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Le modèle adaptatif américain : vers une segmentation implicite des marchés des télécommunications.

Section II. Les marchés pertinents des télécommunications dans la pratique.

Marché 18 : services de radiodiffusion, destinés à livrer

II.2 Le modèle adaptatif américain : vers une segmentation implicite des marchés des télécommunications.

Aux USA, les marchés paraissent avoir émergé d‟une manière implicite. Cette émergence semble avoir été catalysée par les interactions entre les opérateurs qui, en générant des conflits d‟intérêts arbitrés par des cours de justice ou par la FCC127 , provoquent des remises en question des structures antérieures et font naître à chaque fois, des nouvelles segmentations de marchés.

Nous allons, dans ce qui suit, entreprendre une description historique de la régulation des télécommunications aux USA. Cette description de l‟évolution des politiques de régulation nous permettra, outre le fait d‟illustrer à travers un cas réel, les enjeux de la régulation et l‟impact que possède cette dernière sur l‟évolution de l‟industrie, des tenter de comprendre, comment sont nés les différents marchés des télécommunications aux USA.

II.2.1. Vers une première segmentation des marchés : le marché des équipements et le marché de la transmission.

De 1877, date de création de la « Bell Telephone Company » à 1982, date de la prononciation du MFJ (Modified Final Judgement) qui met fin au monopole d‟AT&T, la régulation de la concurrence dans le secteur des télécommunications a connu plusieurs phases [Geradin et Kerf, 2003].

 De 1877 à 1894, le secteur a connu une phase de monopole juridique. En 1876, ont été déposés à quelques heures près deux brevets128 pour une même invention « le télégraphe harmonique ». Les deux entreprises, propriétaires des brevets –« Bell » et « Western Union »- se sont engagés dans une controverse qui s‟est soldée en 1879 par un accord sur un partage du marché : La « Bell Telephone Company » conservait le monopole du téléphone et la « Western Union » celui du télégraphe. Ainsi, s‟est produite de fait, la première séparation des marchés dans ce secteur : le télégraphe et le téléphone.

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La Federal Communication Commission est chargée de surveiller le niveau de la concurrence sur les marchés des télécommunications et d‟éviter les abus de position dominante des opérateurs et ce, conformément aux textes fédérateurs du Sherman Act et du Clayton Act.

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Il s‟agit de Graham Bell et d‟Elisha Gray qui travaillait pour la Western Union. Bell ayant déposé son brevet quelques heures avant Gray, il devient le propriétaire légal du brevet.

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Le monopole juridique du marché de la téléphonie, s‟est poursuivi pendant quinze ans pendant lesquels la Bell Telephone Company » a dégagé des profits substantiels et s‟est préparée à la concurrence, notamment en déposant un grand nombre de brevets et en s‟intégrant en amont vers la fabrication des équipements.

 A partir de 1894, les brevets de « Bell » tombant dans le domaine public, la concurrence entre les opérateurs urbains est devenue florissante. 87 réseaux indépendants ont été crées dès cette date et l‟on a comptabilisé près de 12 000 concurrents en 1910 [Dang Nguyen et Phan, 2000].Plusieurs villes étaient desservies par deux ou plusieurs opérateurs, généralement la « Bell company » ainsi que d‟autres opérateurs indépendants. Cependant plusieurs entreprises ne s‟interconnectaient pas entre elles. Ceci était de nature à avantager les « Bell Company » locales qui possédaient une base de clientèle plus large.

D‟autre part, AT&T, l‟entreprise créée par « Bell Company » en 1900 avait acquis la même année un brevet d‟invention déposé par Pupin. Ce brevet, relatif à un moyen économique de transmission à longue distance a permis l‟interconnexion des échanges urbains.

Ce brevet a permis au « Bell System » d‟utiliser son contrôle du réseau interurbain comme un effet de levier pour contrôler les entreprises indépendantes et ce, notamment en leur interdisant de se connecter sur ce réseau pour l‟acheminement des communications de longue distance.

Cette politique d‟AT&T, basée sur l‟utilisation de l‟effet de levier pour consolider sa position dominante a provoqué la réaction du département de justice qui a menacé l‟opérateur d‟intenter une action en justice contre le « Bell System » dans le cadre des lois anti-trust (Sherman Act). Cette action s‟est soldée en 1913 par l‟engagement129 formel d‟AT&T d‟arrêter les acquisitions d‟une part, et de permettre l‟interconnexion à son réseau interurbain aux autres opérateurs indépendants, d‟autre part [Blumenfeld et Kunin, 1995].

Pendant cette période également, « Bell » a commencé à chercher une protection réglementaire pour sa position de monopole. En 1910, le « Mann-Elkins Act » a confié à « l‟Interstate Commerce Commission » (ICC) la réglementation des tarifs des sociétés de téléphone et ce, à la demande même de « Bell ». Le « Public Transportation Act » de 1920 a confirmé l‟autorité de l‟ICC sur la transmission de l‟information. Le « Willis Graham

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Act » a chargé, en 1921, l‟ICC de contrôler les fusions entre les sociétés de téléphone. Outre le fait que ce texte exemptait AT&T des lois anti-trust, il lui permettait également d‟augmenter son pouvoir en acquérant des entreprises additionnelles.

