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II.1.1 Barrières à l’entrée et dominance : le cas de United Shoe61.

Dans les années quarante, United Shoe était le plus grand fournisseur d‟équipement de fabrication de chaussures. Il était le fournisseur de plus de 1460 producteurs de chaussures. Sur ce marché il existait au moins dix autres fournisseurs locaux et étrangers, ce qui rendait possible une organisation complète du secteur sans avoir recours aux équipements de United Shoe. Cependant United fournissait plus de 75 % et probablement 85% du marché. C‟était la seule entreprise qui produisait une gamme complète des équipements et qui couvrait tous les processus majeurs de fabrication. L‟imitation des équipements était faisable mais non aisée. United possédait 3915 brevets. La possession de l‟ensemble de ces brevets par une seule entreprise constituait une barrière à l‟entrée.

La cour avait attribué le monopole de l‟entreprise spécialisée dans la production des équipements servant à fabriquer des chaussures à sa « structure originale » à la supériorité de ses produits et services et à ses pratiques commerciales qui, bien qu‟elles ne découlaient pas, selon les termes de la cour, de comportement immoral, prédateur ou discriminatoire, avaient constitué des barrières à l‟entrée62

empêchant un fonctionnement concurrentiel du secteur.

Les pratiques d‟exclusion, dont l‟incriminait la cour, ont été centrées sur la manière dont United Shoe distribuait ses machines. La machine la plus importante n‟a jamais été vendue mais uniquement louée. Les baux étaient accordés par cette entreprise dans le cadre de partenariats qui assuraient à l‟entreprise des paiements périodiques. Ce système basé uniquement sur la location de l‟équipement garantissait en outre à United Shoe d‟entretenir des relations étroites et continues avec les producteurs des chaussures, ce qui lui permettait d‟avoir des informations sur ses concurrents.

Ce système de location dissuadait également les clients de développer des améliorations sur ces machines et empêchait le développement d‟un second marché qui aurait permis l‟émergence d‟une autre source d‟approvisionnement sur le marché. Ce marché de reprise aurait également permis aux concurrents d‟étudier et d‟éventuellement dupliquer les caractéristiques non brevetées de la machine. La durée habituelle du bail était de 10 ans, ce qui de l‟avis de la cour, empêchait indûment l‟accès des rivaux aux clients de United Shoe.

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United States v. United Shoe Mach. Corp., 110 F. Supp. 295, 342 (D.Mass.1953)

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Les locataires étaient en outre, tenus d‟utiliser les machines louées à pleine capacité. En pratique, cela signifiait, qu‟une entreprise cliente n‟atteignant pas cette pleine capacité était obligée d‟utiliser la machine de United Shoe de préférence à tout autre équipement rival. Les locataires voulant rompre le bail avant son terme étaient astreints à payer des indemnités équivalentes à la somme qui aurait été due s‟il n‟y avait pas eu rupture de contrat. Ce coût était encouru dans le cas où l‟entreprise cliente substituait son équipement par un équipement concurrent mais pas dans le cas où l‟entreprise cessait son activité ou si elle substituait une main d‟œuvre au travail fourni par l‟équipement.

United Shoe fournissait un service intégré de location et de maintenance en contrepartie d‟un forfait global ce qui était de nature à décourager le développement d‟un service de réparation indépendant qui aurait également pu être utilisé par l‟équipement concurrent. Ainsi, les entreprises rivales étaient également obligées de fournir un réseau de maintenance et de réparation. Le capital et la complexité additionnels générés par cette pratique augmentaient la taille des barrières à l‟entrée décourageaient les entrants potentiels.

La cour a également conclu à l‟existence d‟autres effets empêchant la concurrence, dus au fait que la « United Shoe » discriminait ses marchés. En effet, sa politique des prix était différente selon que le marché auquel elle s‟adressait était concurrencé ou pas. Ainsi, ses taux de rentabilité relatifs aux équipements pour lesquels elle avait des concurrents étaient inférieurs à ceux de ses autres équipements pour lesquels elle était en situation de monopole. Enfin, la cour lui a reproché une puissance accrue en raison de sa politique d‟achat de brevets qui verrouillait encore plus son marché.

