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Hay et Vickers [1987] ont identifié cinq facteurs pouvant engendrer une dominance des marchés. Il s‟agit d‟une allocation gouvernementale, des mérites intrinsèques de l‟entreprise, d‟une collusion implicite ou explicite, d‟une fusion ou d‟un comportement prédateur.

Un des premiers facteurs à l‟origine de la dominance des marchés est sans doute dû aux privilèges accordés par les autorités publiques. A chaque fois que l‟Etat use de son pouvoir pour restreindre la concurrence, il engendre des situations de dominance. L‟intervention de l‟Etat peut prendre la forme d‟octroi de licences exclusives, de la mise en place de certains quotas ou de prohibitions.

Un deuxième moyen permettant d‟acquérir une situation de dominance réside dans les compétences de la firme. Dans le processus concurrentiel, les entreprises largement plus performantes que les autres acquièrent en toute logique une position dominante sur le marché. Ce type de dominance, à l‟instar des licences, octroyées dans le cas des innovations, constitue une situation paradoxale du mécanisme de la concurrence en tant que régulateur du marché.

En effet, la finalité ultime recherchée par la concurrence est de pousser les entreprises à optimiser leurs performances, techniques d‟innovation et managériales. Ce faisant, elles peuvent dépasser leurs concurrents et acquérir de ce fait une position pouvant restreindre la concurrence. Cependant si, le

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système des brevêts permet de remédier partiellement à cette dominance en restreignant dans le temps l‟avantage octroyé, il n‟existe rien de tel dans le cas d‟une dominance due à des performances exceptionnelles.

En fait, tant que l‟entreprise leader demeure réellement efficace, non seulement en termes techniques ou d‟efficacité -X mais également en terme d‟efficacité d‟allocation, il serait irrationnel d‟intervenir, même si l‟entreprise exerce sa dominance en augmentant sa marge de profit, puisque dans la logique libérale, cette situation de dominance est temporaire dans le temps et disparaîtra d‟elle-même lorsque les autres concurrents auraient ajusté les conditions de leur offre à celle du leader sur le marché. Par contre, une intervention serait nécessaire si l‟entreprise entreprend des manœuvres visant à restreindre sciemment la concurrence en érigeant des barrières que Bain qualifie de stratégiques.

Dans la mesure où parmi l‟ensemble des facteurs cités par Hay et Vickers, seuls les fusions, les collusions et le comportement prédateur sont visés par les lois antitrust, nous nous intéresserons plus particulièrement dans ce qui suit à ces stratégies d‟entreprises.

Nous développerons également le concept de barrières à l‟entrée puisque pour les défenseurs des thèses prônant le non interventionnisme de l‟état dans les mécanismes de marché –l‟école de Chicago- principalement, la collusion, la fusion et la prédation par les prix ne sont en fait à l‟origine d‟un pouvoir de dominance que s‟il existe par ailleurs des barrières à l‟entrée qui empêchent le marché de jouer son rôle de répartiteur optimum des ressources.

II.1 La collusion

La collusion peut être ouverte ou tacite. C‟est la forme de la dominance sur laquelle il semble y avoir le plus d‟unanimité. L‟idée à la base des thèses liées à la collusion est que lorsque le nombre d‟entreprises qui opèrent sur un marché est peu élevé, les firmes ont intérêt à s‟entendre pour dégager plus de profits.

Dans la théorie plusieurs modèles sont décrits. Le modèle de Cournot traduit un comportement stratégique de deux entreprises basé sur le choix des quantités à émettre sur le marché. Ce modèle admet une solution où les quantités émises par les deux entreprises sont égales et permettent aux deux entreprises de dégager un profit.

Le modèle de Bertrand reproduit le schéma d‟une guerre ouverte des prix. A l‟opposé du modèle de Cournot, le prix n‟est pas une donnée mais traduit les choix stratégiques des entreprises. Les consommateurs sont supposés réorienter sans délais leur demande à l‟entreprise qui propose le prix le

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moins élevé. Les deux entreprises quant à elles n‟ont pas de contraintes de capacité et peuvent chacune produire la totalité de la quantité pouvant être absorbée par le marché à condition toutefois que le prix de vente soit au minimum égal à leur coût marginal.

Ces hypothèses impliquent par conséquent que chacune des deux firmes a intérêt à baisser son prix à un niveau inférieur à celui du concurrent pour essayer de capturer sa clientèle et maximiser ainsi son profit. Les stratégies des deux entreprises étant symétriques, ce processus continue jusqu‟à ce que le prix de vente soit égal au coût marginal, ce qui élimine toute possibilité de profit. Solution, il va s‟en dire, très préjudiciable aux deux entreprises.

Pour éviter ce genre de situation, on peut penser que les deux entreprises chercheront plutôt un moyen de s‟entendre et donc à mettre en œuvre des stratégies qui annihileraient l‟effet de la concurrence qu‟elles se font sur l‟érosion de leurs profits. Une manière de concrétiser cette entente serait de former un cartel et de fixer des quotas de production pour chaque entreprise, qui, si les membres ne trichent pas en essayant de les outrepasser, pourraient empêcher la chute des prix. Dans ce cas, elles peuvent fixer un prix égal au prix du monopole et se partager le profit du monopoleur.

La question que l‟on pourrait se poser dans ce cas est de savoir si la solution représentée par la cartellisation est stable. Stigler remarque en 1966 qu‟il vaut mieux être à l‟extérieur d‟un cartel qu‟à l‟intérieur. En effet, étant donné que le prix fixé par le cartel traduit une certaine dominance du marché dans la mesure où il permet à chaque membre, de bénéficier d‟une marge, une entreprise à l‟extérieur du cartel peut profiter de la situation en accroissant sa capacité de production et par là même ses profits.

