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Section III : Approches théoriques de la définition des marchés.

III.2. Les approches antitrust

Bien qu‟intimement liées, les approches que nous avons qualifiées de « néoclassiques »-car elles sont basées sur une idée de fonctionnement concurrentiel des marchés- et les approches antitrust, peuvent aboutir à des marchés dont les contours sont sensiblement différents. Trois principales raisons, qui dérivent de l‟existence d‟une entreprise dominante sur un marché, expliquent l‟inadaptation des approches basées sur les mécanismes des prix pour délimiter des marchés dans une perspective anti- trust.

Tout d‟abord, la taille d‟un marché dépend du degré de dominance exercé par la ou les entreprises qui le composent. En effet, une entreprise dominante possède la latitude d‟augmenter ses prix jusqu‟à un niveau où les produits des entreprises potentiellement concurrentes commencent à être considérés comme étant des substituts par les consommateurs. Ce qui signifie qu‟au fur et à mesure que l‟entreprise dominante augmente ses prix, elle augmente par là-même, la liste des produits qui sont substituables aux siens et élargit par conséquent le marché pertinent.

Ensuite, en étant dominante, une entreprise peut limiter les arbitrages effectués et pratiquer une discrimination des prix entre ses différents clients, ce qui implique qu‟on peut observer des prix sensiblement différents au sein d‟un même marché antitrust.

Enfin, l‟analyse de Landes et Posner que nous avons présenté dans le chapitre précédent, a démontré la nécessité de prendre en compte la capacité de l‟offre à répondre à une augmentation des prix

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pratiqués par l‟entreprise dominante. Ceci signifie que les marchés à définir doivent être élargis pour tenir compte des capacités potentielles des concurrents.

Areeda et Turner [1978] définissent le marché antitrust comme étant ou entreprise ou un groupe d‟entreprises qui, s‟ils s‟unissent par un agrément ou une fusion, posséderaient un pouvoir de marché en traitant avec un groupe d‟acheteurs.

Cette définition du marché pertinent met d‟emblée l‟accent sur la finalité antitrust de la démarche visant à le délimiter. Le pouvoir de dominance constitue, de ce point de vue, le principe directeur de la démarche de définition des marchés. L‟évaluation de ce pouvoir de dominance, telle que déduite par l‟analyse de Landes et Posner (formalisée par l‟équation 1.7 𝐿𝑖 =( 𝑃𝑖 −𝐶′𝑖 )

𝑃𝑖 =

𝑆𝑖

(𝜀𝑚𝑑+ 1−𝑆𝑖 𝜀𝑗𝑂) ) a mis en

exergue deux facteurs qui le déterminent : l‟élasticité de la demande et l‟élasticité de l‟offre.

III.2.1 Délimitation du marché et élasticité de la demande.

L‟élasticité de la demande, relative à la sensibilité des consommateurs aux variations des prix du bien considéré, dépend de l‟existence de produits de substitution. Il est évident que lorsque des produits possèdent des proches substituts, le pouvoir de dominance s‟en trouve réduit. Il est à noter, que de cette perspective, les produits de substitution peuvent être issus de processus de production complètement différents à condition qu‟ils soient considérés comme substituts de la part des consommateurs.

La délimitation d‟un marché en vue d‟évaluation du pouvoir de dominance devrait par conséquent être basée sur les substitutions effectuées. Un tel marché est limité par un « intervalle appréciable » dans la chaîne de substitution, de manière à ce que l‟offre et la demande relatives aux produits considérés comme étant à l‟intérieur du marché délimité soient indépendants de l‟offre et de la demande adressés aux produits exclus du marché défini. Ceci implique que non seulement l‟intervalle qui sépare les produits inclus des produits exclus soit suffisamment large pour considérer que l‟effet des produits exclus puisse être négligé dans l‟analyse du pouvoir de dominance, mais également que les produits inclus soient de proches substituts.

