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Section I. Les enjeux économiques et sociaux de la dominance des marchés.

I.I.I.I L’effet sur le bien-être collectif

Le passage de l‟équilibre d‟un marché concurrentiel à un marché monopolistique se traduit (voir figure 1 ci-après) par une baisse de la quantité échangée -de Qc (quantité échangée en situation de concurrence) à Qm (quantité échangée en situation de monopole), ainsi que par une augmentation du prix de marché –de Pc (prix concurrentiel) à Pm (prix du monopole).

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En situation de concurrence, le surplus des consommateurs, qui est égal à la différence entre le prix qu‟ils sont prêts à payer et le prix du marché multiplié par la quantité achetée, est égal à : A+B+C. Ce surplus passe à A, lorsque le marché devient monopolistique.

Le passage de l‟état d‟équilibre concurrentiel à l‟état d‟équilibre monopolistique implique pour le producteur, que son profit, qui est égal à la différence entre ses recettes et son coût total, passe de D+E à B+D.

La variation du surplus social total, qui est la somme du profit du producteur et du surplus des consommateurs, passe donc d‟une quantité égale à A+B+C+D+E (en situation concurrentielle) à une quantité égale à A+B+D (en situation monopolistique).

Cette richesse perdue du fait de l‟existence d‟une dominance de marché, dite « dead weight loss », qui n‟est compensée par aucun gain supplémentaire gagné par quiconque, et qui représente par conséquent une perte sèche pour la société, constitue la raison première pour laquelle la dominance est combattue par les régulateurs.

Unités monétaires Pm Pc Cm Qm Qc C E Quantités vendues Cmoy D A B D F G H Source : Schmalensee [1982], p : 1791. Figure 1. Les coûts sociaux de la dominance

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Même si on peut se poser la question de la légitimité du transfert sans contrepartie d‟une partie de la richesse des consommateurs au profit du monopoleur, cet aspect n‟est généralement pas pris en considération par les économistes.

Ceci parce que d‟une part, il n‟y a pas de perte au niveau du surplus de bien-être collectif et que d‟autre part, cet aspect de la question représente plutôt une question du choix de répartition des ressources entre différents éléments de la société et qu‟il n‟y a pas de consensus sur la question de savoir qui, du monopole ou des consommateurs, emploiera au mieux ces richesses.

La perte sociale nette, représentée par les triangles C+E dans la figure ci-dessus, représente, au contraire, une valeur qui disparaît purement et simplement du fait de l‟existence du monopole. Sur la base de cette analyse, certains chercheurs ont entrepris de mesurer l‟étendue de ces pertes empiriquement (Tableau 1). Force est de constater, si l‟on se réfère à ces travaux, que ces pertes sont minimes surtout au regard de ce que pourrait coûter une intervention juridique ayant pour but de corriger ces effets.

Plus encore, si la dominance du marché n‟est pas totale, c'est-à-dire que les prix ne sont pas fixés aussi haut que l‟optimum du monopoleur le permettrait, la perte sociale serait considérablement inférieure à celle qui est mesurée dans le tableau 1.

En effet, à moins que le monopole en place ne bénéficie de barrières à l‟entrée hermétiques, le prix fixé ne peut pas être aussi élevé que PM car cela risquerait d‟attirer de nouveaux entrants potentiels, ce

qui implique que les estimations des pertes sociales doivent être estimées pour tenir compte de ce phénomène [Harberger1954].

Tableau 1.Perte du "bien être" due à une mauvaise répartition des ressources.

Auteur Source Pays Cause Perte

Harberger A. C. American Economic Review (1954) USA (1929) Monopole 0.07% Schwartzman D. Journal of Political Economy (1960) USA (1954) Monopole 0.01% Scitovsky T. Economic Theory and Western European

Integration.(1958)

Marché commun (1952)

Tarifs 0.05%

Wemelsfelder J. Economic Journal (1960) Allemagne (1958) Tarifs 0.18% Janssen I.H. Free Trade, Protection and Customs Union

(1961)

Italie (1960) Tarifs max 0.1%

Johnson H.G. Manchester School (1958) G.B (1970) Tarifs max 1% Singh A. Economic Integration : a Theorical, Empirical

Study (Thèse : 1963)

Pays du traité de Montevideo

Tarifs max 0.0075%

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D‟autre part, il est avancé que les coûts sociaux sont bien plus importants que ceux représentés par C+E [Posner, 1975]. Il conviendrait d‟après lui de prendre en compte également le coût d‟opportunité des ressources engagées par l‟entreprise pour obtenir les profits dégagés par le monopole. Posner soutient que :

1. Devenir un monopole est une activité économique concurrentielle. Par conséquent, les entreprises poursuivant cette activité engageront des coûts jusqu‟à ce que la dernière unité dépensée dans cette activité augmente d‟une unité la valeur du profit espéré de devenir un monopole.

