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Définition des marchés dans un environnement hautement technologique.

Hruska [1992] s‟est intéressé à la définition des marchés dans le contexte des industries évoluant dans un environnement hautement technologique. Il soutient que la méthodologie antitrust de définition des marchés pertinents est inappropriée dans des industries caractérisées par un fort taux d‟innovations. Le principe de délimitation qui consiste à choisir pour point de départ d‟analyse les produits de l‟entreprise, en élargissant le marché au fur et à mesure qu‟il est établi qu‟une augmentation de prix induit une baisse des quantités achetées, mène à une définition trop étroite du marché.

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En effet, les industries de haute technologie possèdent plusieurs caractéristiques qui leur sont propres. Tout d‟abord, le processus d‟innovation et de développement des produits commence longtemps avant leur commercialisation.

Ensuite, les produits hautement technologiques (produits de la nouvelle économie, principalement les softwares) ne possèdent presque pas de coûts de transport et font face à peu de restrictions tarifaires, ce qui implique que le pouvoir de marché domestique n‟a que peu de signification puisqu‟il n‟existe pas de barrières géographiques du marché.

Enfin, les barrières à l‟entrée, particulièrement pour les softwares, sont peu élevées, étant donné que le capital à investir est constitué principalement par le capital humain.

La prise en compte de ces caractéristiques implique qu‟une définition étroite du marché nuit aux entreprises de haute technologie au moins à deux niveaux :

Dans un contexte de compétition internationale où les barrières transnationales n‟ont que peu de signification, les entreprises dont les autorités nationales empêchent la croissance par le biais des intégrations se trouvent handicapées par rapport à d‟autres qui, au contraire, font l‟objet d‟encouragements dans ce sens par leur autorité d‟origine.

D‟un autre coté, les entreprises appartenant à des industries hautement technologiques sont des entreprises dans lesquelles la recherche est fondamentale. La coopération entre les entreprises est de ce fait primordiale et implique des deux cotés des engagements spécifiques. La fusion représente dans ce cas une forme de coopération qui économise sur les coûts de transaction. Empêcher l‟intégration dans ce cas, pourrait engendrer des coûts d‟inefficacité.

Teece et Coleman [1998] ont mis également en relief certaines caractéristiques des marchés hautement technologiques qui impliquent une autre lecture du comportement des entreprises évoluant sur ces marchés. Si, dans une optique antitrust, le régulateur ne prend pas en compte ces caractéristiques, cela pourrait affecter négativement le degré de concurrence sur le marché. Ces auteurs ont identifié quatre critères clef de ces industries :

 La nature épisodique des ruptures concurrentielles. La concurrence sur les marchés des industries hautement technologiques est souvent affectée par des innovations incrémentales et ponctuée par des changements de paradigmes majeurs. Ces changements bouleversent complètement les positions des entreprises préétablies et implique l‟existence d‟un risque lié aux affaires extrêmement élevé : une entreprise se trouvant à la traîne par rapport à ses

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concurrents pouvant être rapidement propulsée à la tête du peloton et vice versa. Ce rythme de changement technologique rapide est difficile à gérer pour une entreprise déjà installée sur le marché qui possède plus de difficultés à changer complètement de trajectoire. De ce fait, l‟avènement d‟une innovation technologique constitue une opportunité pour les nouveaux entrants mais souvent une menace pour les firmes préétablies.

La réussite sur les nouveaux créneaux n‟est pas impossibles pour ces dernières mais requiert une capacité de réponse à la nouvelle demande et ce, en constituant des nouvelles relations et des alliances appropriées, ce que Teece et Coleman appellent les « capacités dynamiques ». La nature du paradigme de l‟évolution technologique et industrielle inclut des vagues épisodiques de « destruction créatrice » implique une prise en compte par le régulateur de ce phénomène. Bien que chaque vague de destruction créatrice ne peut être estimée ni dans sa durée ni dans sa puissance, Teece et Coleman proposent que les régulateurs prennent conscience de la nature « auto correctrice » de la dominance engendrée par ces innovations. Pour eux la dominance des marchés, dans ce cas, est souvent transitoire excepté pour les opérateurs intelligents et rapides car les mutations technologiques ont pour effet direct, la baisse drastique des coûts d‟entrée.

De ce fait, lorsque les entreprises préétablies survivent aux mutations technologiques, c‟est souvent un indicateur de leur efficacité concurrentielle. La destruction pouvant être induite par les entreprises qui adhèrent aux nouveaux paradigmes signifie que la concurrence dans les industries hautement technologiques est d‟une amplitude plus importante que sur les marchés matures et que les risques associés à l‟activité dans ces environnements sont élevés. En conséquence, il est rationnel de s‟attendre à des marges plus élevées que sur les marchés matures, et ce pour compenser le risque élevé de l‟activité et pour rentabiliser les investissements en recherche et développement. D‟autre part, ces marges élevées sont également nécessaires pour rentabiliser les investissements liés à des activités à durée de vie limitée avant l‟obsolescence de la technologie qui la sous-tend.

