans les activités de réseau notamment (électricité, rail, télécommunications).

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Le concept de ressources « essentielles » se fonde sur la doctrine des facilités essentielles qui trouve son origine dans le droit américain41 .Cette notion recouvre l‟ensemble des installations (matérielles ou non) détenues par une entreprise dominante, qui s‟avèrent non aisément reproductibles et dont l‟accès est indispensable aux tiers pour exercer leur activité sur le marché. [Bazex, 2001].

Dans le cas des télécommunications, il semble évident que l‟infrastructure des réseaux répond aux conditions de cette définition des facilités essentielles.

 En effet, tout d‟abord, il semble indéniable, dans l‟état des technologies actuelles que l‟accès à l‟infrastructure des réseaux des télécommunications, est une condition sine qua non d‟exercice sur le marché.

 D‟autre part, il est clair également que la reproduction du réseau, dont le coût d‟investissement est très élevé, constitue un gaspillage de ressources socialement inefficace.

 Ensuite, du fait de l‟héritage d‟une structure monopolistique du marché des télécommunications, l‟infrastructure du réseau était détenue exclusivement et ce jusqu‟à l‟ouverture du secteur des télécommunications à la concurrence, par un opérateur historique.

 Enfin, le refus de partager l‟accès au réseau avec des nouveaux entrants potentiels, constitue un obstacle à une concurrence viable sur le marché.

A ces deux types de barrières à l‟entrée –existence de ressources rares et existence de ressources essentielles-, s‟ajoutent des barrières que Bain a qualifié de stratégiques et sont de nature à accentuer la nature imparfaite des marchés des télécommunications.

II.1.2.Dominance des opérateurs historiques : les barrières stratégiques

La vague mondiale de libéralisation et de privatisation des secteurs des télécommunications a exposé les opérateurs historiques à de fortes pressions concurrentielles ce qui a eu pour effet direct de les rendre plus efficients et plus compétitifs. La privatisation de ces grandes entreprises a engendré des marchés fortement dominés par les opérateurs historiques qui jouissent d‟avantages qui leur ont été conférés aussi bien par leur histoire que par leur position renforcée par une efficience accrue. Correa [2005] écrit dans ce sens, que les compagnies privatisées ont bénéficié du fait de posséder :

41

Doctrine appliquée pour la première fois aux U.S dans l‟affaire « U.S Terminal Railroad » et en Europe en 1992 dans l‟affaire « Band I line contre Stena-Sealink, CJCE », Bazex M. (2001), « Entre concurrence et régulation, la théorie des facilités essentielles », Revue de la Concurrence et de la Consommation, n°119,

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 Cent pour cent de part de marché au moment de la privatisation et par conséquent cent pour cent du pouvoir de contrôle sur les clients.

 Un avantage cumulé d‟économie d‟échelle et de connaissance du marché.

 Le réseau de base auquel devaient obligatoirement se connecter les nouveaux entrants désireux d‟entrer sur le marché. En effet, pour pouvoir opérer, les entreprises désireuses d‟entrer sur un segment de marché ont été obligées de se rattacher au réseau local appartenant aux opérateurs historiques ce qui a crée un goulot d'étranglement (bottle neck) dont ils pouvaient profiter pour exiger des droits d‟entrée très élevés.

D‟autre part, de par l‟imbrication des différents marchés du secteur des télécommunications et de par l‟intégration des opérateurs historiques sur l‟ensemble de ces marché liés, l‟abus d‟une position dominante, notamment par des effets de subventions croisées est toujours possible. Ces subventions croisées qui ont permis d‟équilibrer les budgets des monopoles astreints au service public, sont devenues, dans un contexte concurrentiel sur les activités du monopoleur démantelé, un obstacle au libre jeu concurrentiel.

En effet, en régime de concurrence, un autre type de subvention, dont l‟origine tient à des raisons stratégiques, a été pratiqué par les opérateurs jouissant, sur une de leurs activités, d‟un monopole. Il s‟agit de subventions croisées des services monopolistiques vers les services concurrentiels.

Outre le fait évident, que ce type de subventions nuit à la concurrence en place, il représente également un danger en termes de distorsion du jeu concurrentiel. Ainsi, la présence de subventions croisées des services de téléphonie longue distance et / ou du segment professionnel vers le service local a provoqué une distorsion des signaux du marché quant à l‟opportunité de pénétration de ces deux marchés [Faulhaber, 1995].

En effet, l‟existence de ces subventions a eu pour résultats une tarification de la téléphonie locale à un niveau inférieur au coût moyen. Ces prix, artificiellement bas, ont constitué une barrière à l‟entrée de ce marché que les concurrents potentiels ne pouvaient aisément franchir.

Dans le même ordre d‟idées, l‟existence d‟une rente de monopole –et donc de prix supérieurs aux coûts marginaux- sur les services pourvoyeurs des marges, pouvait constituer, au moment de l‟ouverture du secteur à la concurrence, un appel très fort pour d‟éventuels entrants.

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L‟arrivée de ces nouveaux entrants aurait été par conséquent due à un mauvais signal du marché et non à un avantage compétitif par rapport l‟opérateur en place. Il est clair que dans ces conditions, la concurrence n‟aurait pas pu jouer son rôle traditionnel en assurant l‟entrée sur le marché de concurrents efficaces.

Dans ce contexte, il est clair que sans la mise en place d‟actions de régulation visant à corriger les effets de ces barrières, les opérateurs historiques seraient en mesure d‟exploiter leur position dominante pour éliminer toute possibilité de concurrence sur le marché.

Les mesures clefs de régulation ayant été adoptées par la majorité des pays qui ont opté pour une ouverture de leur secteur des télécommunications à la concurrence dérivent toutes de la nécessité de corriger ces imperfections du marché.

Ainsi par exemple, l‟adoption de mesures relatives à l‟orientation des tarifs vers les coûts pour les facilités essentielles et à la séparation des structures entre les activités monopolistiques et les activités concurrentielles permet de limiter les jeux stratégiques « anticoncurrentiels ».

Il en est de même de l‟obligation d‟interconnexion imposée aux opérateurs qui permet de contrebalancer les effets d‟externalités des réseaux. En effet, le fait que les consommateurs optent,

ceteris paribus, pour le réseau où le nombre d‟abonnés est le plus important, implique que les

opérateurs sont astreints à atteindre une taille de réseau suffisamment importante pour pouvoir survivre sur le marché. Ceci signifie qu‟en l‟absence d‟une obligation d‟interconnexion des réseaux- surtout au début du processus de « démonopolisation » de l‟industrie des télécommunications- les nouveaux entrants sur le marché, ont peu de chance, d‟atteindre la masse critique de développement de leur activité.

Cependant, en l‟état actuel de la technologie et malgré l‟appareillage économico-juridique mis en place pour tenter de restituer aux marchés des télécommunications un caractère « concurrentiel », la dominance de ces marchés par une entreprise unique ou par un oligopole, demeure possible du fait des imperfections existantes. Une évaluation du pouvoir de dominance des opérateurs sur leurs marchés constitue, dans le contexte actuel, une suite logique de la régulation des marchés. Cependant, là encore, les spécificités des marchés des télécommunications -notamment l‟importance des coûts fixes des opérateurs, le caractère hautement technologique de l‟activité et l‟inter pénétrabilité des différents marchés-rendent l‟évaluation de la dominance complexe.

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