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Électivité et parentalité; l’émergence de nouvelles considérations

2.2 La famille en Occident

2.2.3 Électivité et parentalité; l’émergence de nouvelles considérations

De plus en plus, les systèmes de parenté en Occident sont sollicités pour la reconnaissance de liens qui tendent davantage vers le principe électif que vers l’idéal généalogique : « l’ouverture

nouvelle des Occidentaux à l’égard des parentés électives et des parentés multiples est liée à une extension des valeurs de liberté individuelle et d’affectivité » (Ouellette et Dandurand 2000: 16).

Ainsi, apparaît un nouveau modèle de parenté axé sur l’idéologie du choix25 et sur l’électivité, lesquelles font primer les échanges affectifs et l’épanouissement personnel26: « Les ‘‘parentés

électives’’ sont inventées par les individus comme autant d’opérations singulières permettant l’expression de soi. […] Ce ne sont donc pas les liens électifs qui en eux-mêmes constituent la nouveauté dans les pratiques de la parenté, mais leur contenu et leur signification » (Fine 1998 :

5-6). Ce qui peut vraiment être qualifié de ‘‘nouveau’’ dans les nouvelles formes de parenté, selon Carsten, ce sont surtout les façons très explicites par lesquelles les gens décident qui leur

25 L’idéologie du choix n’est pas non plus sans limite ; ce qui semble être construit comme un libre choix doit aussi être lié à la notion de contrainte, laquelle agit comme contrepoint au choix : « Aucune situation de la vie ne peut être

considérée comme le produit du ‘‘choix’’ seul. Les nouvelles connexions qui se construisent sont toujours et invariablement modelées par les contraintes et les normes sociales, par les discours culturels sur la parenté et par nos expériences avec notre famille d’origine. Ainsi, le terme même de ‘‘choix’’ devient limité lorsque nous devons décrire comment les familles sont construites et vécues» (George 2001: 21).

26 Mentionnons, à titre d’exemple, les travaux bien connus de K. Weston (Families We Choose : Lesbains, Gays,

Kinship - 1991) sur la parenté chez les gais et lesbiennes de San Francisco dans les années 1980. L’auteur remettait

alors en question l’idée que la procréation est invariablement liée à la parenté et démontrait que le caractère permanent de la parenté n’est pas simplement inscrit dans les liens de sang, mais qu’il doit plutôt être continuellement produit dans le temps. Les ‘‘chosen families’’ décrites par Weston défient la sainteté du sang et du mariage comme les seuls déterminants des liens de parenté légitimes.

est apparenté et qui ne l’est pas27, quels types de parenté comptent et quels autres ne comptent pas ainsi que la multiplicité des facteurs et des caractéristiques évoqués pour justifier ces choix (2004 : 180).

Certaines des formes familiales actuelles28 posent la question de la définition de ‘‘parent’’. Le terme de parent est issu du verbe latin ‘‘parere’’ et signifie procurer, produire, enfanter et mettre au monde tandis que les notions de ‘‘père’’ et de ‘‘mère’’ renvoient directement aux géniteurs de l’enfant, donc à ceux qui lui ont donné la vie (Neirinck 2001 : 16). La référence au ‘‘parental’’ et la mise en valeur des fonctions qui lui sont sous-jacentes renvoient aux frontières incertaines de la définition de ‘‘parent’’: qui doit-on nommer parent? Si l’on privilégie la dimension biologique, on ne reconnaît qu’un seul père et qu’une seule mère. Si l’on considère strictement la dimension affective et élective, on évacue l’acte de procréation comme élément fondateur de la filiation et devient alors parent celui qui exerce les fonctions quotidiennes de parent. On peut également privilégier une approche additive de la filiation et reconnaître l’existence de plusieurs parents en gardant une trace des différents liens filiatifs de l’enfant (pluriparentalité). En contexte de recherche, le terme de parentalité renvoie à la fonction parentale dans son ensemble et au caractère dynamique du ‘‘être parent’’. Dans un article intitulé « Petit lexique contemporain de la

parentalité. Réflexions sur les termes relatifs à la famille et leurs usages sociaux », Boisson

(2008) précise que le concept de parentalité « décrit le parental comme une fonction sociale

complexe qui permet de différencier le parental du conjugal » (2008 : 8). La notion de parentalité

est donc utilisée dans le contexte de l’homoparentalité, de la pluriparentalité et des familles

27 Dans un article qui s’intéresse à l’analyse de la pratique de la généalogie, Sagnes (1998) dresse un parallèle somme toute assez surprenant entre l’engouement contemporain pour la généalogie et les nouvelles formes de parenté et met en évidence leur mission commune, soit celle de satisfaire les aspirations identitaires de ceux qui les inventent ou réinventent : « Ni affaire de famille, ni acte de mémoire, la ‘’fièvre’’ généalogique de nos contemporains, sous des

dehors traditionalistes, participe de la révolution culturelle à l’œuvre. Centrée sur l’individu et non sur la famille, la parenté qu’elle met en représentation et en action est en effet dotée des mêmes ressorts, à savoir le choix et la créativité, que ceux qui animent les recompositions familiales » (Sagnes 1998 : 307).

