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115 II.2 De l’applicabilité des modèles d’évaluation de la dominance dans le domaine des télécoms.

II. 2.2 : Mutations technologiques et délimitation des marchés.

Le taux d‟innovation possède deux implications au niveau de l‟applicabilité des modèles d‟évaluation de la dominance.

Tout d‟abord, le fait que les entreprises qui opèrent dans un environnement hautement technologique soient contraints d‟investir massivement et continuellement dans la recherche et développement implique non seulement une augmentation du poste des investissements fixes mais implique également, et étant donné la volatilité de cet environnement technologique, une obligation d‟amortissement rapide de ces coûts avant qu‟une autre innovation ne rende la technologie obsolète.

En effet, l'obsolescence, qui résulte en général de la mise en œuvre d'une nouvelle génération technique, possède pour conséquence une rupture dans la série continuelle de renouvellement technologique; rupture qui se produit en général dès le premier cycle de vie. Le calcul du coût des équipements dont l'obsolescence est prévue, doit donc considérer une durée de vie inférieure à la durée de vie physique et correspondante à l'échéance de mise en œuvre de la nouvelle génération.

Cette dernière considération est d‟une grande importance d‟un point de vue d‟évaluation de la dominance : la prise en compte par l‟opérateur de cet effet de risque lié à l‟obsolescence de ses

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équipements, le pousse à pratiquer des politiques d‟amortissement différentes et à fixer des prix bien plus élevés que le coût marginal. L‟existence d‟une marge bénéficiaire importante, loin de signifier l‟exercice d‟un pouvoir de dominance devient dans ce cas, l‟expression de la nécessité de survie dans un environnement hautement technologique.

D‟autre part, la démarche de délimitation des marchés, basée sur le SSNIP peut se révéler inappropriée dans une industrie dans laquelle la concurrence ne se fait pas sur la base de prix ou de quantités produites, mais à travers des aspects commerciaux impliquant une stratégie de choix de produits et d‟innovations continues.

Dans ce type d‟industrie, la délimitation des marchés est ardue non pas uniquement à cause des problèmes relatifs au choix du prix de référence décrits précédemment, mais également en raison de la nature même de la concurrence, dont, la composante « prix » n‟en constitue pas, loin s‟en faut, l‟aspect le plus important.

A partir du moment que sur ces marchés, la concurrence se base sur d‟autres aspects que le prix, l‟index de Lerner ne permet plus d‟estimer efficacement le pouvoir de marché d‟une entreprise. Les outils antitrust conventionnels de définition des marchés devraient par conséquent être adaptés aux caractéristiques de ces industries dynamiques [Pleatsikas et Teece, 2001].

Teece et Coleman [1998] soutiennent que l‟application du test SSNIP aux marchés hautement technologiques mènerait à définir des marchés trop étroits. Etant donné que la demande est fonction d‟autres variables que le prix, l‟application du test d‟augmentation du prix, même à des seuils plus élevés que les 5 ou 10% habituels, n‟engendrerait pas des effets de substitution significatifs.

Sur les marchés dynamiques, le concept de substituabilité devrait être interprété d‟une manière plus large, puisqu‟il dépend non seulement du prix mais également d‟autres facteurs de performance.

La substituabilité entre les différents services risque également d‟être affectée par un autre phénomène, l‟effet de convergence des technologies, qui implique qu‟un même service peut être véhiculé par des technologies appartenant à des secteurs historiquement différents (réseaux câblés, réseaux hertziens ou réseaux téléphoniques par exemple) pour atteindre le client final.

Du point de vue de la demande, cela implique d‟adopter un point de vue anticipateur de la substituabilité possible entre différentes technologies, en essayant de prévoir comment des solutions techniques différentes peuvent être utilisées pour répondre à un même besoin de base.

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Autrement dit, si l‟on s‟intéresse par exemple au marché final de la voix, le consommateur, qui pendant près d‟un siècle, était assujetti au seul téléphone fixe pour correspondre avec un interlocuteur, possède, aujourd‟hui plusieurs alternatives (Internet, GSM) de substitution nées du fait du rapprochement technologique entre des secteurs considérés jusqu‟à récemment comme complètement indépendants.

Du point de vue de l‟offre, l‟effet de convergence des technologies signifie qu‟il faut considérer un grand nombre d‟offreurs potentiels opérant même sur des marchés historiquement séparés, et devrait également conduire à une définition plus large des marchés.

Cet effet de convergence des technologies risque de s‟accentuer encore dans les années à venir étant donné l‟effritement des profits des réseaux de télécommunication d‟une part et l‟avènement des nouvelles générations de réseaux (NGNs) d‟autre part. Les opérateurs vont essayer de conquérir les marchés à forte valeur ajoutée. Ceci implique un mouvement d‟intégration en amont, en aval et vers les industries latérales.

Ces implications sont prises en considération par la communauté européenne dans son approche dans la définition des marchés de télécommunication. Ainsi la directive de la commission relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques il est mentionné explicitement que : « Sur les marchés des communications électroniques, les pressions concurrentielles peuvent provenir des ambitions innovatrices de concurrents potentiels qui ne sont pas encore présents sur le marché. Sur ces marchés, l‟évaluation du jeu de la concurrence devra se faire en suivant une approche prospective »45

Dans ce contexte, la régulation doit adopter une optique large de délimitation des marchés en considérant, tout d‟abord les entrants potentiels qui développent des technologies substituables et en envisageant une période plus longue pour évaluer les réactions des concurrents potentiels à une hausse des prix des services en cause.