Schmalensee [1982] soutient que lorsque les produits sont très différenciés, de tels intervalles existent rarement dans les chaînes de substitution, ce qui nuit à la délimitation des marchés et fausse par conséquent l‟évaluation de la dominance.

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Il est vrai que si l‟on considère un ensemble de produits sur une chaîne de substitution, il n‟existe généralement pas d‟intervalles suffisant entre chaque produit et son plus proche substitut pour délimiter un marché. Cependant et à notre avis, ce problème peut être résolu en considérant le produit en tant qu‟un ensemble d‟attributs répondant à des besoins contextuels.la démarche à entreprendre pour mettre en relief les « intervalles » séparant les marchés est de considérer un produit de référence et de mesurer les distances telles que perçues par la demande entre ce produit de référence et les autres produits potentiellement substituables.

En effet, les produits différenciés sont par définition des produits dont les attributs sont différents. Sur une chaîne de substitution, un premier produit A peut être proche d‟un deuxième produit B parce qu‟ils partagent un certain nombre d‟attributs en commun. Le produit B peut être proche substitut d‟un troisième produit C également parce qu‟ils partagent également un certain nombre d‟attributs en commun. Ces chaînes de proximités conduiraient dans l‟optique de Schmalensee à inclure les trois produits au sein d‟un même marché. Or, si l‟on considère ces produits en tant que paniers d‟attributs, le produit A et le produit C peuvent ne partager aucun attribut en commun, ce qui impliquerait que l‟intervalle existant entre le premier et le troisième panier d‟attributs est suffisant pour les exclure de leurs marchés pertinents successifs.

Ainsi et pour reprendre les exemples cités par Schmalensee, il est vrai que si l‟on considère la chaîne de substitution de point à point entre une Chevrolet et une Mercédès Benz ou un petit PC d‟une station informatique, il n‟existe pas de rupture claire entre deux éléments de la chaîne pour conclure à des marchés séparés, alors que des propos même de l‟auteur, il semble évident que ces produits ne sont pas de proches substituts. Ce paradoxe peut être résolu en tenant compte des attributs de chacun des produits et en estimant des distances par rapport à un produit de référence.

III.2.2.Le rôle de l’offre dans la définition des marchés.

Le modèle de Landes et Posner met en exergue le rôle joué par l‟élasticité de l‟offre dans l‟exercice de la dominance. Ce modèle a en effet établi que la puissance d‟une entreprise est également contrainte par l‟offre de substitution. Lorsqu‟une entreprise peut, sans difficulté et sans coûts supplémentaires, réorienter sa production et offrir le même produit que celui d‟une entreprise dominante, elle exerce une contrainte sur cette dernière qui ne pourra augmenter indûment ses profits sans attirer de nouveaux concurrents. Cette pression de l‟offre, qui dépend du niveau des barrières à l‟entrée et des barrières à la sortie, s‟exerce à trois niveaux : à celui relatif aux capacités excédentaires des concurrents immédiats, au niveau des nouveaux entrants et à celui des importations.

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 A court terme, l‟augmentation de la quantité offerte par les concurrents immédiats est souvent limitée. Les capacités à long terme sont théoriquement illimitées mais les entreprises concurrentes peuvent être freinées dans leur volonté d‟investir dans de nouvelles capacités de production, par le fait que l‟entreprise en place décide d‟augmenter la sienne ce qui entraînerait une baisse du niveau des prix. Cet état des choses explique également pourquoi la définition du marché ne peut qu‟approximativement indiquer la puissance sur le marché. Bien que l‟on puisse intégrer au sein d‟un même marché pertinent, les producteurs locaux de produits identiques, ces producteurs ne contraignent pas réellement l‟entreprise dominante s‟ils ne sont pas capables d‟augmenter leur production. D‟un autre coté lorsqu‟une forte croissance de la production du marché peut être générée par un ensemble de petites entreprises, même une entreprise leader ne pourra pas avoir une grande incidence sur les prix du marché.