28 Dans certaines sociétés, il est fréquent que des parents autres que les géniteurs s’occupent des enfants à court ou long terme, tout comme il peut être habituel de retrouver différents membres d’une famille élargie sous un même toit : « Les multiples agencements de l’alliance, de la filiation et de la résidence que ces familles [familles d’Occident] mettent en scène ont, certes, déjà été observés sous de semblables formes en d’autres temps ou dans

d’autres sociétés. Ils doivent cependant être interprétés en fonction du contexte socioculturel jusque là inédit dans lequel ils s’inscrivent » (Ouellette et Dandurand 2000: 10)

d’accueil, mais aussi dans les familles nucléaires et biologiques (où les géniteurs sont aussi ceux qui vivent et s’occupent de l’enfant) pour désigner l’exercice parental dans son ensemble.

Abordée sous un angle socio-historique, « l’émergence de la parentalité correspond à la remise

en cause du modèle matrimonial de la famille dans les sociétés occidentales et l’affirmation des logiques d’affiliations dans les relations sociales » (Neyrand 2007-a : 88). Les termes ‘‘parental’’

et ‘‘parentalité’’ sont donc relativement récents : selon Gavarini (2002-b), ces notions sont apparues depuis que la famille s’est réorganisée en sortant du double principe de différenciation sexuelle des fonctions et de division des rôles et du travail auquel la famille traditionnelle s’articulait (2002-b : 21). Ainsi, l’apparition et l’utilisation grandissante de la notion de parentalité, laquelle en est venue à désigner une multitude de réalités familiales, illustrent la tendance contemporaine à privilégier la parenté élective: « On assiste donc à un renversement

des modes d’établissement de la filiation dans le cadre duquel le rôle prépondérant de la volonté dans l’établissement des rapports familiaux repousse à l’arrière-plan les règles traditionnelles de la parenté » (Philips-Nootens et Lavallée 2003 : 354). Selon (Cadoret 2006), la notion de

‘‘parentalité’’ exerce une pression sur celle de ‘‘parenté’’ dans la mesure où l’exercice des fonctions parentales conduit à la revendication d’un statut légal de père ou mère (2006 : 54).

Sur le plan pratique, la parentalité est souvent employée en référence aux beaux-parents : comme les dissolutions de couples mènent souvent à des recombinaisons, les enfants d’une même maisonnée ne sont pas nécessairement élevés et éduqués par leurs deux parents géniteurs29. La notion de parentalité est alors employée en référence à ces types de familles dans lesquelles un adulte, souvent un conjoint d’une union subséquente à celle ayant engendré l’enfant, assume la responsabilité quotidienne de celui-ci, mais ne détient pas d’autorité parentale légalement reconnue30. Ainsi, selon Segalen (2008), le concept de ‘‘parentalité’’ concerne l’organisation de

29 Dans une étude portant sur les diverses constellations produites par les divorces et les arrangements post-divorce en Grande-Bretagne, B. Simpson (1994) qualifie de manière originale le passage des ‘‘nuclear families’’ aux ‘‘unclear families’’. L’auteur, loin d’appréhender ces changements comme une érosion de l’institution de la famille, soutient plutôt que le divorce et les recombinaisons familiales réordonnent la parenté et débouchent sur des connexions nouvelles. En ce sens, il propose d’étudier le divorce comme une expression culturelle de la parenté et non comme un problème social en soi. (Simpson 1998).

30 À titre d’exemple, Cadoret (2001-a) mentionne les difficultés à faire reconnaître la pluriparentalité dans le contexte bien précis des familles d’accueil; la famille d’accueil accomplit des fonctions parentales, mais doit tout de

l’exercice du lien de filiation dans l’après-divorce et interroge la capacité des parents à exercer leur ‘‘métier’’ (2008 : 142).

La parentalité pose également la question des parentés plurielles. À ce jour, la pluriparentalité (ou pluriparenté) n’a pas d’existence légale au Québec, c’est-à-dire qu’un enfant ne peut, selon l’État civil, avoir plus de deux parents. La conception individualiste et le caractère exclusif de notre modèle filiatif et généalogique arrivent difficilement à intégrer les revendications associées aux nouvelles forme de parentalité : comme le montrent plusieurs auteurs31, la reconnaissance

légale de la pluriparentalité entre en tension avec les fondements de notre système de filiation. Le manque de reconnaissance des ‘‘beaux-parents’’ ou des parents de substitution viendrait essentiellement de notre « difficulté à concevoir la présence de plus de deux parents pour un

enfant en raison de nos représentations de la filiation basées sur le modèle biologique » (Belleau

2004). Jusqu’à ce jour, les réponses apportées aux revendications de pluriparentalité ne s’éloignent guère du modèle d’exclusivité et vont davantage dans le sens de la substitution que de l’addition. Confronté à la multiplication de ces situations de pluriparentalité, le droit tarde à répondre et à donner une existence légale à la notion de parentalité ou de pluriparentalité, principalement en raison du fait que celles-ci assoient leurs revendications sur des facteurs peu significatifs jusqu’à tout récemment, comme la prise en charge matérielle de l’enfant ou les considérations affectives : « la prise en charge matérielle (obligation d’entretien et obligation

alimentaire) est une conséquence de la parenté et non pas sa cause. Quant aux considérations affectives, elles sont indifférentes à la parenté : les affects ne peuvent ni imposer ni justifier des droits ou des obligations » (Neirinck 2001 : 25-26). Par contre, certaines situations vécues par les

familles adoptives, les familles recomposées ou encore les familles recourant aux techniques d’assistance médicale à la procréation posent la nécessité de réfléchir à la possibilité de reconnaître l’existence légale de plus de deux parents.

même demeurer à l’extérieur du cercle de la parenté puisque relevant, du moins aux yeux des autorités gouvernementales, du registre de la profession et du service (Cadoret 2001-a).

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