II.2.3 Définition de marchés et services liés.

Les services de télécommunication, peuvent être définis de diverses manières. On peut les définir par exemple d‟une manière étroite. Ceci implique que l‟on décompose le service au sens large, tel que

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JO C 2002/C 165/03 du 11/07/2002, paragraphe 80. Le paragraphe 20 des mêmes lignes directrices stipule notamment que « Aux fins de l‟analyse du marché visée à l‟article 16 de la directive « Cadre », les ARN procéderont à une évaluation structurelle prospective du marché pertinent, en se fondant sur les conditions existantes. Les ARN devront chercher à savoir si le marché est potentiellement concurrentiel et, de là, si une éventuelle absence de concurrence effective est susceptible de perdurer, en tenant compte de l‟évolution escomptée ou prévisible du marché pendant une période d‟une durée raisonnable »

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perçu par l‟utilisateur, en un éventail de services dont chacun, peut faire l‟objet d‟une offre et d‟une demande séparée. Par exemple, on peut définir le service téléphonique fixe vocal comme un service global incluant un ensemble d‟éléments de services tels que les services d‟accès, de terminaison d‟appel, de départ d‟appel local ou de longue distance, etc.

Dans certains cas, ces différents composants du service ne peuvent être utilisés de manière indépendante. Dans d‟autres cas, (par exemple SMS et téléphonie vocale mobile) ces services sont moins liés. Ces considérations rendent difficiles la délimitation des marchés à des fins antitrust. Même dans le cas où l‟on adopte une approche plus large, le problème de délimitation ne disparaît pas complètement dans la mesure où l‟on n‟arrive pas à déterminer avec précision ce qui constitue le service aux yeux de l‟utilisateur.

Selon une approche étroite de la définition des marchés de télécommunication, on suppose qu‟un service distinct existe lorsqu‟il est possible de le produire séparément (même si l‟opérateur qui le produit ne peut le faire que si il acquiert par ailleurs des services complémentaires nécessaires à sa production). Cette approche mène à une définition étroite des marchés. Concrètement cela signifierait pour le consommateur, de pouvoir acheter chaque élément du service chez un opérateur différent et pour l‟opérateur de ne fournir qu‟un ou quelques uns des éléments du service.

Gual [2004] note à cet égard que l‟existence de fortes complémentarités entre les services réduit l‟élasticité prix de chacun de ses services. Ceci signifie notamment qu‟une augmentation du prix du service n‟induit pas une baisse significative de la demande si les prix des services complémentaires restent constants.

En d‟autres termes, l‟existence de complémentarités augmente les coûts de transfert pour un service particulier car le fait, pour un consommateur du service final, de changer de fournisseur pour un élément du service pourrait signifier le changement de toute la chaîne de production.

Conclusion

Faire fonctionner les mécanismes néoclassiques de la concurrence, garants, selon le schéma de pensée libéral, de l‟optimalité à terme des marchés des télécommunications, implique la résolution de problèmes relatifs à l‟existence de certaines caractéristiques intrinsèques à ce secteur qui le placent dans le cadre des marchés imparfaits. Il faudrait d‟une part, gérer les barrières à l‟entrée : rareté des ressources, accès au réseau, et ampleur des coûts d‟investissement pour permettre à la concurrence d‟apparaître et vérifier d‟autre part, que les corrections ainsi apportées par la régulation sont effectives, ce qui implique notamment de vérifier que les conditions de marché artificiellement

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modifiées, permettent un fonctionnement concurrentiel du marché et n‟aboutissent pas à un scénario de dominance des marchés par les opérateurs en place.

Or, l‟application des modèles d‟évaluation de la dominance, présentés dans le chapitre précédent, se heurte aux caractéristiques des marchés des télécommunications.

D‟une part, l‟ampleur des investissements nécessaires pour entrer sur le marché fait que les modèles servant de base à la délimitation des marchés antitrust ne sont pas complètement adaptés au contexte dans lequel opèrent les opérateurs des télécommunications. En effet, étant donné que les modèles développés se basent sur le principe qu‟une dominance existe à partir du moment où les prix fixés sont supérieurs au prix d‟équilibre concurrentiel, et que pour pouvoir amortir leurs coûts fixes, les opérateurs sont dans l‟obligation de fixer des prix supérieurs à leur coût marginal, les modèles présentés doivent être adaptés de manière à prendre en compte cette spécificité.

D‟autre part, la nature hautement technologique des marchés des télécommunications implique, outre le fait que les coûts de recherche alourdissent davantage les coûts fixes, que la concurrence entre les opérateurs se fait sur des critères autres que les prix, alors que les modèles proposés ne peuvent capter que ce type de dominance.

Enfin, la nature liée des marchés des télécommunications accentue le problème de définition de ce que constitue le service aux yeux du consommateur. Les élasticités de la demande adressée à un service particulier pouvant être affectées par l‟existence d‟un service qui lui est lié.

Les contraintes posées par la nature spécifique des marchés des télécommunications ainsi isolées et analysées au regard des contraintes plus générales liées à la problématique de définition des marchés antitrust, la prochaine partie s‟attachera à analyser les réponses en termes de régulation qui ont été adoptées pour y répondre.

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Partie 2- Dominance et délimitation des

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