La prise en compte de ces données rend la régulation de ces marchés problématique. En effet, outre le fait que l‟opacité de l‟environnement la rend difficile, elle peut mener à des résultats contraires aux effets escomptés. Tout d‟abord, parce que ces environnements instables permettent continuellement aux nouveaux entrants de bouleverser l‟ordre préétabli, ensuite parce que pénaliser un gagnant dans une phase d‟innovation rend le marché moins attractif en baissant la rentabilité escomptée d‟une activité par ailleurs risquée, ce qui pourrait avoir comme effet de détourner des investisseurs potentiels vers des marchés moins risqués.

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 Existence de rendements croissants : si les théories néoclassiques, basées sur l‟hypothèse de coûts marginaux croissants et sur l‟utilisation dans une industrie, de technologies identiques, pouvaient appréhender les comportements des entreprises jusqu‟au 20ième siècle, elles ne sont que de peu d‟utilité dans un contexte de rendements croissants. L‟économie des rendements croissants implique certaines stratégies de comportement des entreprises qui peuvent être interprétées comme des tentatives de monopolisation du marché, alors qu‟en réalité, ces comportements obéissent à une logique d‟efficacité économique. En effet, dans une économie caractérisée par des rendements croissants, les entreprises ont intérêt à être les premiers entrants sur un marché, car ce sont ceux qui sont en tête, qui renforcent leur position. Or, jouer la stratégie du premier entrant signifie que la minimisation des coûts et l‟optimisation statique ne sont que d‟une utilité marginale par rapport à d‟autres critères de réussite tels que la rapidité de réaction la faculté d‟anticipation ou l‟innovation.

 Effets de réseaux : les effets de réseaux peuvent également mener à des situations de monopole qui peuvent perdurer. En effet, ces effets peuvent amener un marché à choisir une plateforme ou un standard unique parce que les avantages procurés par le fait d‟avoir une plateforme unique sont plus élevés que les désavantages liés à une pauvreté au niveau de la diversité des offres.

 Flux d‟informations et croissance des marchés : les nouvelles technologies de l‟information et l‟adoption de standards favorisent la connectivité des entreprises. Cette interconnexion induit un flux d‟information fluide et rapide qui transforme les chaînes de valeur traditionnelles des entreprises. En effet, les nouvelles technologies de l‟information facilitent la spécialisation, baissent les coûts de recherche et favorisent l‟entrée sur de nouveaux marchés. Dans une optique antitrust, l‟émergence de ces phénomènes implique que les délais de réaction pris en compte lors de la délimitation des marchés peuvent être sensiblement réduits.

Une adaptation des méthodologies de définitions des marchés est donc à entreprendre pour prendre en compte les spécificités des marchés hautement technologiques.

Conclusion

Il ressort des différents développements précédents, que les marchés pertinents demeurent difficiles à cerner et ce, pour diverses raisons. Tout d‟abord la définition des marchés dépend de l‟optique dans laquelle elle est effectuée. Les méthodes de délimitation purement économiques, dont l‟objectif est

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simplement l‟identification des offreurs et des demandeurs qui concourent à la détermination des prix d‟équilibre, n‟aboutissent pas nécessairement à un même marché qui serait déterminé dans l‟objectif de détection d‟une position dominante. Des éléments relatifs à une offre potentielle concernant des capacités de production non utilisées ou un appareil productif facilement convertible sont également à prendre en considération dans le cas de la délimitation juridique.

D‟un autre coté, et quels que soient les principes de base retenus pour délimiter les marchés –ceux relatifs aux prix et ceux à la substitution des produits-, ils souffrent dans leur applicabilité juridique, d‟une certaine subjectivité. Ceci, tant au niveau des méthodes d‟investigation choisies pour tester la substitution, méthodes largement hypothétiques dans leur essence, qu‟au niveau de l‟interprétation des différents indices proposés par les législations antitrust. Cet état de fait étant est dû largement à la difficulté d‟opérationnalisation des concepts économiques tels que l‟élasticité de la demande ou le coût marginal de l‟entreprise.

Troisièmement, certaines questions semblent résolues d‟une manière assez arbitraire : il s‟agit notamment du seuil d‟élévation du prix à considérer dans le test de substitution ainsi que des délais de réaction à prendre en compte lors de l‟intégration de l‟offre potentielle.

Enfin, il serait peut être opportun de prendre explicitement en considération certains facteurs tels que la nature de l‟environnement qui peuvent substantiellement influer sur l‟étendue des marchés comme c‟est notamment le cas pour les industries à fort taux d‟innovation tels que le secteur des télécommunications par exemple.

Le prochain chapitre tentera justement d‟identifier les caractéristiques intrinsèques de ce secteur et ce, pour mieux analyser les sources particulières de dominance dans ce secteur.

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Chapitre III- Emergence historique des causes de la

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