2. Les coûts dépensés par l‟entreprise pour constituer un monopole sont constants et sont engagés de manière à ce que le coût d‟opportunité d‟être un monopole soit égal à la valeur espérée du monopole.

Sur la base de ces deux hypothèses, Posner présente un modèle d‟évaluation du coût social engendré par le monopole conçu comme étant la somme de C+E et de B+D qui serait la perte additionnelle représentée par les dépenses engagées pour devenir un monopole. Les estimations de la perte globale due au monopole16 seraient, dans ce cas, nettement plus élevées que celles avancées par Harberger (Tableau 1).

I.1.1.2 Inefficacité allocative

Le concept d‟efficacité est ce qui constitue souvent le cœur des discussions concernant les mérites

respectifs du monopole et de la concurrence. Dans les théories du capitalisme libéral néoclassiques, le jeu de la concurrence assure au marché l‟harmonisation de l‟offre et de la demande qui se traduit à l‟équilibre par une efficacité technique et une efficacité allocative optimums.

Ce jeu concurrentiel est parfaitement décrit par Salter17 qui écrit que : « le système économique normal

fonctionne spontanément …A travers l’ensemble des activités humaines et l’ensemble des besoins humains, l’offre s’ajuste à la demande et la production à la consommation par un processus automatique, élastique et sensible ».

16

Posner avance qu‟en augmentant les prix des industries régulées au dessus du prix concurrentiel, la régulation entraîne un coût social de l‟ordre de 2% du PNB américain

17

Salter A., Allied Schipping Control, pp : 16-17, cité par Coase R. H. (1937), “The Nature of The Firm”, Economica, Vol. 16, (novembre) p: 387. (traduction de l‟auteur)

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Si la demande pour un bien augmente, les prix augmentent, ce qui oblige certains consommateurs à renoncer au produit. Cette augmentation des prix encourage les entreprises à investir dans la fabrication du produit. Au fur et à mesure que les entreprises, attirées par les profits, répondent à la sollicitation de la demande, la production augmente, les prix baissent jusqu‟à l‟élimination des profits.

Les prix obtenus par ce processus assurent une juste répartition des ressources. Ils permettent d‟une part de rationner ou d‟adapter les besoins des consommateurs aux ressources existantes et permettent d‟autre part d‟orienter les ressources productives en fonction des besoins des consommateurs.

En situation de monopole, les mécanismes d‟ajustement des prix et des quantités ne fonctionnent plus de la même manière. La seule contrainte que peuvent opposer les consommateurs au monopoleur est leur élasticité aux variations des prix fixés par le monopole.

Le monopoleur optimise son profit en égalisant son coût marginal à la recette marginale, ce qui permet d‟atteindre l‟efficacité technique, mais produit moins que la quantité qu‟il aurait produit en situation de concurrence, ce qui lui permet de fixer un prix supérieur à la recette marginale, et est de nature à lui assurer une rente.

Par conséquent et bien que selon ce point de vue, le monopole permet une efficacité technique il est néanmoins à l‟origine d‟une inefficacité d‟allocation puisque la même quantité de ressources allouée à la production d‟un bien permet la fabrication d‟une quantité moindre de produits.

L‟efficacité technique du monopole est, quant à elle, remise en question par Leibenstein [1978]. La théorie néoclassique postule que les entreprises, ayant une connaissance parfaite et identique de l‟environnement technologique, choisissent la technologie la plus performante qui existe sur le marché et maximisent la productivité des facteurs de production.

Leibenstein réfute ces hypothèses. Pour lui, l‟entreprise n‟est pas obligatoirement optimisatrice et ses résultats dépendent de l‟effort consenti par ses membres. Or, le choix technologique, dépend de la connaissance technologique qui, elle-même, dépend de l‟effort effectué par les membres de l‟entreprise pour l‟acquérir. Cet effort, n‟étant pas forcément maximum, le choix peut être imparfait d‟autant plus que l‟entreprise est un monopole, privé de l‟élément de motivation émanant de la concurrence.

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