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S‟il était possible d‟évaluer le pouvoir de domination des marchés en comparant les prix pratiqués au prix théorique obtenu sur un marché concurrentiel, la mesure du pouvoir de marché aurait été simple. Or, dans la pratique, la détermination du prix « concurrentiel » n‟est pas aisée car cette mesure directe dépend de l‟évaluation de concepts peu opérationnalisables tels que le coût marginal des entreprises et l‟élasticité de la demande.

Ceci explique que les mesures proposées par la théorie économique sont rarement utilisées dans la réalité juridique, bien que les démarches suivies par les différentes instances judiciaires dans le monde restent d‟essence théorique. Il n‟en demeure pas moins que les instruments utilisés dans la pratique,

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simplifiés pour être opérationnalisables, peuvent mener à des résultats peu satisfaisants et ont été à ce titre largement critiqués dans la littérature25.

IV.1 Indice de Lerner et dominance des marchés.

En 1934, Lerner a proposé une mesure du pouvoir de dominance d‟une entreprise. Le pouvoir du monopoleur étant celui de décider du prix du marché et donc de la quantité qui sera achetée, il l‟exerce donc de manière à maximiser son profit, ce qui lui permet de dégager une rente, dite de monopole. Cependant être l‟unique vendeur d‟un bien sur le marché ne suffit pas à lui conférer un pouvoir de dominance, encore faut-il qu‟il puisse l‟exercer, c'est-à-dire que la demande soit captive et ne puisse pas répondre à un besoin par un produit alternatif.

Si ces conditions sont vérifiées, alors la dominance peut être exercée et une rente peut être dégagée. Le prélèvement de cette rente ne constitue pas uniquement une réallocation des ressources sociales au détriment de la demande (voir supra paragraphe I.1) mais engendre également une perte sociale nette qui constitue une des raisons pour lesquelles la dominance des marchés est combattue par diverses législations.

Pour être efficace, la mesure de dominance choisie doit pouvoir refléter cette perte sociale. Certaines mesures utilisées dans la pratique, telles que l‟évaluation des profits réalisés ou celles des parts de marché détenues par une entreprise ne traduisent pas inconditionnellement l‟existence d‟un pouvoir de marché. En effet d‟une part, il est difficile de juger du niveau équivalent à une « juste rétribution du capital investi ». D‟autre part et concernant les parts de marché, une firme peut posséder une large portion de l‟offre sans pour autant être dominante. A contrario, une entreprise peut posséder un pouvoir de marché considérable bien qu‟elle ne contrôle qu‟une très petite partie de l‟offre d‟un bien.

Lerner propose de mesurer le pouvoir de monopole en mesurant le degré de divergence de l‟équilibre du monopoleur par rapport à l‟optimum social, obtenu dans un système concurrentiel parfait.

Sur un marché concurrentiel parfait, une entreprise cherchant à maximiser son profit produira une quantité de biens telle que son coût marginal sera égal à sa recette marginale.

Sur un marché monopolistique, l‟entreprise égalise sa recette marginale à son coût marginal mais fixe un prix de vente supérieur à la recette marginale, ce qui constitue précisément la rente du monopole telle que décrite précédemment (figure suivante).

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Une critique des procédures judiciaires suivies par la justice américaine concernant l‟évaluation du pouvoir de domination de certaines entreprises est faite notamment par Pitovsky [1990], « New Definitions of Relevant Market and the Assault on Antitrust », Colombia Law Review, Vol. 90, N°7, pp :1805-1864 ;

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Sur cette figure, Rm représente la recette marginale, Rmoy la recette moyenne et Cm le coût marginal.

Au point d‟équilibre concurrentiel C, l‟entreprise égalise son coût marginal au prix du marché qui est égal à sa recette moyenne. Le niveau de la production s‟établit à Qc pour un prix Pc.

Dans une situation de monopole, la règle d‟or de maximisation de profit, conduit le monopoleur à égaliser le coût marginal à la recette marginale (point O), mais étant donnée sa capacité à fixer le prix du marché il opèrera au point M qui correspond à une production Qm inférieure à la production relative

à une situation concurrentielle, et à un prix Pm plus élevé que Pc. D étant le niveau de super profit du

monopoleur, Lerner propose de l‟utiliser en tant que mesure du pouvoir de dominance.

Lerner propose par conséquent de mesurer le pouvoir de dominance du marché par le ratio :

L= (P- Cm)/P

Cette expression, connue sous le nom d‟index de Lerner (L) signifie que l‟on mesure le degré de pouvoir de dominance par la capacité du monopoleur à s‟écarter du prix qui serait obtenu sur un marché concurrentiel. Unités monétaires Pm Pc Qm Qc Quantités vendues Rmoy Figure 4. Indice de Lerner et pouvoir de dominance.

