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2.4 L’adoption

2.4.4 Adoption, identité et origines : un difficile équilibre?

L’adoption pose donc l’infinie question des origines; infinie parce qu’elle touche le droit, la psychologie, la philosophie et aussi parce qu’elle représente, du moins actuellement, la facette de l’adoption qui suscite les débats les plus houleux, les réactions les plus virulentes, sans pour autant que ne s’établisse un véritable consensus. La notion d’origine nous renvoie « au mot latin

‘‘origo’’ qui marque un point de départ et un mouvement de descente. Appliqué à l’homme, le mot renvoie à la naissance, au sang, à la race ou à la famille […] La question des origines (connaître ceux dont on descend) est certainement aussi ancienne que l’humanité, mais en droit contemporain, elle est posée de manière nouvelle » (Neirinck 2000-b: 21-22). Alors que certains

situent la recherche des origines dans la psychique humaine profonde et la considèrent universelle, d’autres la situent dans le contexte ambiant des sociétés occidentales qui mettent l’emphase sur les liens biologiques et sur le ‘‘besoin de savoir’’. Les discours contemporains et la littérature populaire considèrent la recherche des origines comme une quête de savoir et comme une étape nécessaire au processus naturel de guérison de la blessure identitaire primaire, provoquée par l’abandon dans le cas de l’adoption (Volkman 2005). Ainsi prévaut la conviction que ‘‘tu ne peux pas savoir qui tu es si tu ne sais pas d’où tu viens’’ (Bowie 2004). Parallèlement, l’accès à l’information, transformée en ‘‘urgence de savoir’’ a gagné en importance au cours des années 1990 et a fini par atteindre tous les membres du triangle adoptif qui se sont massivement préoccupés du passé, de l’ancestralité et, éventuellement de la génétique : « l’intrusion de la

‘‘liberté d’accès à l’information’’ dans le milieu de l’adoption a été frappante au cours des trente dernières années, comme elle l’a aussi été dans d’autres domaines de la vie américaine »

(Modell 2001 : 256). Conjointement à la valeur accordée aux racines biologiques et à l’accès à l’information s’est aussi développée l’idée que l’adopté doit pouvoir accéder aux informations qui touchent à sa naissance et à son identité73, celles-ci étant souvent jugées essentielles à

73 À ce sujet, Delaisi de Parseval qui se positionne depuis déjà plusieurs années en faveur de la levée de l’anonymat en matière d’adoption et de procréation médicalement assistée avec donneur, souligne : « Ce qui est inacceptable

l’équilibre identitaire: « les aménagements vers une plus grande ouverture des dossiers

d’adoption ou de l’adoption elle-même s’inscrivent dans une mouvance sociale assez généralisée qui accorde maintenant une plus grande valeur à l’information et à la connaissance que chaque individu peut avoir de son histoire personnelle » (Ouellette 2005-b : 107).

Dans les sociétés contemporaines occidentales, où l’identité est pensée comme dépendante des liens génétiques et des liens de sang et où l’adoption est envisagée comme une séparation dramatique de l’adopté vis-à-vis de la substance naturelle qui le constitue, la quête des origines se trouve aussi fortement associée à une quête identitaire individuelle (Modell 2002 : 181). Les origines sont habituellement représentées comme étant matérialisées dans un lieu ou incorporées dans une personne. L’adopté évolue dans un univers social qui remet bien peu en question l’idée que la recherche des origines constitue un besoin naturel. Selon Homans (2007) qui s’est intéressée à la question de l’identité des adoptés d’origine chinoise, « dans la culture populaire,

les adoptés (en particulier) subissent le poids lié à l’obligation de trouver, de savoir et de détenir leurs origines matérielles. Ils sont appelés à raconter leurs vies en termes d’une quête particulière, celle de leurs origines » (Homans 2007 : 59). À l’ère où la génétique fonctionne

tout autant comme science que comme idéologie et où les gènes sont associés à l’essence de ce que nous sommes en tant que personne, la question des origines est difficilement contournable pour les adoptés qui vivent en contexte occidental (Katz Rothman 2006). Même si la réalité biologique de l’engendrement ne suffit pas à former la filiation, il demeure pratiquement impossible en Occident de ne pas l’intégrer dans l’opération symbolique que représente elle- même la filiation74.

