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Schneider et le déclin des approches fonctionnaliste et structuraliste

2.1 Regard sur l’anthropologie de la parenté

2.1.1 Schneider et le déclin des approches fonctionnaliste et structuraliste

Chez les théoriciens classiques, la parenté était la plupart du temps abordée et entrevue comme LE principe irréductible duquel dépendait l’ensemble de l’organisation de la vie sociale. Les approches développées par ces premiers théoriciens de la parenté s’inscrivaient dans une logique qui se préoccupait davantage des structures des groupes de parenté et du développement d’un vocabulaire terminologique que des problèmes émergeant de situations empiriques concrètes. Dans l’ensemble, les théories classiques sur la parenté, à partir de concepts dérivés des théories de la descendance et de l’alliance, s’intéressaient aux systèmes et aux structures, aux relations entre les groupes et aux statuts de parenté dans les sociétés pré-industrielles non occidentales.

Puis dès le début des années 1970, les anthropologues manifestent leur désir de se libérer de la gangue du modèle hégémonique imposé par le structuro-fonctionalisme. Les critiques adressées aux approches classiques de la parenté (de l’évolutionnisme au structuralisme) se multiplient : on leur reproche d’avoir négligé les dimensions expérientielles, créatives, émotionnelles et dynamiques des relations de parenté et d’avoir proposé une sorte de vision purifiée des relations décrites par les sujets et collectées par les anthropologues (Carsten 2000-a). Un autre problème fut aussi le sentiment dans la communauté anthropologique que les modèles classiques en parenté étaient trop rigides et trop ancrés dans des règles légales et dans un jargon technique pour pouvoir en arriver à comprendre la multiplicité des contextes dans lesquels les acteurs organisent leurs relations de parenté. Ces critiques conduisent ensuite à une remise en question généralisée de l’idée que les faits naturels de la procréation constituent la base même de la parenté2. Si l’essentiel du courant critique des études classiques en parenté est généralement attribué à D. Schneider, les positions de Needham (1971), de Leach (1961) et de quelques anthropologues féministes3 (Yanagisako et Collier 1987; Yanagisako et Delaney 1995) demeurent

2 Par contre, certains auteurs plus contemporains (Gellner 1960; Dumont 1971; Héritier 1981; Zimmerman 1993; Schweitzer 2000; Scheffler 2001; Deliège 2005; Shapiro 2008), sans nécessairement se faire les portes-paroles des approches classiques, insistent sur l’égale importance des sphères biologique et sociale dans l’étude la parenté et s’inscrivent en quelque sorte en continuité des auteurs classiques. Perpétuant l’usage d’un vocabulaire terminologique, ils soutiennent que l’étude de la filiation et de l’alliance peut difficilement se faire sans considération pour les aspects reproductifs et biologiques ainsi que pour les ‘‘faits de la vie’’. Dans sa forme la plus radicale, cette position se traduit également par une critique des nouvelles approches constructivistes en parenté, jugées non seulement responsables du maintien de la « biophobie » dans la théorie sociale, mais aussi « irrespectueuses des

principes par lesquels le genre humain classifie les universaux de la parenté » (Shapiro 2008).

3 Les positions féministes critiquent le caractère sexiste des études de l’anthropologie classique de la parenté et s’opposent à l’idée que les femmes puissent être considérées, sur le plan analytique, comme des objets d’échange

incontournables. Déjà en 1971, Needham déclare « there is no such thing as kinship and it

follows that there can be no such thing as kinship theory » (1971: 5) et se positionne contre une

définition unique des termes ‘‘parenté’’ et ‘‘mariage’’ en raison de la multiplicité de leur utilisation.

Suivra à ces critiques une période creuse pour les études sur la parenté en anthropologie, lesquelles deviennent alors ‘‘l’archétype du modèle honni’’ : « Objet fétiche autrefois, les études

de parenté se virent dès lors reléguées au rang de simple curiosa qu’on exhumait de temps à autre, à l’occasion de quelque nostalgique pèlerinage sur les anciens champs de bataille de la discipline, là où aimaient à ferrailler nos aînés » (Barry 2002 : 71). Le véritable renouveau des

approches sur la parenté prendra son envol avec D. Schneider, point de pivot d’une nouvelle génération d’anthropologues qui privilégieront une approche plurielle de la parenté.