C Cm M Rm O D

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D‟autre part, la théorie microéconomique de base nous enseigne que :

Rm = P (1-1/e) [I.1]

Où Rm est la recette marginale, P le prix unitaire et e la valeur absolue de l‟élasticité de la demande adressée au produit. Il est clair d‟après cette expression que la recette marginale n‟est positive que dans le cas où la demande est élastique et que le monopoleur n‟opérera par conséquent que sur cette partie de la courbe de la demande.

La condition de maximisation de profit nous donnant à l‟équilibre :

Cm= Rm= P(1-1/e) [I.2]

On peut par conséquent écrire qu‟à l‟équilibre :

L= (P-Cm)/P = 1 / e [I.3]

A l‟équilibre le pouvoir de dominance peut être estimé à partir de l‟élasticité de la demande adressée au monopoleur. L‟élasticité ne peut cependant pas être utilisée lorsque le marché n‟a pas atteint son équilibre ou lorsque pour une raison ou une autre, le monopoleur n‟a pas un comportement optimisateur.

Selon Lerner, le monopoleur peut ne pas maximiser ses revenus et ce, soit accidentellement soit intentionnellement. Dans le premier cas de figure, il peut ne pas connaître la forme de la courbe de la demande qui lui est adressée ce qui implique que son estimation de l‟élasticité de la demande est erronée, et que son comportement ne mènera pas le système au point M de la figure 1. Dans cette éventualité, tout se passe en fait, comme si les consommateurs avaient réellement l‟élasticité que le monopoleur leur a conférée.

Si ce dernier surestime l‟élasticité de la demande, il va produire plus que QM et tarifer à un niveau inférieur à P ; à l‟extrême limite, si le monopoleur pense que la demande qui lui est adressée possède une élasticité infinie (c'est-à-dire que s‟il produit moins il ne sera pas capable d‟obtenir un meilleur prix), il égaliserait le prix au coût marginal et la situation serait la même qu‟au point d‟équilibre C de la concurrence pure et parfaite.

A contrario, si le monopoleur sous-estime l‟élasticité de la demande, il produira une plus petite

quantité qu‟il tarifera à un prix plus élevé que P. La seule différence avec le cas d‟une surestimation de la demande, est que la sous-estimation engendre une perte pour les consommateurs au lieu d‟un gain.

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Le monopoleur peut également opérer intentionnellement en sous - optimalité. Ceci notamment lorsque :

 Le monopoleur ne poursuit pas des objectifs purement lucratifs. Soit pour des raisons philanthropiques, soit pour des raisons sociales, le monopoleur peut décider de fixer des prix différents de PM. Si le bien est socialement désirable, il fixera le prix à un niveau inférieur à

PM, de manière à encourager sa consommation. De même, si le monopoleur désire

décourager la consommation du produit, il fixera un prix supérieur à PM, même si cela

signifie un niveau de profit inférieur à celui qu‟il pourrait réaliser au point M.

 Le monopoleur opère selon des principes lucratifs mais en gardant sciemment le prix ainsi que ses revenus à des niveaux inférieurs à ceux qui assurent un maximum de profit et ce, afin d‟éviter les lois anti- trusts ou l‟entrée d‟un nouveau concurrent.

Dans l‟ensemble des cas de figure décrits l‟index de Lerner n‟est pas égal à 1/e et c‟est donc (P- Cm) / P qu‟il faut utiliser pour mesurer le pouvoir de marché. Au point d‟équilibre cependant, 1/e est une mesure du pouvoir de marché.

Plus l‟élasticité de la demande est élevée, indiquant que les consommateurs peuvent aisément se tourner vers une source d‟offre alternative, moins le pouvoir de marché du monopoleur est grand et moins la marge sur coût marginal est élevée. Lorsque l‟élasticité de la demande tend vers l‟infini, (demande parfaitement élastique), l‟index de Lerner tend vers zéro, ce qui indique un pouvoir de marché nul.

Lorsque l‟élasticité tend vers l‟autre extrémité, c'est-à-dire qu‟elle est inférieure à 1, l‟index n‟est plus adapté car et comme on l‟a mentionné plus haut (I.1), le monopoleur n‟a pas intérêt à opérer sur cette portion de la courbe de la demande, puisque la recette marginale est négative.

Si le monopoleur se trouve dans cette situation, il baissera le niveau de la production et augmentera son prix, ce qui aura pour effet d‟augmenter son revenu. Dans l‟analyse de Lerner, le coût marginal est constant ce qui permet d‟estimer le pouvoir de marché par l‟étendue de (P-Cm). En effet, il est clair dans ce cas, que la différence entre le prix du monopole et le prix de la concurrence est exactement la même que celle entre le prix de la concurrence et le coût marginal.

Par contre, dans le cas où le coût marginal est croissant (figure 5), l‟indice de Lerner surestime la différence entre le prix du monopole et le prix de la concurrence. En effet, le prix de la concurrence est PC. Ce prix est supérieur au coût marginal du monopole quand il maximise son prix et donc l‟écart

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