Cette tentation est également présente au sein du cartel. Chaque entreprise a intérêt à tricher et à dépasser son quota de production. Ce faisant elle nuit à la collectivité des entreprises à l‟intérieur du cartel et menace sa survie. Cette situation peut être modélisée en théorie des jeux.

Tableau 2. Modélisation de l'équilibre d'un cartel formé par un duopole.

L‟entreprise 2 respecte le quota L‟entreprise 2 triche L‟entreprise 1 respecte le quota (w,w) (x,y)

L‟entreprise 1 triche (y,x) (z,z)

Où :

 (w,w), (x,y), (y,x) et (z,z) représentent les gains de chacune des deux entreprises dans chaque cas de figure.

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 y>w>z>x.

Dans ce genre de situation, une entreprise a toujours intérêt à tricher lorsque la firme concurrente respecte le quota. Dans le cas où le concurrent triche l‟autre entreprise a de nouveau intérêt à tricher plutôt qu‟à maintenir le quota.

Ainsi, quelle que soit l‟hypothèse que l‟entreprise retient sur la stratégie du concurrent, son intérêt est toujours de tricher. Ceci, d‟après Stigler est de nature à terme, à détruire le cartel et permet à nouveau à la concurrence de reprendre ses droits à moins qu‟il n‟existe un contrat liant les deux entreprises et prévoit des sanctions en cas de défection de l‟un des membres du cartel.

En fait, les prix ne sont pas fixés une fois pour toute mais périodiquement. Ce qui signifie notamment que le « jeu » n‟est pas unique mais répété. Si l‟on tient compte de ce caractère récurrent, les conclusions de Stigler deviennent inopérantes.

En effet dans ce cas, la solution de coopération peut être viable car si l‟une des entreprises décidait de tricher, l‟autre aurait par la suite la latitude de la faire. Ce phénomène de rétorsion est alors un moyen de dissuasion efficace pour peu que le bénéfice espéré d‟une déviation unilatérale de l‟équilibre coopératif soit inférieur aux conséquences d‟une rétorsion de la part du partenaire dans les périodes suivantes.

Cette situation prend alors la forme de « collusion tacite » entre les entreprises qui, loin de refléter une volonté de coopération entre les entreprises reflète plutôt les craintes des mesures de rétorsion qu‟entraînerait une déviation unilatérale de l‟un des membres par rapport au quota qui lui a été assigné.

II.2 La prédation par les prix.

La prédation par les prix est une forme particulière de la discrimination par les prix. Il est évident qu‟une entreprise capable de fixer des prix différents en fonction des caractéristiques des clients et ce, pour un même produit, est une entreprise qui jouit d‟un certain pouvoir de marché.

Autrement, dans un contexte parfaitement concurrentiel, une entreprise qui fixerait ses prix à un niveau supérieur à son coût marginal, ne trouverait pas d‟acheteurs. La possibilité d‟une discrimination n‟existe cependant que si l‟élasticité par rapport au prix est différente pour différents segments de la demande et que si la revente entre les différents segments n‟est pas possible.

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L‟objectif de la discrimination par les prix est de profiter de sa position de dominance et de l‟hétérogénéité de la demande pour augmenter le profit de l‟entreprise. Dans le cas de la prédation et même si le principe de base est le même, l‟objectif poursuivi par la firme est différent.

Pour une entreprise qui opère sur plusieurs marchés ou qui vend à des segments de caractéristiques différentes, il est facile de passer d‟une stratégie de discrimination ayant pour objectif l‟accroissement de ses rentes à une stratégie de prédation visant explicitement à restreindre le niveau de la concurrence actuelle ou potentielle.

La thèse de la prédation est relativement simple : une entreprise qui opère simultanément sur plusieurs marchés ou vend à plusieurs groupes différents, peut vendre ses produits à un prix très bas sur un marché concurrentiel, en finançant cette baisse de prix par l‟augmentation des prix des produits vendus sur des marchés sur lesquels elle bénéficie d‟un pouvoir de dominance. Les concurrents de l‟entreprise, ne disposant pas de la même opportunité, ne peuvent survivre en tarifant au dessous de leurs coûts disparaissent du marché. Une fois cet objectif atteint, l‟entreprise fixe à nouveau ses prix au prix du monopole.

Dans l‟objectif de fournir aux autorités antitrust une base objective et opérationnelle pour qualifier une stratégie d‟entreprise de « prédatrice », Areeda et Turner [1975] soutiennent que les prix sont prédateurs à partir du moment où une entreprise en position de dominance, les fixe à un niveau inférieur au coût marginal de court terme, ceci dans le cas où le coût marginal est inférieur au coût moyen (branche des rendements croissants). Sur la branche de la courbe des coûts où le rendement est décroissant, l‟entreprise peut baisser son coût au dessous du coût marginal à condition que le prix soit supérieur au coût moyen.

Areeda et Turner admettent cependant que dans la réalité, les coûts marginaux d‟une entreprise sont difficiles à obtenir et propose de les approximer par ses coûts variables moyens.

Certains auteurs, McGee [1980] notamment, soutiennent qu‟une prédation par les prix n‟est pas toujours soutenable et que les entreprises auraient plus intérêt à chercher un compromis avec le nouvel entrant plutôt que d‟encourir des pertes qui leur sont préjudiciables.

En effet, une entreprise désirant entrer sur un marché, peut anticiper une stratégie de prédation par les prix et s‟y préparer financièrement. Si cette entreprise, décide quand même d‟entrer et si cette entreprise encourt ce faisant, des coûts irréversibles, alors l‟entreprise en place a tout intérêt à chercher un compromis, surtout si elle produit à une plus grande échelle auquel cas elle enregistrera plus de pertes que l‟entrant potentiel.

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