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2.3 La procréation assistée: penser autrement la reproduction

2.3.1 Reproduction, engendrement et filiation

La découverte et l’expansion des contraceptifs, la légalisation de l’interruption volontaire de grossesses non désirées, puis ultimement, le développement des nouvelles techniques reproductives (NTR) ont tous contribué à inscrire le processus reproductif dans un espace particulier, celui de la médicalisation et de la planification. Les différentes possibilités et conséquences qui émergent de cet espace sont passablement contradictoires. D’une part, la contraception permet aux femmes d’échapper aux grossesses non désirées, tout comme elle permet aux couples de planifier la venue au monde de l’enfant en fonction de différents critères : « L’état normal d’un couple devient celui de la non-conception, et c’est la conception qui doit

être décidée » (Dayan et Trouvé 2003 : 28). D’autre part, le contrôle que permet la contraception

crée chez les couples le sentiment que le moment de la conception peut à son tour être objet de maîtrise. Ainsi, quand le désir d’enfant est confirmé au sein du couple, mais qu’il n’est pas comblé dans les délais souhaités par celui-ci, la conception est alors ramenée dans l’espace médical, mais cette fois pour des raisons tout à fait contraires à celles qui concernent la contraception, c’est-à-dire dans un dessein d’aide à la procréation. Le non-désir d’enfant (qu’incarne la contraception) et le désir d’enfant demeuré inassouvi (incarné par le recours à la procréation assistée) se trouvent alors à partager l’espace de l’intervention médicale. Selon Ragoné (1996), trois changements majeurs auraient contribué à une transformation des représentations liées à la reproduction dans les sociétés occidentales: d’abord l’avènement de la contraception qui marque la séparation entre relations sexuelles et reproduction; ensuite l’émergence des nouvelles technologies reproductives qui impliquent une fragmentation de l’unité de la reproduction (les enfants peuvent être conçus à l’extérieur du cadre sexuel) ; et finalement l’apparition, via les avancées de la médecine reproductive, d’une maternité divisible en trois (mère génétique, mère porteuse, mère d’intention) qui remet en question l’unité organique prise pour acquise entre la mère et le fœtus.

Pour la première fois dans l’histoire humaine, les techniques biologiques interviennent dans le processus de la reproduction de manière à permettre ‘‘une reproduction sans sexualité’’: « Après

la rupture des liens qui unissaient sexualité et procréation (c’était l’ère contraceptive), nos contemporains ont assisté à la division des liens qui unissaient procréation et filiation » (Delaisi

de Parseval 2001-a: 253). Plus encore, ces nouvelles méthodes, par l’intermédiaire de la biomédecine et du don de gamètes, ont entériné de nouveaux modes de procréation qui ont fragmenté les rôles traditionnels de paternité et maternité et participé à une modification des représentations sociales de la reproduction humaine: « Les changements dans ‘‘l’art de fabriquer

des bébés’’ survenus au cours des trois dernières décennies à la faveur de l’utilisation de la PMA ont donné lieu à la création d’une nouvelle articulation entre procréation et filiation. Ils ont en même temps généré des déplacements importants dans les représentations de la maternité et de la paternité » (Delaisi de Parseval et Collard 2007 : 48). Si l’anthropologie a depuis longtemps

posé cette distinction entre ‘‘pater’’ et ‘‘génitor’’, et entre parenté sociale et biologique, les nouvelles technologies de reproduction et l’assistance médicale à la procréation posent de nouveaux défis à la définition des systèmes de valeurs liés à la parenté et à la conception de l’être humain: « La procréation a pu soudainement apparaître comme le résultat d’un acte biologique

et technique, hors sexe, un acte scientifiquement dirigé [et] ce sont peu à peu l’ensemble des représentations contemporaines concernant la naissance de l’enfant qui se sont modifiées : l’imaginaire de l’enfantement a été pénétré par la technicité médicale » (Gavarini 2001 : 225).