Pendant ce temps, AT&T a bénéficié d‟un monopole sur tous les segments de l‟industrie des télécommunications. Cette entreprise était la seule à offrir les services à longue distance et à travers ses « Bell Operating Companies »(BOCs), elle fournissait la plupart des services de communication locaux du pays. Avec la « Western Electric Company », AT&T dominait également la production et la distribution des équipements téléphoniques, étant donné que le « Bell System » se fournissait exclusivement auprès de la « Western Electric ». Le service téléphonique était alors perçu comme un monopole naturel qui devait être régulé pour le bénéfice des usagers.

 A partir des années 50, et alors que l‟industrie de téléphone se développait, de plus en plus de voix ont commencé à contester le caractère naturel du monopole du service téléphonique. Des concurrents potentiels ont poursuivi AT&T pour lui faire perdre sa main mise sur le monopole de la production et de la distribution des équipements de télécommunications. Dans le jugement131 Hush-A-Phone Corp, révoqué par la cour d‟appel une année plus tard132, AT&T s‟était opposée à ce que ses abonnés utilisent un appareil que l‟on pose sur le combiné dans le but de diminuer l‟effet du bruit ambiant et d‟améliorer la confidentialité des conversations. La société qui fournissait cet équipement (Hush-A- Phone) a porté plainte auprès de la FCC en 1948. Sept ans plus tard, la commission a tranché en faveur d‟AT&T en arguant que ce matériel pouvait nuire à la qualité de la transmission.

Dix années plus tard, une autre entreprise, la « Carter Electronics Corporation » déposait à son tour une plainte auprès de la cour de justice, dans le cadre de la législation anti-trust. Dans cette affaire, AT&T avait menacé ses abonnés de suspendre leur abonnement s‟ils utilisent une « cartephone » -procédé qui permettait, par couplage phonique, de connecter le système de radio-téléphone au réseau téléphonique. La cour a renvoyé l‟affaire à la FCC. Celle-ci a statué en faveur de l‟utilisation de la « cartephone » en s‟appuyant sur l‟argument que le « Bell System » n‟a pas réussi à démontrer que ce procédé nuisait à son réseau133.

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Willis- Graham Act de 1921, ch.20, 42 Stat 27 abrogé par le « Communication Act de 1934, chap 652, 48 Stat 1064,1102.

131

Hush-A-Phone Corp, 20 FCC 391 [1955].

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Hush-A-Phone Corp , 238 F 2d 266 [DC Cir 1956].

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De ces évènements, a émergé la distinction faite entre le marché des équipements, soumis à la concurrence et le marché de la transmission qui demeure régulé.

II.2.2. Segmentation du marché de la transmission : marché de la transmission locale/marché de la transmission à longue distance.

A partir de cette période, la main mise d‟AT&T sur la transmission à longue distance a été également attaquée. En 1963, « Microwave Communications Inc. » (MCI) a déposé une requête auprès de la FCC pour bénéficier du droit de fournir ses services à Saint Louis, Chicago ainsi que dans neuf villes intermédiaires. AT&T a protesté en arguant que d‟une part que cela nuirait à l‟intérêt général puisque cette solution serait coûteuse en terme d‟économie d‟échelle, que d‟autre part, MCI n‟avait pas les compétences techniques pour installer ce type d‟infrastructure et qu‟enfin, cette infrastructure créerait des interférences avec son propre réseau, et que par conséquent la qualité de sa transmission en serait dégradée. La FCC a tranché en faveur de MCI134. Cette dernière a décidé par la suite d‟étendre son activité en créant un service interurbain commuté –le service « Execunet »- qui fît également l‟objet d‟un procès, gagné par MCI qui obtint ainsi le droit de fournir des services de transmission non seulement sur des liaisons spécialisées mais également sur un réseau commuté.

Ces arrêts ont constitué de fait une segmentation du marché de la téléphonie en deux marchés : le marché de la transmission locale, qui demeurait un monopole et celui de la transmission « longue distance » soumis à la concurrence.

Au début des années 70, la FCC a adopté une politique beaucoup plus libérale et a déclaré que la concurrence dans le domaine de la transmission était un facteur de développement du secteur. Elle a octroyé par conséquent aux fournisseurs de services de transmission à longue distance, le droit de se connecter aux réseaux locaux desservant les abonnés. AT&T a obtempéré tout en fixant des tarifs prohibitifs sur ses lignes interurbaines.

Les nouveaux entrants sur ces marchés ont commencé à dénoncer les pratiques d‟AT&T jugées anticoncurrentielles. En effet, AT&T pratiquait une tarification prédatrice permise par la pratique de subventions croisées entre ses activités protégées par le monopole (tarifées largement au dessus des coûts) et ses activités sur des marchés concurrentiels (tarifés au dessous des coûts).

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