De plus, l’attitude qui consiste à rattacher la recherche de ses origines à une obligation intrinsèque à chaque individu doit aussi, en contexte d’adoption, être comprise comme une réponse aux nombreuses années de secret et de honte qui ont entouré l’adoption euro- américaine (Carp 1998, Wegar 2000). Comme le mentionne Bowie (2004), dans les pays et les

pour un enfant, c’est moins le fait de ne pas savoir, que le fait de ne pas savoir quelque chose d’essentiel sur son géniteur que d’autres savent, en l’espèce l’état civil » (2002 : 275).

74 Par exemple, les mythologies de l’adoption d’Œdipe et de Moïse (deux histoires d’adoption où se mêlent l’humain et le divin) sont imprégnées par le mystère de l’origine et par l’implacable interrogation sur nos commencements. Ces mythologies peuvent être appréhendées comme des récits illustrant les racines de la culture indo-européenne.

communautés « où l’adoption est omniprésente et entrevue positivement, la question du secret et

de l’ouverture a nécessairement une résonance différente de celle qui prévaut en Occident »

(2004: 13). Ainsi, ce désir de retour aux racines serait un des effets des politiques de secret et d’anonymat qui ont dominé le champ de l’adoption en Occident depuis presque un siècle: « ce

renversement s’observe dans les pratiques d’adoption ouverte, dans les voyages de retour au pays d’origine, dans la recherche de ses origines biologiques et révèlent la force du ‘‘mythe du retour’’ » (Yngvesson 2005 : 27).

En adoption internationale, la question des origines est complexifiée par le fait que le processus d’adoption favorise une rupture radicale au passé, du moins sur le plan juridique. Dans l’ensemble, tant les conventions internationales que les lois locales en matière d’adoption régulent la construction des familles adoptives par le biais de diverses fictions légales dont la principale repose sur le principe de ‘‘clean break’’. Ce principe, selon Yngvesson (2007: 565), met de l’avant une approche d’exclusivité dans laquelle prévaut l’intégration complète de l’enfant dans sa famille adoptive et la rupture des liens avec la famille biologique : « les prémisses sur

lesquelles les politiques d’adoption sont construites présument que deux identités ne peuvent co- exister et qu’une première identité peut être remplacée par une autre » (2007 : 569). C’est

d’ailleurs l’ensemble de cette situation qui explique que bien souvent, la question des origines de l’enfant adopté à l’international se trouve reléguée dans le registre culturel: « Dans l’expérience

de l’adoption internationale, la problématique généalogique se trouve alors déplacée de la parenté vers le registre de la culture et de l’ethnicité » (Ouellette 2003: 28). Pourtant, sur la

question de la culture, le mouvement d’effacement et de réinscription complique le raisonnement75: l’enfant adopté se situe-t-il dans un espace culturel ouvert ou est-il intrinsèquement enraciné dans un sol national? (Volkman 2005). Ce dilemme est d’ailleurs abordé de manière concrète par Kim (2007) qui a étudié le phénomène du retour dans le pays de naissance par des adoptés de la Corée du Sud76.

75 Dans une étude portant sur les albums de naissance des nouveaux-nés, A. Fine mentionne que dans le cas des enfants adoptés, « il semble que la volonté se dégage de souligner la spécificité de l’enfant adopté et non pas l’envie,

comme cela avait été le cas pendant très longtemps, de faire en sorte que l’adoption soit assimilée à une naissance biologique » (Fine 2000-b : 80).