Plus globalement, c’est la chaîne supposément inviolable des événements qui lient mariage, sexe, conception, grossesse, parentalité et éducation qui se trouve ébranlée et remise en question par l’introduction des NTR en contexte occidental : « dans le modèle chrétien du mariage, les époux

se font mutuellement don de leurs corps; on parle alors du principe d’indisponibilité des corps liée à l’union des personnes et c’est la sexualité du couple qui constitue le fondement de la filiation » (Zimmerman 1993 : 221). Une autre transformation concomitante et quasi

révolutionnaire est le renversement de l’adage sur lequel se sont construits les systèmes juridiques occidentaux: la loi, depuis le droit romain, créait un ensemble de règles et de présomptions qui attribuait la paternité sur la base de facteurs sociaux, tandis que la détermination légale de la maternité s’est toujours avérée non nécessaire puisque fondée automatiquement sur l’acte de donner naissance. Aujourd’hui, la maternité s’est transformée en

un concept divisible (par exemple, le recours au don d’ovocyte et ensuite à une mère gestatrice impliquent trois figures de mères : génétique, génitrice et adoptive) et la paternité (biologique) tend à devenir de plus en plus certaine.

D’une part, les nouvelles technologies reproductives rendent visibles plus que jamais les bases biogénétiques des relations de parenté et mettent en scène une série de nouveaux acteurs (cliniciens, donneurs de gamète, mères porteuses) et de nouvelles pratiques qui, à leur tour, contribuent à la constitution d’un nouveau savoir. D’autre part, le ‘‘nouveau’’ savoir a ses limites dans la mesure où il repose toujours sur une forme ancienne de savoir : « Il n’y a pas

d’effacement dans les pratiques et les habitudes de pensée des gens; il y a seulement des pratiques et habitudes de pensée à partir desquelles les nouvelles travaillent » (Strathern 1995 :

348). Certes, la science reproductive est nouvelle et représente un phénomène moderne, voire un miracle post-industriel qui émerge de la biologie, de la génétique et de la micro-chirurgie. D’un autre côté, elle peut aussi être considérée comme le chapitre le plus récent d’une histoire très ancienne, soit celle du contrôle de la procréation: depuis toujours, les gens et particulièrement les femmes, essaient de contrôler leur reproduction et d’avoir des enfants selon leur propre cédule et non selon celle de Dieu ou de la nature.

Ainsi, certains anthropologues, dont F. Héritier (1985), tentent quant à eux de réduire l’importance des technologies nouvelles et maintiennent l’idée que l’implication de plus de deux personnes dans le processus reproductif n’est pas quelque chose de complètement nouveau. Les techniques médicales d’assistance à la procréation ne seraient qu’une version ‘‘actualisée’’ et modernisée de l’aide à la reproduction. À ce sujet, Héritier mentionne: « Il ne peut y avoir, bien

sûr, d’équivalents directs des techniques elles-mêmes en ce qu’elles ont de plus novateur, mais les effets recherchés procèdent de la même nécessité, pallier le malheur de l’absence de descendance, même si les motivations sont moins de satisfaire une demande individuelle que de répondre à l’intérêt bien compris de la collectivité des vivants et des morts » (Héritier 1985 : 13).

L’auteur ne croit pas que les NTR posent un nouveau problème en soi; selon elle, les interrogations et réticences que ces nouvelles techniques soulèvent ne sont pas tant liées aux possibilités qu’elles proposent, mais davantage au manque de ciment social et juridique qui entoure actuellement leur pratique : « Toutes les formules que nous pensons neuves sont possibles

socialement et ont été expérimentées dans des sociétés particulières. Mais pour qu’elles fonctionnent comme des institutions, il faut qu’elles soient soutenues sans ambiguïté par la loi du groupe, inscrites fermement dans la structure sociale et correspondent à l’imaginaire collectif »

(1985 : 19).

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