Schneider est sans doute celui dont les positions ont été les plus fermes et celui qui a eu le plus d’influence sur le développement des approches contemporaines en anthropologie de la parenté. Il est le premier à s’intéresser, non pas tant aux statuts et aux relations de parenté comme tel, mais plutôt à ce qu’ils veulent dire pour les groupes concernés. Sous son analyse, la parenté n’est plus considérée comme un vaste ensemble de statuts, de rôles et d’institutions, mais davantage comme un système symbolique. D’abord, Schneider (1980) soutient que les représentations de la parenté dans la culture américaine sont un reflet du savoir scientifique sur la biogénétique : « In

American cultural conception, kinship is defined as biogenetic. This definition says that kinship is whatever the biogenetic relationship is. If science discovers new facts about biogenetic relationship, then that is what kinship is and was all along, although it may not have been known at the time » (1980 : 23). Schneider est donc prioritairement préoccupé par la question des

processus d’application des modèles biologiques sur les croyances américaines de la parenté : selon lui, il n’y a pas de fait biologique réel dans le système de parenté américain, mais plutôt des interprétations culturelles de celui-ci.

entre clans lors d’une alliance. Elles remettent en question l’idée que les différences biologiques entre hommes et femmes puissent être la base universelle de la distinction ‘‘masculin’’ / ‘‘féminin’’ et soulignent l’importance d’étudier d’un même geste parenté et genre puisque les deux interrogent la naturalisation de la différence des sexes par la reproduction : « Nos arguments s’opposent à la notion selon laquelle les variations interculturelles des

catégories et inégalités de genre ne seraient que des élaborations et des extensions d’un même fait naturel »

Il soutient que les anthropologues ont fait fausse route en définissant la parenté comme le résultat de la reproduction biologique humaine et en supposant implicitement que la notion culturelle occidentale ‘‘blood is thicker than water’’ est un universel humain : les groupes humains peuvent, selon lui, structurer et définir la ‘‘parenté’’ sur des bases autres que la biologie, comme la résidence, les rituels, l’adoption, ou encore sur certaines pratiques de partage de la nourriture ou d’échanges matériels (Schneider 1972). Après une profonde révision de ses propres travaux sur les Yap et sur les Mescalero Apache, il arrive lui-même à la conclusion suivante : « I could

see that there was no such thing as ‘’kinship’’, except as it existed as a set of a priori theoritical assumptions in the mind of the anthropologist […] In my view, kinship is a non-subject. It exists in the minds of anthropologists but not in the cultures they study » (Schneider 1972 : 269-270). Il

reproche aux études anthropologiques d’avoir inlassablement mis de l’avant l’idée que la parenté est enracinée dans le processus de reproduction (laquelle créerait automatiquement et dans toutes les sociétés des liens de consanguinité) et d’avoir imposé leur propre savoir sur les systèmes de parenté non-occidentaux: « Kinship as been defined by European social scientists, and European

social scientists use their own folk culture as the source of many, if not all, of their ways of formulating and understanding the world about them » (Schneider 1984 : 193). En ce sens,

Schneider démontre que les sociétés occidentales adhèrent à un biologisme spontané selon lequel les liens de sang engendreraient automatiquement des liens de solidarité et des attentes réciproques entre apparentés.

Profondément déstabilisants pour la discipline4, les travaux de Schneider ont tout de même été d’une grande utilité pour démontrer les suppositions ethnocentriques intrinsèques à l’étude de la parenté en anthropologie. La position de Schneider a révolutionné la manière de conduire les études sur la parenté5: le nouvel intérêt porté aux significations et aux représentations en matière de parenté a rendu secondaires les questions liées aux règles sociales et à l’analyse formelle de la terminologie. En insistant sur le caractère biologisant de la parenté en Occident, Schneider « a

4 Il semble important de noter ici que les critiques de Schneider attaquent non seulement les bases analytiques de l’anthropologie de la parenté, mais aussi les fondements mêmes de la discipline de l’anthropologie puisque celle-ci s’est historiquement construite sur les problématiques relatives aux systèmes de parenté.

5 Franklin reconnaît le legs considérable de Schneider, mais constate que celui-ci n’a pas soulevé la question de « comment les sciences biologiques construisent des énoncés ‘‘vrais’’ à partir de faits supposément naturels ». Il a ainsi ignoré que les faits naturels relèvent eux aussi de constructions sociales (Franklin 2001).

contribué à un déplacement dans la manière d’aborder et de concevoir les phénomènes liés à l’engendrement, à la construction de la personne, au lien familial et à la reproduction des identités » (Ouellette et Dandurand 2000 : 8). Aujourd’hui, les études sur la parenté s’intéressent

beaucoup moins aux structures et aux systèmes et davantage aux pratiques, aux processus et à la nature fluide et contingente des relations de parenté (Levine 2008 : 377).

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