76 En 1994, le gouvernement sud-coréen met en place une série de mesures et de dispositions légales qui favorisent le retour, voire même les séjours de longue durée, des adoptés devenus adultes. À partir de cet état des lieux, Kim (2007) montre comment les notions de parenté et d’apparentement se trouvent inextricablement liées aux contraintes

Pour rendre intelligible et accessible la question des origines aux yeux de leur enfant et pour favoriser l’équilibre identitaire de ce dernier, les parents sont encouragés à développer chez leur enfant un sentiment d’ouverture vis-à-vis leur passé et de leur culture d’origine. Ce désir de transmission s’incarne à travers une panoplie de représentations et de performances culturelles (éléments historiques glorieux, arts, langage, célébrations des fêtes nationales) : « La mémoire

des origines se constitue d’abord en référence à un pays et à sa culture, plutôt qu’en référence à ses origines personnelles […] Ce sont les références au pays et à la culture qui servent de véhicule principal pour reconnaître la singularité de l’enfant en rapport avec ses origines »

(Ouellette et Méthot 2003 : 143). Par exemple, les agences d’adoption encouragent fortement les parents à s’informer sur le pays donneur et à familiariser l’enfant avec ce dernier : « la

conceptualisation de la culture est ainsi réifiée, mais aussi ‘‘superficialisée’’; elle se limite à certains marqueurs culturels comme la nourriture, les vêtements et à certains objets facilement consommables » (Howell 2001 : 216). C’est dans ce même mouvement de valorisation des

racines que doivent être pensés les voyages de retour dans les pays d’origine des enfants, une pratique qui gagne en popularité : « En l’absence du corps de la mère de naissance, le désir de

connaître les origines de l’enfant peut se déplacer sur le corps de la nation et sur sa culture imaginée. Le bagage génétique de l’enfant demeure inconnu, mais l’héritage culturel peut être étudié, célébré et incorporé » (Volkman 2005 : 96-97). Paradoxalement, ces voyages reposent la

plupart du temps sur l’initiative des parents adoptifs et représentent, selon Yngvesson (2005), une manière de ramener le passé dans le présent et de mettre les deux ‘‘temps’’ en dialogue (au lieu de les mettre en confrontation) (2005 : 32). Ces voyages de retour à la terre natale permettent aux adoptants non seulement de compléter l’histoire de leur enfant, mais aussi mieux se définir eux- mêmes dans leur position de parents adoptifs (2005 : 35) sans pour autant que le lien à leur enfant s’en trouve compromis : « Dans un tel contexte [voyages de retour], les enfants adoptés sont

conceptuellement remis en lien avec leurs parents biologiques, mais jamais de manière à ce que

posées par le pouvoir étatique, les législations familiales et les idéologies dominantes. L’auteur soutient également que les voyages de retour en Corée constituent, pour les jeunes adultes adoptés, des lieux de production de formes alternatives d’appartenances et de parenté basées non pas sur une parenté généalogique ou biogénétique, mais sur des histoires communes de déplacement, d’aliénations et de négociations complexes entre ‘‘étrangeté’’ et ‘‘familiarité’’. En ce sens, les analyses de l’auteur illustrent bien le concept de ‘‘relatedness’’ mis de l’avant par Carsten (2000-a) et qui désigne des formes d’apparentement qui ne reposent pas sur les liens de procréation.

les relations de parenté entre eux et leurs parents adoptifs ne soient remises en question »

(Howell 2001 : 218).

Comme je l’ai mentionné précédemment dans l’exposition de la problématique (1.4), cette thèse, quoiqu’elle aborde les thèmes de la PMA et de l’adoption, ne s’intéresse pas spécifiquement à la question du droit à connaître ses origines. Mais comme cette question constitue la dimension la plus souvent analysée lorsque la PMA et l’adoption sont mises en parallèle, il m’a semblé tout de même intéressant de dresser un bref portrait des enjeux relatifs à cette problématique, d’autant plus que cet angle de comparaison permet de mieux comprendre les cadres juridiques, pratiques et symboliques dans lesquels s’inscrivent la PMA et l’adoption. Cette réflexion est donc présentée dans la section suivante (2.5). Elle est suivie de la conclusion englobant les thèmes de la PMA et de l’adoption et, finalement, d’un bref retour sur l’ensemble du cadre théorique exposé (2.6).

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