 Moins immédiate mais similaire à l‟offre de substitution, la menace exercée par les nouveaux entrants, contraint également l‟entreprise en place. Cette menace est d‟autant plus crédible que les barrières à l‟entrée sont faibles.

 Les importations peuvent constituer une contrainte à la dominance de l‟entreprise locale. En effet, l‟existence d‟une source d‟importation peut contraindre une entreprise locale bien plus que ne le ferait un producteur local, car elle peut répondre bien plus rapidement et massivement à une augmentation des prix que ne le ferait une entreprise locale.

A ce titre, étant donné le caractère contraignant des flux des importations potentielles fournis par les marchés éloignés, il serait rationnel de les inclure dans le marché pertinent local. Cependant cette option pourrait fortement sous-estimer le pouvoir de dominance de l‟entreprise locale. En effet la prise en compte de la capacité de production totale des entreprises éloignées signifie qu‟elles peuvent être matériellement réalisées dans des délais assez brefs. Or, trois types de problèmes peuvent empêcher la matérialisation de cette menace (Areeda et Kaplow,1988] :

1. Les importations déjà présentes sur le marché local, auraient pu être réalisées uniquement parce que les prix étaient fixés à des niveaux excédant le niveau concurrentiel ce qui implique qu‟un supplément d‟importation n‟empêcherait pas la fixation de prix de monopole.

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2. Une augmentation des importations peut être bloquée par une saturation au niveau des services de transport ou de distribution ou par des barrières légales imposées par le pays exportateur ou importateur (dans le cas d‟une importation d‟un pays étranger).

3. Dans le cas de produits différenciés, des différences au niveau des garanties, de services après vente, de qualité ou de marque peuvent empêcher toute augmentation du volume d‟importation. Les produits importés, déjà présents sur le marché local, satisfaisant la totalité de la demande d‟une niche commerciale.

Quelle que soit la forme de l‟offre potentielle (capacités excédentaires, nouveaux entrants ou importation), elle ne peut réellement contraindre l‟entreprise dominante –contrainte matérialisée par une forte élasticité- que lorsque les barrières à l‟entrée sont peu élevées.

Etant donné que la contrainte la plus forte par rapport à la liberté de fixation des prix est relative à l‟existence d‟un concurrent pour le même produit ou pour un produit fortement substituable localisé dans le même espace géographique, l‟examen des barrières à l‟entrée se fait par rapport à tout obstacle pouvant empêcher la matérialisation de cette menace. La distance qui sépare le concurrent de l‟entreprise n‟a aucune incidence sur cette contrainte garante d‟une certaine concurrence, lorsqu‟il n‟existe pas de barrières d‟ordre légal, que les coûts de transport sont négligeables et que les achats ne dépendent pas d‟une présence commerciale ou de toute autre forme « présentielle » d‟acquisition.

Si, par contre l‟une de ces conditions n‟est pas remplie, la concurrence fait face à une barrière à l‟entrée et ne devient par conséquent plus aussi contraignante pour l‟entreprise en place. Il sera nécessaire dans ce cas d‟arbitrer pour décider des entreprises à inclure dans le marché pertinent.

Il est à mentionner également que ces menaces au pouvoir de dominance sur un marché sont également conditionnées par l‟existence de barrières à la sortie matérialisées par le degré d‟irréversibilité des coûts d‟investissement (sunk costs). Lorsque ces derniers sont élevés, ils rendent difficiles la possibilité d‟un « raid » des concurrents sur un marché sur lequel est exercé un pouvoir de dominance.

Pour être effectives, l‟ensemble de ces considérations liées à la définition des marchés antitrust, doivent pouvoir déboucher sur la conception d‟instruments opérationnels permettant une mesure concrète du pouvoir de marché. Nous allons examiner dans ce qui suit, les instruments générés par les modèles d‟évaluation de la dominance et qui servent de base à la délimitation empirique des marchés.

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