Dans cette affaire, il est intéressant de noter qu‟en fait le pouvoir de marché que la « United Shoe » possédait devait son origine à une fusion entre plusieurs entreprises autorisée en 1899. Le délit qui lui a été attribué était dû à son comportement stratégique, qui, bien que non répréhensible en soi, n‟était pas complètement innocent et constituait une barrière à l‟entrée qui empêchait la concurrence de s‟installer sur le marché. La ligne de démarcation entre un comportement innocent et un comportement illégal a été défini comme étant des comportements qui ne sont pas dictés par des impératifs économiques (économie d‟échelle, recherche, avantages naturels, etc.) et qui auraient pu, par conséquent être évités.

II.1.2. Naissance de la règle de raison : le cas de la Standard Oil63 .

La Standard Oil a été créée en 1870 par J.D. Rockfeller. Par une politique de fédération de petites entreprises, la Standard Oil Company était parvenue à contrôler 90% du marché du raffinage et du

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transport américain et est parvenue à détenir 80% de la production à la veille de son démembrement. Ce monopole de fait a été maintenu pendant près de 35 ans du fait des prix fixés à un niveau décourageant toute intrusion sur son marché.

En 1899, la Standard s‟est réorganisée en holding dans la Standard Oil Company (New Jersey) et a assuré toute la coordination du groupe, soit 70 sociétés, 23 raffineries contrôlant 84% du brut traité aux USA. Dix années plus tard, sous l‟effet conjugué de la concurrence internationale –principalement l‟Inde, le Canada, la Russie, le Pérou- et de la lutte des indépendants, ce pourcentage est tombé à 14%. Une action judiciaire est menée en 1906 contre la Standard Oil Company, à laquelle il était reproché de se livrer à des pratiques discriminatoires sur le marché, de commettre des abus de pouvoir et d‟exercer en définitive un contrôle excessif sur les différentes phases de l‟industrie pétrolière américaine.

En 1911, la cour suprême des USA a jugé la Standard Oil Company en violation du Sherman Antitrust Act de 1890. Les arguments avancés par la cour étaient relatifs à des « restrictions irraisonnables au commerce ». Ont été évoquées en particulier, la pratique d‟acquisition des petits raffineurs indépendants et celle de prix prédateurs, pratiqués dans certaines régions. Dans cette affaire, la cour a ordonné le démantèlement de l‟entreprise. 33 de ses filiales les plus importantes ont été distribuées à ses propres actionnaires pour ne pas courir le risque d‟une nouvelle concentration. De ce démantèlement sont nées des entreprises comme Exxon, Mobil, Chevron ou American.

Ce jugement a constitué un tournant dans l‟histoire économique des USA, et a été à l‟origine d‟un nouveau concept dans la politique antitrust appelé la règle de la raison « rule of reason » en rapport avec le « unreasonable restraints to trade » mentionné dans le Sherman Act.

Ce nouveau principe, largement utilisé par les autorités antitrust par la suite, traduit la distinction établie entre un standard et une règle [Posner, 2001]. Dans la terminologie antitrust, il est d‟usage de distinguer entre des pratiques, qui constituent en soi des violations à la loi antitrust comme c‟est le cas par exemple d‟une entente sur les prix, des pratiques qui sont testées par la règle de raison, qui ne sont illégales que dans la mesure où elles restreignent le niveau de la concurrence d‟une manière « déraisonnable ».

Le besoin d‟une base juridique plus solide, a conduit à l‟adoption, en 1914, d‟un nouvel acte « le Clayton Act » qui condamne explicitement des pratiques commerciales telles que la discrimination par les prix, les relations commerciales exclusives, les acquisitions des concurrents.

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